La Ville de Marseille poursuit sa politique de renaturation des espaces publics et de réhabilitation des parcs et jardins avec des actions marquées cette année. En cette rentrée 2023, Nassera Benmarnia, adjointe au maire en charge des espaces verts, nous a accordé un entretien.
Marseille, ville plus verte. C’est suivant ce pilier du triptyque devenu son slogan de campagne que l’équipe municipale poursuit sa politique de verdissement de la cité phocéenne. 2022 a permis de mettre en œuvre une nouvelle stratégie pour co-construire ce Marseille vert avec les habitants et les services à travers notamment de nombreuses concertations publiques. « En 2023, nous entamerons aussi la grande végétalisation de Marseille », annonçait le maire de Marseille, début janvier à l’occasion de ses vœux à la presse.
L’année sera, en effet, marquée par le renforcement des actions en faveur du retour de la nature en ville, avec par exemple la poursuite des travaux de réhabilitation puis l’ouverture au public de plusieurs jardins et squares. Mais aussi avec le lancement de l’ambitieux plan arbres, revu à la hausse. Le cabinet d’études interne de la direction des parcs et jardins a également engagé une réflexion sur d’autres manières de planter pour optimiser la gestion de l’eau.
Nassera Benmarnia, adjointe en charge des espaces verts et du retour de la nature en ville, nous expose sa vision et détaille quelques sujets clés pour faire germer ce Marseille plus verdoyant.
La Ville prévoit de planter 308 000 plants forestiers, dont 8 000 arbres d’ici à la fin du mandat. Pouvez-vous nous donner des précisions sur le plan arbres ?
Les arbres sont des alliés pour adapter la ville aux changements climatiques et à la crise de la biodiversité. C’est un projet qui va nous permettre d’intervenir sur l’ensemble du patrimoine municipal (parcs, jardins, écoles, cimetières, centre municipal d’animation, équipements sportifs…). Nous sommes partis de l’existant et selon les usages des équipements, nous planterons différemment.
Nous envisageons 8 000 arbres de belle stature, avec des troncs de 20 centimètres de large et de 2 à 2,50 mètres de hauteur. Ensuite, des buissons et des plantations de moins grande envergure (25 à 35 centimètres de haut), mais qui prendront toute leur place sur le domaine communal. Ça permettra également d’améliorer la fonctionnalité écologique des habitats. Selon les lieux, nous aurons des arbres d’alignement, des clairières ou des bosquets qui auront leurs fonctions.
Il est prévu de planter 5 500 arbres dans les parcs et jardins, 2 200 dans les écoles, crèches et centres d’animation (CMA) et 200 000 plants forestiers. Les terrains sportifs sont aussi concernés, avec 300 arbres et 100 000 plants forestiers, pour lesquels on aura aussi un autre mode de plantation en bordure.
Quelles essences d’arbres avez-vous choisies ?
On a choisi des essences d’arbres peu consommatrices d’eau, qui apportent de la fraîcheur, qui transpirent… Une palette d’arbres très diversifiée de la Provence calcaire (chênes vert, blanc, micocouliers de Provence, mûriers, érables…) et des arbres urbains comme des platanes et certaines espèces de tilleuls.
On va aussi planter des arbres qui nous permettent de lutter contre les attaques des insectes comme les chenilles processionnaires, avec des plantations de talus et arbustes (filaires, laurier-tins…), sorbiers, chênes, micocouliers, frênes et qui participent à renouvellement du patrimoine. On travaille d’ailleurs sur ces sujets-là avec la Ligue de protection des oiseaux (LPO).
Notre idée avec ce plan, c’est d’atteindre les 30 % de la surface, afin de participer à la création d’îlots de fraîcheur. Il est dissocié de la gestion courante des arbres du patrimoine actuel.
Les arbres sont des alliés pour adapter la ville aux changements climatiques et à la crise de la biodiversité
C’est-à-dire ? Comment comptez-vous optimiser votre gestion ?
Depuis notre arrivée, lorsque nous sommes contraints de couper un arbre pour des raisons sanitaires, il est automatiquement remplacé par un autre, voire deux. D’ailleurs, souvent, les habitants nous interpellent en pensant qu’une fois qu’il est coupé, il faut le replanter aussitôt. Mais comme on gère du vivant, nous sommes sur de la saisonnalité. Donc on plante de novembre à fin mars. Si je coupe pour des raisons de sécurité, par exemple en juin, l’espace vide va rester un certain temps.
Dans le cadre de notre gestion courante du patrimoine arboré, tout n’est pas simple. Par exemple, dans une école, lorsque les racines d’un arbre, dont il a besoin pour vivre, prenne toutes leur place dans la cour, elles gênent. On ne peut pas les couper, ce n’est pas comme un tuyau d’arrosage qu’on peut stopper, mais il a pratiquement la même fonction. Les feuilles peuvent aussi être source de gêne dans la cour. Avec ce plan arbres, l’intérêt est de pouvoir mettre en place une logistique après les plantations. Une sorte de « SAV » de l’arbre.
De même, nous montons un marché pour disposer d’un outil efficace qui nous permettra de faire l’inventaire en temps réel de tous les arbres sur le domaine communal avec leur taille, l’essence, leur emplacement, état sanitaire… Ce qui n’existait pas avant. Et cela nous permettra d’optimiser notre gestion.
Quel est le budget alloué au plan arbres ?
Le plan arbres a un coût de 16 millions d’euros sur 7 ans (2022-2029). 11,5 millions d’euros dédiés aux plantations avec 5,5 millions consacrés à la conservation du patrimoine existants (par exemple, réseau d’arrosage…) C’est un important investissement pour lequel nous avons sollicité un soutien de l’Europe, de la Région, du Département, de l’Agence de l’eau et de l’État. [Deux délibérations seront présentées en Conseil municipal ce vendredi 10 février].
Les différents arrêtés de sécheresse pris l’été dernier par le préfet ont impacté les espaces verts. La question de l’arrosage et de l’utilisation de l’eau en général deviennent primordiale. Quelle est votre stratégie, d’autant plus que maîtriser le cycle de l’eau était un engagement de campagne du Printemps marseillais ?
Avant mon arrivée en fonction, le réchauffement climatique n’avait pas été anticipé, et donc la gestion quotidienne de la nature en ville non plus. Les arrêtés de sécheresse, pris par le préfet, nous ont donc poussés à mener une réflexion sur le sujet, pour être exemplaires.
Pour faire appliquer la directive, nous avons été contraints d’interrompre l’arrosage, car, comme mes prédécesseurs n’y avaient pas réfléchi, toutes les arrivées d’eau sont connectées, donc nous ne pouvons pas dissocier l’arrosage des pelouses, de celui des buissons, et des arbres.
Il était donc important que l’on réfléchisse aux nouveaux modes de plantations qui tiennent compte du réchauffement climatique avec une gestion plus vertueuse au quotidien. Nous avons mis en place un groupe de travail qui réfléchit à planter autrement, y compris dans le choix des arbres, peu consommateurs d’eau.
À ce titre, en quoi consiste exactement l’expérimentation lancée sur les pelouses du David (Prado Nord), il y a quelques mois ?
Il s’agit de l’arrosage connecté à la plante, qui détecte à quel moment elle a besoin qu’on l’arrose, avant d’arriver à son flétrissement. L’expérimentation a été interrompue par les six mois d’arrêté de sécheresse, mais sur les 17 mois, nous avons réussi à économiser 40 % d’eau. Cela a un coût, mais on est nécessairement obligé d’en passer par là, pour ensuite dupliquer le modèle sur d’autres parcs et notamment sur notre plan arbres.
Vous inspirez-vous des méthodes d’autres villes ?
Évidemment que lorsque je suis arrivée, j’ai regardé ce qu’il se faisait ailleurs. Mais les communes et leur situation financière ne sont pas les mêmes : les budgets, l’état de l’administration… Rien n’est comparable en fait, en termes d’organisation humaine, de budget. Pour mes prédécesseurs, cette direction n’était pas des plus prioritaires. Aujourd’hui, elle rassemble un peu plus de 200 personnes, il nous en faudrait beaucoup plus.
Nous travaillons à la réorganisation de la gestion de la nature en ville dans son ensemble. Face à ce déficit en ressources humaines dont nous avons hérité, l’entretien se fait beaucoup en prestations externes. L’objectif est d’inverser la tendance, pour avoir les ressources en interne. La gestion du vivant nécessite une adaptation que le travail en régie nous permettrait d’obtenir.
À Marseille, on part de tellement loin. Selon l’OMS, nous avons sept fois moins de nature que ce qui serait préconisé pour le rafraîchissement du corps et de l’esprit. On est à moins de 2 m2 par habitant alors que l’OMS préconise autour de 14 m2/habitant.
La Ville mise beaucoup sur la co-construction et la concertation publique. Cette méthode est-elle efficace ?
Jusqu’à notre arrivée, lorsque la municipalité avait pour projet de faire ou rénover un parc, elle le faisait seule avec la direction des parcs et jardins. Aujourd’hui, dans la démarche de co-construction citoyenne, notre méthode, c’est de nous déplacer sur site avec notre bureau d’études interne qui dresse d’abord un état des lieux pour mener les concertations avec les habitants, les CIQ, les collectifs, les mairies de secteurs…
Cela permet de répondre aux attentes et aux besoins des citoyens qui savent ce qu’ils veulent parce qu’ils vivent au quotidien ces espaces. C’est cette méthode que nous avons utilisée et qui permet aujourd’hui de rouvrir des squares, parcs et jardins, qui ont été renaturés, rénovés et qui ont fait l’objet d’aménagement (jeux pour enfants, mobilier, jardins partagés…). Les équipements demandés doivent bien sûr entrer dans l’espace et dans les cahiers des charges. C’est toute la difficulté de la concertation.
Le square Labadié fait partie de ces fameux espaces qui ont rouvert au public après rénovation ou encore le parc de la Cômerie en cours de restauration ?
Le square Labadié dans le 1er arrondissement a été livré en fin d’année. Celui-ci faisait partie des nombreux squares bétonnés et fermés au public, et que l’on a rouvert avec la mairie de secteur et les associations se le sont appropriées.
Quatre concertations nous ont permis de le réaménager selon la demande des habitants. Par exemple, il y a des composteurs à l’intérieur qui seront réutilisés dans les plantations. Désormais, il y a une aire de jeux (petits toboggans…), la création de massifs plantés sous les arbres pour recueillir les eaux de ruissellement, un emplacement pour un jardin partagé avec arbres fruitiers, l’insertion de mobilier urbain (nombreuses chaises et bancs semi-couchés), de tables d’échecs. [Une rénovation à 115 000 euros pour Labadié, ndlr].
Cette méthode de concertation sera-t-elle utilisée dans le cadre du plan arbres ?
Nous allons même aller plus loin, avec un rapport qui sera présenté en Conseil municipal [ce vendredi 10 février]. Nous allons publier la liste des lieux sur le site de la Ville que nous allons renaturer par des arbres et proposer aux citoyens de participer à cette vaste plantation et à sa préservation. De nombreux citoyens alertent déjà sur l’état sanitaire des arbres. C’est important de les impliquer.
La Ville a lancé un plan de gestion pour le parc Longchamp. Une première réunion publique s’est tenue le 5 décembre dernier. Quel bilan en tirez-vous ?
Avoir deux présentations citoyennes la même semaine [l’Annonciade (15e), début décembre, ndlr] avec la participation d’une centaine de personnes montre que ces sujets intéressent. Il y a eu des échanges pertinents. Je suis ravie, on va pouvoir faire de belles choses.
Quelles sont les conclusions aux questionnaires réalisés par un collectif citoyens qui regroupe Jardins collectifs Longchamp, Les Colportes, Marseille en transition et dont l’analyse a été effectuée par les étudiants de Science Po et de la faculté de géographie (Amu) ?
L’étude sur le parc Longchamp se fait sur les quatre saisons, il ne se vit pas de la même manière d’une saison à une autre. L’été, on a plus de 2000 personnes par jour qui fréquentent ce parc, et l’hiver plutôt les habitués.
Les étudiants ont analysé 900 questions après avoir observé les usages dans le parc et interrogé ceux qui le fréquentaient. On se rend compte que les activités les plus populaires sont concentrées au nord du parc (anniversaire, foot…), car les gens viennent en transports en commun. Dans le sud, ce sont plutôt des gens du centre-ville. Il y a d’autres types de pratiques (yoga, jogging… ). On observe que les publics adultes se mélangent lorsque les enfants jouent ensemble notamment sur l’aire de jeux. C’est un parc où chaque Marseillais retrouve ce qu’il vient chercher.
Cette étude nous a aussi révélé des endroits que l’on pensait peu utilisés, où se retrouvent les amoureux ou les bandes de copains. Au travers de ce parc, on gère, en réalité, une partie de la ville de Marseille avec tout ce qui la compose. On veut en faire un outil citoyen.
Quelles sont les conclusions du plan de gestion concernant le parc Borély ?
C’était une commande de l’ancienne municipalité. Il ne nous convient pas, car aujourd’hui, on ne gère plus les parcs et jardins comme cela se faisait avant. Indépendamment d’un projet global, pour le moment, on avance espace par espace, sur ce qui est de l’emprise actuelle du parc : la création de la serre pédagogique, la préservation de la serre Eiffel, dont nous avons demandé le classement au titre des Monuments historiques. La première commission devrait avoir lieu au printemps… À l’heure actuelle, un nouveau plan de gestion n’est pas prévu, car il faut d’abord savoir ce qu’on veut faire sur ce périmètre.
Certains parcs et jardins de la ville sont désormais dotés de toilettes sèches. Sitôt installées, déjà dégradées, sans compter qu’aller au petit coin dans ces espaces verts reste très problématique. Quelle réflexion menez-vous aujourd’hui sur ce sujet ?
Je connaissais l’état des toilettes dans les parcs classiques quand j’y allais avec mes enfants. La beauté d’un parc et sa qualité, ce sont aussi les services qu’on y trouve, et donc irrémédiablement les toilettes. On n’est pas au top et c’est peu dire : les toilettes sont vétustes, anciennes (toilettes turques), fermées…
Je fais actuellement inventorier toutes nos toilettes selon un code couleur (rouge-vert-orange), comme j’ai fait pour les squares. Selon leur niveau de vétusté et selon les budgets, le rouge indique les rénovations prioritaires et quand il y a en a plusieurs de la même couleur, le taux de fréquentation entre en jeu.
Parallèlement, j’ai décidé de développer ce concept de toilettes sèches écolabellisées. Elles entrent dans la logique de notre gestion d’une part et représentent plusieurs avantages : elles restent plus propres, grâce au système de vidange et de curage de la fosse septique. Elles fonctionnent sans eau, pas de sciure et ça ne sent pas mauvais. Comme le marché n’est pas encore très développé, ça reste très cher : 35 000 euros par toilette sèche pour leur location et leur entretien.
J’ai renouvelé le marché pour un an, le temps d’aboutir à la réflexion sur le sujet. J’en ai fait poser quelques-unes comme à Font Obscure, au parc de la Calade, à Borély, Pastré, la Moline, la Mirabelle… 14 en tout.
La réflexion menée aujourd’hui, et je ne sais pas si elle va aboutir, est de rénover les toilettes, puis de passer une convention de partenariat avec des entreprises d’insertion, ce qui me permettrait de mettre des « madames pipi », du moins dans les grands parcs où il y a déjà les toilettes en dur. Avoir recours à l’insertion professionnelle est plus dans mon ADN et dans celui du maire. C’est une idée sur laquelle nous travaillons.