Benoît Payan ne s’était pas exprimé depuis le 21 décembre, date de son élection dans le fauteuil de maire de Marseille. A l’occasion d’une conférence de presse, l’édile a annoncé que 2021 sera l’année du « changement », marquée par une profonde réforme des services municipaux. Avec cette restructuration de l’institution, le socialiste veut incarner « la rupture », pour l’intérêt des Marseillais et affirmer la position de la deuxième ville de France.
C’est sa première fois. La première fois depuis son élection que le nouveau maire de Marseille prend la parole devant la presse. Le 22 décembre, alors invité de France Inter, Benoît Payan déclinait les trois priorités du mandat : l’école, le logement et la crise sanitaire. Et assurait que le cap fixé ces premiers mois par Michèle Rubirola, restait inchangé. Mais le socialiste entend marquer son empreinte et impulser une nouvelle dynamique.
Lui conçoit la politique comme l’amour : « Il y a les actes et il y a les mots ». Alors, place « à l’action » en s’imposant comme l’homme de « la rupture ». Paradoxalement, pour définitivement tourner la page d’une époque qu’il a tant critiquée au sein de l’hémicycle municipal. Puis écrire une nouvelle histoire en rose, mais surtout « plus juste, plus verte et plus vertueuse » avec les Marseillais(es).
Pour conquérir sa ville de cœur, 2021 marquera incontestablement le « changement ». L’ancien opposant de Jean-Claude Gaudin, désormais aux manettes, veut qu’elle soit une « année utile aux Marseillais ». Plus qu’une formule de style, un exercice de réforme en profondeur des services est annoncé. « On ne transformera pas Marseille avec des méthodes d’un ancien temps. Si nous héritons d’une situation, nous ne sommes les héritiers de personne », dit-il ; comme pour revendiquer sa liberté. Se détacher de son étiquette politique qui, il y a encore quelques mois, constituait un fardeau à sa candidature.
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Un grand plan de transformation et modernisation des services municipaux
Le maire – qui s’est longtemps « battu contre la mauvaise gestion » de la Ville – présentera dans les prochaines semaines, aux côtés d’Olivia Fortin, son adjointe en charge de la modernisation et du fonctionnement des services, un « grand plan de transformation, de modernisation et de rupture dans notre organisation ». Au-delà d’une volonté forte de son équipe, « cette rupture est nécessaire, car elle est exigée par les Marseillais(es) » ; pour construire « une Mairie moderne qui fonctionne et qui agit pour ses habitants ».
Il assure même que c’est un souhait d’une grande partie des quelque 17 500 agents [environ 13 000 titulaires de la fonction publique territoriales, 2 000 vacataires et un peu plus de 2 000 marins-pompiers, ndlr] que compte la collectivité. Échanges, discussions, nouvelle manière de travailler… Le maire veut insuffler un élan de passion, ou, à défaut, redonner de la motivation aux agents, dont certains « sont parfois restés assis durant 30 ans sur la même chaise. Jusqu’à présent, ces agents étaient considérés comme un poids, un héritage de l’histoire indépassable, comme l’archétype de ce qu’il ne faudrait plus faire. Je veux qu’on transforme ça en avantage. Je veux en faire une chance ».
Point de badinages pour ce fervent opposant à « l’immobilisme ». La rupture devrait aussi être consommée au sommet des services de la Ville. Avec dans ses rangs 14 directeurs généraux adjoints, c’est « une sédimentation incroyable, déclare Benoît Payan. C’est le fruit d’une histoire incroyable et cela ne peut pas être la nôtre ». Un remaniement qui vise notamment « à écarter plusieurs cadres jugés trop proches de l’équipe Gaudin », comme l’écrit Marsactu et confirmé, hier matin, en marge de la conférence de presse.
Pour faire fonctionner le vaisseau amiral, la Mairie va également se doter d’outils de démocratie participative « inexistants dans cette maison ». Comme nous l’annoncions dans un précédent article, la Ville va s’attacher cette année « à fabriquer » les budgets participatifs tant attendus par les citoyens.
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« Je préfère la justice fiscale »
Et de ces budgets à un autre… 2021 sera loin d’être une partie de plaisir, en raison notamment des finances de la Ville que le maire veut « assainir » dès cette année. Durant la campagne, le Printemps marseillais avait annoncé qu’il répondrait point par point aux recommandations de la Chambre régionale des comptes, qui avait étrillée la gestion de la Ville, en 2019.
Le maire présentera dans quelques semaines l’audit réalisé par le cabinet Deloitte, « car cela nécessite une expression complète et un exercice de transparence. Il faut montrer aux Marseillais(es) la réalité de la ville ».
D’ores et déjà, l’étude laisse apparaître une situation très préoccupante. « Les retours sont extrêmement inquiétants, les premiers chiffres montrent que nous sommes dans une situation très compliquée. C’est assez hallucinant ». [lire ici]
À ses détracteurs qui brandissent la menace d’une mise sous tutelle financière de la Ville, il se veut rassurant : « on en est très loin ». Des opposants de l’hémicycle dont certains ont été aux manettes durant de longues années, ce qu’il ne manque pas de relever : « c’est un aveu terrible que je veux bien leur laisser ».
Dans ce contexte, pas question pour autant d’instaurer une politique d’austérité ou de mettre en péril la feuille de route du Printemps marseillais. En plus de rationnaliser le fonctionnement des services, la majorité ira chercher « tous les fonds possibles […] on se retrousse les manches, il y a des politiques volontaristes à mener. Il faut être inventif, aller chercher des aides de l’État sur des projets concrets ».
A la question du levier fiscal, Benoît Payan prône plus d’équité : « les bases à Marseille sont injustes. Le système fiscal ici n’a aucun sens dans certaines zones à 10 000 €/m² on paye moins d’impôts que là où le prix est à 2 ou 3 000 €/m² ». Il souhaite donc mener un travail avec les services fiscaux « pour équilibrer tout ça. Je préfère la justice fiscale ».
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« Marseille a décidé de changer de destin »
L’autre enjeu est de replacer Marseille au centre des grandes décisions territoriales, mais aussi avoir voix au chapitre au niveau national. Avec les instances – Métropole, Département et Région – à droite politiquement, le nouveau maire de Marseille commence à « travailler ». « On va pousser politiquement. On veut et on a besoin des outils de transformation sociale, urbaine, logistique… », insiste-t-il.
Pour exemple, le Printemps marseillais proposera à la présidente du Département une orientation pour les 100 millions d’euros de subventions qui devraient être votées cette année pour des projets marseillais. « Il serait antagoniste et incompréhensible que le Département vote contre l’avis de la Ville. On ne veut pas de ravalements de façade de cathédrale. C’est important, mais ce n’est pas la priorité. C’est pour nous l’habitat indigne, les écoles, l’aide aux plus fragiles… Si le Département veut aider Marseille, nous lui montrerons quel chemin emprunter pour le faire ».
Marseille attend également une oreille attentive de la part de l’État et une considération pour la deuxième ville de France. Pour Benoît Payan, « il n’est pas concevable que la capitale de cette région ne soit pas associée à la manière dont ce plan de relance doit être effectué », lâche-t-il ; en référence au Contrat d’avenir, signée lundi à Toulon, avec le président de la région Sud, Renaud Muselier et le chef du gouvernement, Jean Castex, d’où il est rentré contrarié. « Il y a deux jeux dans la vie : on peut jouer à « ni blanc, ni noir » ou à ne pas dire « Marseille ». Le Premier Ministre a gagné dans la deuxième catégorie. Il a réussi l’exploit de ne jamais citer Marseille ».
Ce lundi 11 janvier, Benoît Payan sera à Paris, à l’occasion du One Planet Summit, pour préparer le Congrès mondial de la nature qui aura lieu au mois de septembre au Parc Chanot. « Marseille existe, Marseille a décidé de changer de destin. C’est une ville qui mérite et qui nécessite toute l’attention du gouvernement et c’est ce que je redirai au Premier ministre ». Il tiendra le même discours au chef de l’État, même si aucun tête-à-tête n’est prévu à ce stade. Reste désormais à savoir si la méthode Payan séduira.