Déclaration de candidature, relance, dispositifs de soutien aux entreprises, cybersécurité, JO 2024… Alors que la crise sanitaire joue les prolongations, le président de la Chambre de commerce et d’industrie Aix-Marseille Provence, Jean-Luc Chauvin, revient sur l’action menée pour accompagner les entreprises du territoire durant cette période. Entretien.
Le 26 mars en assemblée générale, vous avez annoncé que vous seriez candidat à votre succession lors des prochaines élections de la chambre consulaire, en octobre 2021, appelant à une liste unique. Ce « jeu collectif » que vous prônez peut-il se poursuivre ?
La crise actuelle, économique et sanitaire, est brutale et violente, et pour tous ceux qui me connaissent un peu, je ne suis pas de ceux qui quittent le navire en pleine tempête. Je ne le croyais pas avant d’être assis dans ce fauteuil, mais quand on arrive dans cette maison, il faut entre 18 et 24 mois pour comprendre comment ça marche.
Dans les entreprises, les décisions sont appliquées rapidement, ici, parce que nous sommes un établissement public d’État, il y a beaucoup plus d’étapes intermédiaires. Nous sommes d’ailleurs un pays obèse par sa dimension textuelle. La crise actuelle nous oblige à la fois à poursuivre, mais à accélérer la transformation de cette maison que nous avons commencé dès mon arrivée, pour offrir une utilité maximale à toutes les entreprises, et à prendre toute notre place dans les grands projets et dans la vision stratégique du territoire.
Dans cette période de crise, une nouvelle équipe qui s’installerait mettrait au moins 24 mois à comprendre comment ça marche, et donc au lieu de prendre de l’avance sur d’autres territoires, de transformer nos entreprises pour qu’elles soient plus agiles et que ça redémarre plus vite, nous prendrions du retard.
Nous avons aussi réussi à regrouper 144 acteurs du monde économique pour travailler ensemble. Ça ne s’est fait nulle part ailleurs. Aucune chambre de commerce n’est allée aussi loin dans ce jeu collectif. Ça serait dommage de s’arrêter, surtout dans cette situation économique des entreprises, qui reconnaissent d’ailleurs le travail accompli par la team CCIAMP. Je propose de poursuivre ce jeu collectif, avec cette règle que le monde économique prône depuis des décennies auprès des élus, si les entrepreneurs le désirent, parce qu’au fond c’est une décision qui reviendra aux entrepreneurs eux-mêmes par leur prise de position au moment du vote au mois d’octobre.
Quel regard portez-vous sur l’action menée par la Chambre de commerce et d’industrie Aix-Marseille Provence depuis le début de la crise sanitaire ?
Dès le 5 mars, toutes les entreprises, quel que soit leur lieu sur notre territoire métropolitain, leur activité… devaient avoir accès à l’information. Ce qui a d’ailleurs été reconnu par le préfet [le préfet Pierre Dartout, ndlr] puisque le 16 mars, la veille du premier confinement, il nous a demandé de devenir la cellule des cellules, celle qui permettait de faire remonter tous les sujets depuis le terrain jusqu’à la préfecture, et qui elle, faisait redescendre les réponses.
« Nous sommes devenus un centre ressource qui a permis le déploiement de l’information à toutes les entreprises ».
Nous sommes devenus le réseau des réseaux puisque le dispositif a d’ailleurs été étendu à nos voisins de la Chambre de commerce et d’industrie du Pays d’Arles, mais aussi la Chambre des métiers. Nous avons laissé à chacun faire son travail auprès de ses adhérents, mais nous avons réalisé ce travail de décryptage pour que chacun ait exactement la même information.
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Nous avons décrypté, la plupart du temps en temps réel, les ordonnances, les décrets… puis adressé tous les jours aux 144 partenaires réseaux des fiches pratiques mises à jour, et toujours réactualisées aujourd’hui, car si la cellule d’urgence, a connu des périodes avec moins d’activité, elle est toujours ouverte sur le site internet. Ces fiches étaient agrémentées d’un état des lieux de la situation économique et adressées à tous les services déconcentrés de l’État, les parlementaires, les grands élus du territoire…
Au fur et à mesure, nous avons été contactés par d’autres institutions pour recevoir ces éléments, comme la préfecture de police, des mairies… Les parlementaires se sont rapprochés de nous pour se mettre en lien avec telle ou telle branche d’activité, pour essayer de les aider de manière législative à régler leurs problèmes. Avec les quatre réseaux (interprofessionnels, fédérations, zones d’activités, associations de commerçants) nous avons pu faire des propositions pour améliorer ou modifier des textes de loi. Nous sommes devenus un centre ressource qui a permis le déploiement de l’information à toutes les entreprises. Nous avons pleinement joué notre rôle de Chambre de commerce et d’industrie, de relais d’établissement public d’État.
À combien se chiffrent les pertes dans le département pour l’année 2020 ?
Une partie importante des entreprises est bien sûr en grande difficulté. Le chiffre d’affaires dans le département des Bouches-du-Rhône a baissé de 18 milliards d’euros soit 12% par rapport à 2019 (source Insee). Ce ne sera jamais récupéré. 15 % des entreprises prévoient un recul de leurs effectifs. Seulement 5 % prévoient d’embaucher.
Combien d’entreprises avez-vous accompagnées ?
Durant cette période, à travers le numéro et l’adresse mail d’urgence, nous avons accompagné plus de 10 000 entreprises en direct sur l’année 2020, et nous avons passé plus de 7 800 appels à des entreprises pour les aider sur différentes thématiques, bénéficier des différents dispositifs, du plan de digitalisation, participer à l’opération des chèques cadeaux, participer au Métropolitain Business Act (MBA)…
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La crise sanitaire a rendu encore plus nécessaire et plus urgente la digitalisation des commerces de proximité. Où en est-on de cette transition numérique ?
L’État a demandé aux Chambres de commerce de réaliser un diagnostic, notamment pour les TPE, pour les commerçants. Il y a encore beaucoup à faire, mais un grand nombre de commerces ont commencé pour la première fois à toucher du doigt le fait qu’il fallait faire de la vente en ligne, à emporter, du click and collect…
C’est un mouvement de fond qui est en train de dessiner sur lequel les CCI ont toute leur place. Notre rôle est de continuer à accompagner les entreprises à se transformer, c’est important, car les entreprises qui seront transformées auront la capacité de rebondir plus vite.
Il y a des risques induits par le passage des entreprises à l’ère numérique. En matière de protection des données la CCIAMP peut-elle jouer un rôle ?
Justement, sur ce sujet, nous allons lancer une large opération à destination des TPE-PME sur la cybersécurité. Avec la préfecture de police, les services de gendarmerie… nous allons démarrer un cycle d’information-formation gratuite.
Dans le cadre du Métropolitain Business Act, nous sommes en train de travailler sur un packaging négocié globalement pour le territoire qui permettra aux entreprises de se doter d’un niveau de sécurité de bonne qualité et à un juste prix en faisant travailler les entreprises de notre territoire. L’idée c’est de simplifier la vie des entreprises qui ne sont pas spécialisées dans ce domaine.
La CCIAMP a lancé un certain nombre de dispositifs pour soutenir l’achat local. Le Métropolitain Business Act en fait partie justement. Sa version digitale a-t-elle rencontré le succès escompté ?
Métropolitain Business Act qu’on a lancé en 2017 avec cette idée de faire de l’achat local a pris aussi une forme solidaire. Nous avons décidé de prendre en charge l’adhésion en 2020. On renouvelle cette prise en charge en 2021. Nous l’avons transformé en version digitale, avec un événement en ligne avec 400 entreprises connectées. Aujourd’hui, ce sont plus de 1 500 TPE-PME face à 150 donneurs d’ordre qui font du business et plus de 3 500 contrats signés en 2020.
Pour soutenir les commerces autorisés à ouvrir en cette nouvelle période de confinement, la CCIAMP remet en ligne sa plateforme Géo’Local13. Cet outil de géolocalisation des établissements ouverts est-il vraiment efficace ?
Nous avons été précurseurs durant cette période sur pas mal de sujets. Par exemple, avec le lancement de Géo’Local13. Les commerces ont fermé le 17 mars 2020. Moins d’une semaine plus tard, elle était déployée massivement dans la région, puis dans 69 départements lors du premier confinement. Le ministre Bruno Le Maire, nous a demandé de la déployer à l’échelle nationale lors du deuxième confinement.
Ce dispositif est parti d’ici en quatre jours. On a fait lors du premier confinement 1,8 million de visiteurs uniques et 1,2 million sur le deuxième de clients consommateurs qui cherchent à savoir quels commerçants, artisans et même agriculteurs se trouvent à proximité de chez eux et sont ouverts.
Quels sont les retours sur l’opération des chèques-cadeaux Treize’Local pour soutenir les commerçants ? Sa mise en œuvre a été quelque peu compliquée chez certains commerçants.
Nous avons un peu manqué de temps pour accompagner de manière optimale sa mise en place, mais c’est quand même un millier de commerçants qui ont participé à l’opération, pour près de 500 000 euros de vente de chèques-cadeaux. Au 31 janvier 2021, plus de 350 000 euros étaient dépensés. On a décidé de poursuivre cette action en 2021. Nous allons d’abord l’étendre sur le territoire pour attendre 2 000 commerces.
Depuis le début de l’année, nous avons près de 200 commerçants de plus, et notamment dans des endroits où nous étions peu présents, comme la zone industrialo-portuaire de Fos. On a aussi déjà vendu pour 2021, plus de 200 000 euros de chèques-cadeaux. Les équipes de la Chambre continuent d’aller sur le terrain avec les associations de commerçants pour accompagner la mise en place de ce dispositif. D’autre part, nous avons demandé une dérogation au ministère de l’Économie et des Finances pour pouvoir utiliser massivement ce dispositif dans les bar-restaurants dès leur réouverture. On attend une réponse.
« On travaille en proximité avec le sous-préfet à la relance, Benoît Mournet, avec lequel nous allons prochainement rencontrer les entreprises directement sur le terrain ».
Les entreprises du territoire ont-elles su ou pu profiter de France Relance ?
Nous avons tenté de sensibiliser les entreprises, par exemple, toutes les PMI industrielles, mais sur les 690 appels, une trentaine seulement nous a demandé de poursuivre des discussions plus approfondies, et 5 qui ont déposé un dossier. Les entreprises n’ont pas pu forcément en profiter, parce qu’elles n’avaient pas de projet prêt, d’une part, mais la plupart du temps, parce qu’elles se concentrent sur la manière de faire tenir leur entreprise.
On n’est pas dans le bon tempo, mais ce n’est pas de la faute du gouvernement, car la crise joue les prolongations. Ce n’est pas un dispositif très adapté pour les TPE-PME. Ça sera productif sur d’autres points, comme la rénovation énergétique des bâtiments publics, la diminution des charges sur les impôts productifs pour les entreprises, l’accompagnement à l’apprentissage avec des solutions d’embauches supplémentaires d’apprentis… On travaille en proximité avec le sous-préfet à la relance, Benoît Mournet, avec lequel nous allons prochainement rencontrer les entreprises sur le terrain pour répondre directement à leurs questions.
Vous avez décidé de mesurer l’efficacité de votre action. L’étude Goodwill sur l’empreinte économique de la CCIAMP montre qu’il y a une progression de votre impact économique. Avec la crise, êtes-vous confiant pour les années à venir ?
On voit la progression de 855 millions à 1 milliard (22%) malgré une baisse de 33% sur la période 2016-2019, des ressources fiscales issues de la taxe pour frais de Chambre. Cela a permis de soutenir 10 000 emplois.
Goodwill dit que les actions que nous avons déjà engagées ne sont pas encore toutes opérationnelles. Cela veut dire que si on ne fait plus rien et que l’on termine seulement les projets en cours, cela nous amène à 1,4 milliard à l’horizon 2030 (+ 375M€ par rapport à 2019), par exemple, avec la transformation du Palais de la Bourse, des projets métropolitains comme Henri Fabre ou encore PIICTO, l’Aéroport Marseille Provence, qui devrait retrouver son niveau de 2019 d’ici à 2024, l’activité croisière, le French Smart Port in Med ou encore Kedge Business School.
À cela s’ajoutent tous les projets mis en route en 2020 et qui ne sont pas encore chiffrés, on sera probablement à beaucoup plus qu’1,4 milliard.
« JO 2024 : Je suis aujourd’hui favorable à la mise en place d’une méthode pour en faire une réussite pour ce territoire ».
Dans le cadre de « Tous acteurs » vous avez travaillé sur un certain nombre de projets : le Frioul, la halle alimentaire, le tramway de nuit dans la ZFE… Où en êtes-vous de ces sujets ?
Avec le nouvel exécutif en place depuis cet été nous avons entamé des discussions sérieuses sur quelques sujets. Les équipes travaillent ensemble pour avancer. La ZFE ne pourra se faire sans les acteurs économiques, notamment sur la question du dernier kilomètre.
Je peux dire que nous n’avons jamais autant travaillé sur le sujet de la halle alimentaire, par exemple, que depuis juin dernier, avec différents acteurs, le MIN des Arnavaux, les organisations patronales… L’idée principale est de faire quelque chose en circuit court et que cela puisse démarrer d’ici à la fin 2022. J’ai bon espoir que ça aboutira, que ce soit dans un lieu temporaire ou définitif. Mais il y a aussi d’autres grands sujets sur lesquels il y a nécessité que le territoire se mobilise rapidement.
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À quel sujet pensez-vous en particulier ?
Les JO 2024 par exemple. C’est dans trois ans. C’est par essence une chance extraordinaire pour notre territoire. Nous n’aurons certes pas la même exposition que Paris, mais nous aurons quand même une belle exposition, et il faut en profiter pour faire découvrir cette ville-monde qu’est Marseille.
Il faut que ça devienne une fête populaire et donc que l’on travaille à l’appropriation par les concitoyens de cet événement majeur. Et pour ça il faut qu’on soit prêt, que nos infrastructures soient prêtes, que les travaux du cœur d’aérogare de l’aéroport soient terminés. Il faut aussi que l’ensemble du territoire prenne conscience que si on veut accueillir dignement le monde entier il faut que l’on soit en capacité de renseigner au moins en plus du français dans une deuxième langue internationale, c’est-à-dire l’anglais.
Il va falloir donc former, car nous sommes en retard là-dessus sur le territoire, n’ayons pas peur de le dire. Il faut intégrer une dimension artistique et culturelle à ce rendez-vous. La Chambre de commerce et les acteurs économiques ont un rôle très important à jouer. Je suis aujourd’hui favorable à la mise en place d’une méthode pour en faire une réussite pour ce territoire. Je me mets et je mets cette maison au service de la collectivité et des Marseillais pour créer très vite un système de préfiguration un peu à l’instar du modèle de Marseille-Provence 2013. On n’a plus le temps d’attendre. C’est ça aussi le rebond, c’est un événement qu’on ne peut pas rater.