Yazid Bendaif vit depuis six ans en autosuffisance alimentaire. L’année dernière, il a créé l’association Terre d’entraide et de partage avec laquelle il plante des jardins nourriciers dans les quartiers Nord de Marseille pour recréer du lien entre habitants.
Il est 9 h du matin dans le quartier de Saint-Barthélémy. Pour accéder au jardin de Yazid et Samia Bendaif, il faut descendre des marches d’escalier sur le chemin de Sainte-Marthe, qui sépare la cité de la Marine Bleue et celle de la SNCF. C’est ici, au pied de leur immeuble, que le couple de sexagénaires cultive son « petit paradis », l’un de leurs deux jardins nourriciers.
Tout, ou presque, se mange sur cette parcelle qu’ils surnomment aussi leur « frigo ». Depuis un an, ils y font pousser haricots, tomates, courgettes, choux et fleurs comestibles, qu’ils transforment ensuite en confitures et conserves dans leur cave. « Chaque année, on change de manière de planter, précise Yazid. On essaye de créer une biodiversité, que chaque espèce puisse dépendre des autres ».
La terre, un vecteur de lien social
En ce mois de mai, les rosiers et camélias sont en fleurs, habillant le béton alentour de toutes leurs couleurs. « On se sert de la terre pour nourrir notre corps, mais aussi pour le plaisir des yeux », raconte le jardinier autodidacte de 61 ans.
Un écosystème foisonnant qui profite aux insectes pollinisateurs, mais aussi aux voisins. « J’essaye avec la terre de recréer des liens, et ça marche !, s’enthousiasme Yazid. Quand les gens voient notre jardin, ils s’arrêtent, ils discutent entre eux, avec nous… grâce à ce jardin, on a créé des liens magnifiques avec la population ».
Tout en croquant dans les pétales d’une capucine, Yazid résume sa philosophie : « en partageant et en s’entraidant, on peut recréer de la vie avec pas grand-chose ».
« Ramener de la vie dans la cité »
Yazid et Samia vivent en autosuffisance alimentaire depuis maintenant six ans. Suite à de graves problèmes de santé, le couple s’initie au jardinage en arrivant à la cité SNCF en 2016. Pour « ramener de la vie dans la cité », ils décident de monter un projet de jardins partagés avec l’aide de la Maison des familles du quartier, au bord de la voie ferrée.
« Ici, il n’y avait rien, juste de la verdure laissée à l’abandon, qui doit être débroussaillée 4 ou 5 fois par an. C’était un travail difficile, mais on a démarré ce jardin familial avec six voisins, avec chacun notre parcelle » : 40 m2 de terre cultivée sur sol vivant, avec apports d’engrais naturels et de compost. Très vite, ils se retrouvent avec une abondance de légumes, et commencent à distribuer le surplus à leurs voisins.
Revégétaliser les quartiers Nord
Fin 2020, Yazid est contacté par deux personnes tombées par hasard sur ses jardins dans la cité. Celles-ci lui donnent rendez-vous avec l’équipe de l’Après-M, qui lui tend la main pour aménager un jardin à l’extérieur du restaurant solidaire. Petit à petit, il y fait la connaissance des acteurs locaux de l’agriculture urbaine : le Paysan urbain, l’Épopée, Terre de Mars, Foresta, et la Cité de l’agriculture, qui l’encouragent à développer son projet.
Quelques mois plus tard, Yazid crée l’association Terre d’entraide et de partage, avec pour mission de revégétaliser les cités des quartiers Nord de Marseille en y plantant des jardins nourriciers. Plus de 400 membres ont à ce jour rejoint son groupe Facebook : Yazid y partage régulièrement des « live » et des recettes afin de faire participer un maximum de gens à l’aventure.
« Avec la pandémie de Covid, on a vu de plus en plus de personnes arriver, cabossées par la vie, raconte-t-il. J’ai voulu œuvrer à créer des jardins partagés pour recréer du lien social, familial, intergénérationnel. Je voulais ramener de l’humanité que l’on était en train de perdre. Et en même temps, j’avais l’opportunité d’afficher une autre image de nos quartiers, et surtout de les aider. De montrer qu’ici, il y a de l’accueil, il y a de l’amour, du partage. C’est là que l’histoire a commencé, avec l’envie de donner à l’autre ».
Un jardin partagé au parc de Font Obscure
L’une des actions principales de cette jeune association est l’attribution de lopins de terre cultivable. L’association a récemment obtenu un accord avec la mairie des 13e et 14e arrondissements pour raviver d’anciens jardins laissés à l’abandon près du parc de Font Obscure, à deux pas du centre commercial du Merlan et au croisement de plusieurs logements sociaux, dont la cité de Fontvert, dans laquelle Yazid a grandi.
« Le but est d’attribuer des parcelles pour pouvoir jardiner et se nourrir à des gens qui n’ont pas l’opportunité de faire ça chez eux », précise-t-il. Un moyen concret de se réapproprier l’accès à une alimentation saine en cultivant soi-même sa nourriture. « Et surtout parce que beaucoup de gens, par fierté, ne vont pas aller demander de l’aide alimentaire de leur plein gré ».
Sur ce terrain parsemé d’arbres fruitiers, l’association a déjà attribué 14 parcelles d’environ 30 m2, qui participent à nourrir autant de familles. « Je fais ça pour essayer de ramener un lien intercité, explique Yazid. On reste dans la même thématique du lien social : que les gens se rencontrent et travaillent ensemble ». En à peine un mois depuis l’installation des jardiniers, les parcelles ont bien poussé. Les oiseaux chantent, les papillons abondent et on en oublierait presque l’axe routier de l’autre côté de la haie.
La première cité autonome en alimentation et en énergie
Yazid est loin d’être à court de projets. Il mène avec Terre d’entraide des animations dans les écoles et aménage des parcelles pédagogiques au collège Auguste Renoir (13e). Un autre jardin est en cours de création au cœur de la cité de la Marine Blanche (14e) « sur 1060 m2 de terrain » avec l’association de paniers bio Graines de soleil.
L’association travaille également avec le bailleur social ICF Habitat dans l’optique d’« embellir » et de revégétaliser la cité SNCF, ainsi qu’à d’autres projets en cours avec la Métropole Aix-Marseille-Provence dans le cadre de la politique de la ville. Yazid espère voir sa cité devenir la « première cité autonome en énergie et en alimentation » en y développant les jardins partagés et en installant des panneaux photovoltaïques sur les toits en tuiles de ces immeubles construits dans les années 50.
Un travail mené sans relâche par cet homme au grand cœur qui compte « passer le flambeau », le but étant aussi de créer de l’emploi au niveau de ces jardins et de faire de la réinsertion. « Moi, je ne suis pas écologiste à la base, j’ai un métier de pollueur !, reconnaît cet ancien carrossier qui entame à peine sa première année de retraite. L’écologie, c’était un réveil. Je me suis remis en question, justement, de la vie que j’avais vécu et de celle que je menais. J’ai eu l’opportunité de pouvoir faire quelque chose, donc j’y suis allé ».
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