Si, dans son histoire, Marseille a été touchée plusieurs fois par la peste, l’épidémie de 1720 est celle qui aura laissé le plus de traces. 40 000 Marseillais meurent de la maladie, soit la moitié de la population de l’époque. Pendant très longtemps, la responsabilité de l’épidémie a été octroyée au Grand-Saint-Antoine, un navire en provenance de Syrie. Mais une étude récente contredit cette hypothèse.
Avant d’en venir à l’arrivée du Grand Saint-Antoine à Marseille en 1720, il faut savoir que la ville est soumise à des conditions sanitaires plutôt strictes concernant l’accostage des bateaux. Car Marseille fait commerce avec les pays du Proche-Orient où la peste est endémique. La Cité Phocéenne a d’ailleurs déjà été touchée par la maladie, notamment en 1580. Toutefois, en 1720, cela fait 60 ans que la peste n’a pas été décelée dans la ville. Une situation qui s’explique par le fait qu’à Marseille et en Méditerranée, des mesures de sécurité sont appliquées lors de l’arrivée de navires.
Un contrôle de sécurité « drastique » pour les navires
Dès le 17e siècle, les navires en provenance du Proche-Orient et souhaitant venir en France devait d’abord récupérer une « patente ». Il s’agit en fait d’un certificat qui précise l’état sanitaire de la ville où le bateau se trouve pour alerter les autres villes d’éventuels risques d’épidémie.
Si la patente est « nette », cela signifie qu’il n’y a rien de suspect au moment du départ du navire. Deux autres niveaux peuvent être spécifiée : une patente « suspecte » lorsqu’une maladie soupçonnée pestilentielle règne dans le pays ou « brute » lorsque la région est contaminée par la peste.
Lorsqu’un navire arrive à Marseille, le capitaine l’accoste à l’île de Pomègues, qui servait alors de lieu de quarantaine. Il rejoignait ensuite le bureau de santé de la ville, situé dans l’actuel bâtiment au pied du Fort Saint-Jean, pour présenter sa patente. Selon cette dernière, les personnes ayant navigué, les cargaisons et le navire sont mis en quarantaine pour une durée plus ou moins longue, pouvant aller respectivement de 18, 28 et 38 jours à 35, 50 et 60 jours. En cas de peste avérée, c’est sur l’île Jarre de l’archipel de Riou que les bateaux sont envoyés.
Comment la peste a-t-elle pu arriver en 1720 ?
Malgré ces mesures sanitaires, la peste a réussi à atteindre Marseille et à se propager. En mai 1720, le Grand Saint-Antoine revient dans la Cité Phocéenne, qu’il a quitté neuf mois plus tôt, après plusieurs escales au Proche-Orient. Sa cargaison, qui appartient notamment à des notables, se compose d’étoffes de soie et de balles de coton, destinées à être vendue à la foire de Beaucaire au cours du mois de juillet.
Lors de toutes ses escales, le Grand Saint-Antoine a obtenu des patentes nettes. Pourtant, au cours de son voyage, le navire enregistre neuf décès à bord, dus à une fièvre maligne pestilentielle. S’il ne s’agit pas de la peste, le bateau s’est vu refusé l’entrée au port de Livourne (Italie), juste avant son arrivée à Marseille, à cause de cette fièvre.
Arrivé à Marseille, le capitaine du Grand Saint-Antoine se rend, comme la réglementation le veut, au bureau de santé. Suite aux décès survenus à bord, ce dernier décide d’abord d’envoyer le navire à l’île Jarre avant de finalement choisir de l’envoyer à l’île de Pomègues. Les marchandises sont, elles, débarquer aux infirmeries du Lazaret d’Arenc, fait inhabituel. Quant aux décès arrivés en mer, il est stipulé qu’ils sont survenus à cause de mauvais aliments. Et concernant ceux survenus après le voyage, aucun lien avec la peste n’est déclaré.
Il faut attendre la fin du mois de juin 1720, soit un mois après l’arrivée du Grand Saint-Antoine, pour que le bureau de santé ne prenne de réelles mesures sanitaires. Suite à la mort de plusieurs mousses, l’instance décide d’envoyer le navire sur l’île Jarre afin de le brûler et d’enterrer les cadavres dans de la chaux vive. Il est malheureusement déjà trop tard : des tissus issus des cargaisons du bateau ont été sortis en fraude des infirmeries, transmettant la peste dans la ville.
Une propagation de Marseille à toute la Provence
Différents cas de décès dus à la peste sont diagnostiqués à partir de la fin du mois de juin. Au bout d’un mois, le nombre de décès augmente de plus en plus. Malgré les mesures prises pour éviter la propagation (cadavre enterrés dans de la chaux vive, maison des morts murés, combustion de soufre dans les maisons), celle-ci continue sa route et se répand dans tous les quartiers de la ville.
Le 31 juillet 1720, le parlement d’Aix interdit même aux Marseillais de sortir de la ville et aux Provençaux de communiquer avec eux. Malgré tout, la peste passe outre les frontières marseillaises. Les communes alentours comme Allauch, Aubagne, Cassis sont atteintes. Seule la commune de La Ciotat, protégée par ses murailles, est épargnée. La peste va même plus loin : Aix-en-Provence, Arles, Toulon, Alès, Avignon, le Gévaudan…
Si l’épidémie recule à partir d’octobre 1720, il faudra toutefois attendre la fin de l’année 1722 pour que s’éteignent les derniers foyers de peste en Provence. Au total, sur une population de 400 000 personnes, entre 90 000 et 120 000 victimes sont à déplorées. Dont, à Marseille, 30 000 à 40 000 décès sur les 80 000 à 90 000 habitant que comptait la Cité Phocéenne avant la maladie.
Le Grand Saint-Antoine finalement hors de cause ?
En 2016, selon une enquête de chercheurs allemands de l’Institut Max-Planck, il ressort que la Grand-Saint-Antoine ne serait pas à l’origine de l’épidémie. Après analyse de la pulpe dentaire de personnes décédées à cette époque, l’étude montre que la peste de 1720 est en fait une résurgence de la première pandémie de peste, la peste noire, ayant sévi en Europe au 14e siècle. Le germe de la peste noir serait resté endormi pendant trois siècles avant de resurgir. Pourquoi ? Pour le moment, cette question n’a pas trouvé sa réponse.
Si des troubles planent donc encore quant à l’origine de la peste, les raisons de sa propagations sont, elles, bien connues. D’un côté, l’absence de connaissance sur les modes de propagation de la peste a favorisé son impact. Certaines mesures prises pour limiter la propagation, parfois superstitieuses, se sont parfois révélées complètement inefficaces, comme le recours à la saignée par exemple. Aussi, les cadavres laissés dans les rues faute de place dans les infirmerie ont aussi permis à la peste d’infecter plus de monde.
Les restes du Grand Saint-Antoine exposés
Le Grand Saint-Antoine a été brûlé sur l’île Jarre à la fin du mois de septembre 1720. Son épave calcinée a été retrouvée en 1978 entre 10 et 18 mètres de profondeur, par une association de plongée sous-marine. Son ancre, qui pèse près d’une tonne pour 3,80 mètres de long et 2,50 mètres d’envergure, a été remontée à la surface. Restaurée en 2012, elle est depuis installée à l’entrée du musée d’Histoire de Marseille.
À la fin du mois de décembre 2017, Guy Seguin, un artisan marseillais a réalisé une réplique du Grand Saint-Antoine, mesurant 1,20 mètre de long. Une maquette offerte au musée d’Histoire de Marseille qui devrait l’exposer prochainement, au cours de l’année 2018. Plus d’informations dans notre reportage en cliquant ici.
Pour aller plus loin
Par Agathe Perrier
Un bateau venu d’Orient. Un maire lui-même marchant d’étoffes. Une corruption sanitaire puis le même maire d’un extrême dévouement!….. Quelle belle histoire !