À la suite de la publication des appels d’offres en marché global de performance pour la rénovation de 4 groupes scolaires marseillais, les professionnels de la construction réunis en collectif ont décidé de lancer un recours gracieux pour contester cette procédure.
L’histoire est-elle en passe de se répéter ? Après les partenariats publics-privés (PPP), c’est au tour des marchés globaux de performance (MGP) de susciter le débat. Il est à l’image de celui qui avait animé le dernier mandat de Jean-Claude Gaudin, qui prévoyait de faire appel à des entreprises privées via un partenariat public-privé, le fameux PPP des écoles, à plus d’un milliard d’euros pour la démolition-reconstruction de 31 établissements de type « Geep ».
S’en est suivie une bataille judiciaire menée par le « Collectif contre le PPP des écoles », à laquelle des élus de la majorité actuelle avaient apporté tout leur soutien. Un bras-de-fer duquel ils sont sortis victorieux, la justice leur donnant gain de cause.
Aujourd’hui, c’est la décision de la nouvelle municipalité de recourir à un marché global de performance à 85 millions d’euros, pour rénover 5 groupes scolaires en « Geep » qui suscite l’interrogation et même la colère dans le monde de la construction marseillaise. Si bien qu’il y a quelques semaines, six organisations se sont constituées en « collectif contre les MGP »*.
Maxime Repaux, le président du Syndicat des architectes des Bouches-du-Rhône (SA13), a rencontré le maire de Marseille, Benoît Payan, et Pierre-Marie Ganozzi, son adjoint en charge du plan école, du bâti, de la construction, de la rénovation et du patrimoine scolaire, pour échanger sur les modalités de la rénovation. Les élus ont plaidé les contraintes de temps pour obtenir les financements de l’État, dans le cadre du plan de relance, mais aussi de l’Anru, pour ce premier acte du « plan école avenir ». Après quoi, la réhabilitation des autres écoles passera en maîtrise d’ouvrage publique (MOP).
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Les points de crispations
Ces arguments ne tiennent pas pour les membres du collectif. Ils ont décidé de lancer un recours gracieux administratif auprès du maire pour contester cette procédure et la relancer en maîtrise d’ouvrage, à la suite de la publication des appels d’offres en marché global de performance pour la rénovation de 4 groupes scolaires marseillais. « Signer les marchés dans le cadre du plan de relance au 31 janvier 2021 n’est pas un impératif, il peut y avoir des dérogations », explique Maxime Repaux, qui estime que les TPE-PME sont exclues d’office.
« La circulaire transmise au préfet et aux collectivités territoriales précise une volonté que ces marchés soient destinés aux TPE-PME. L’économie de notre pays est maintenue à flot grâce aux TPE-PME qui ne pourront accéder à ces marchés que par la sous-traitance. On nous soumet à de l’esclavagisme pour travailler pour de grands groupes, alors qu’on a le droit de travailler comme on l’entend », rage Patricia Blanchet-Bhang, présidente de la Capeb. « 94 % des entreprises régionales ont moins de 10 salariés et 98 % d’entreprises du bâtiment moins de 20 salariés. Ces chiffres sont impressionnants mais c’est la réalité de notre économie ».
Elle dénonce aussi l’absence de transparence pour les sous-traitants dans ce type de marché « qui ne savent parfois même pas pour qui ils travaillent et combien les grosses entreprises vont se prendre de marge au passage. Si c’est ça le monde d’après, je préfère celui d’avant ». Et les prix imposés par les majors, entraînant « une dégradation du tissu économique et la fin de la qualité de la prestation », renchérit André Battesti, architecte.
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Des délais rapides en loi MOP
Tous plaident en faveur d’une maîtrise d’ouvrage traditionnelle, laquelle nécessiterait « plus de monde pour cette opération », contre trois ou quatre agences avec le MGP, à l’heure où « notre profession est en grande difficulté », ajoute Patrick Verbauwen, président de la société des architectes.
Dans le cadre de la co-production d’action publique, il déplore également le manque de concertation dans ce dossier qui aurait « pu être mieux ficelé », pour coûter moins cher tout en respectant les délais de livraison, soit en 2024. « Si on fait les rénovations en loi MOP, on peut avoir des délais rapides et comprimer les choses comme on le fait en MGP. Nous avons apporté la démonstration que si on lance ça au mois de mai, on pourra en livrer sept, 30% moins cher, et livrés en 2024 ».
Autre point qui suscite l’inquiétude : la démolition de 30% des surfaces. « On préconise de ne pas les démolir, mais on trouve étrange avec la crise financière actuelle de supprimer les bâtiments existants », reprend Maxime Repaux, regrettant également l’absence d’état des lieux sur les écoles. « On propose un remède sans avoir fait un diagnostic » [la Ville a lancé une commission d’enquête le 8 février, ndlr].
Dans le marché publié, la Ville a multiplié par trois la part des TPE-PME, passant à 30 % contre 10% habituellement, intégrant un volet insertion. « 30 % indus qui vont directement dans la poche des majors » du fait de la sous-traitance. « Dans le règlement de consultation les chiffres d’affaires maximum qui ouvre droit au marché sont précisés : 50 millions d’euros, donc ce ne sont que des filiales des majors ou les majors elles-mêmes et pour les TPE, 2 millions d’euros, ça commence à être une grosse entreprise », estime le collectif, déplorant le fait que « couper les rubans tricolores inauguraux » semble primer désormais pour une majorité « qui se dit en rupture avec les pratiques d’antan ».
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« Notre objectif est de faire en sorte que tout le monde s’y retrouve »
Pierre-Marie Ganozzi se défend de cette accusation. Aux yeux de l’adjoint, c’est le contraire. « Aux paroles, on joint les actes. On a reçu deux fois le collectif, ça n’est jamais arrivé sous l’ancienne municipalité », se souvient l’ancien porte-parole du collectif contre les PPP des écoles.
Pour l’élu, comparer le PPP des écoles à 1 milliard et le MGP à 85 millions « n’est pas très honnête, il ne faut pas exagérer. On a multiplié par trois la part des TPE-PME. Nous avons également ajouté un important volet insertion. Ce sont des clauses importantes qui ont permis d’améliorer le contrat et nous n’étions pas obligés de le faire. Notre objectif est de faire en sorte que tout le monde s’y retrouve et d’aller chercher 90% des subventions. Si on y arrive, ce sera une première, car aucune autre ville ne l’a fait ».
En termes de délai, l’élu explique que le package proposé permet de réduire de 30% les dépenses énergétiques. « Quelles sont les écoles dans lesquelles nous pouvons faire ça ? Ce sont les Geep. Et nous avons ciblé celles-ci en premier lieu pour obtenir 50 % des fonds de relance qui vont s’additionner avec l’Anru, soit 90% », réitère-t-il. Ajoutant « notre DGS [directeur général des services, ndlr] a travaillé à Paris, à la Métropole de Lyon, la construction des écoles, ces chantiers, il maîtrise tout ça parfaitement. Nous ne sommes pas dans l’idéologie, mais dans l’efficacité, le pragmatisme, pour aller chercher l’argent partout où c’est possible ».
La Ville devrait rester sur sa position. Le collectif, lui, est prêt à déposer un recours en contentieux auprès du tribunal administratif. Celui-ci n’étant pas suspensif, il ne mettra pas un frein à l’avancée du dossier.
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