Bus, train touristique, bateaux, avions… les transports se mettent progressivement au vert dans la région marseillaise. Une transition impulsée par les élus, les dirigeants et par les normes européennes pour réduire les émissions de carbone et rester compétitifs.
Sous leur hangar du quartier Saint-Antoine (15e), les Colorbüs dorment encore. Le patron de l’entreprise, Julien Guedj, qui a racheté 100% des parts de l’entreprise au groupe d’assurance Swaton, s’apprête à dévoiler son nouvel autocar touristique.
Repeint en vert, le véhicule acquis d’occasion a été « rétrofité » : son moteur thermique a été remplacé par un moteur électrique. L’opération a coûté 250 000 euros, contre 400 000 euros pour l’achat d’un bus électrique neuf. « Le rétrofit c’est la solution d’avenir », souffle Julien Guedj souhaitant ainsi « donner l’exemple aux autres compagnies ».
Le patron de Colorbüs se prépare également à la norme européenne qui interdira la vente de véhicules thermiques à partir de 2035. Mais surtout, selon Emmanuel Flahaut, dirigeant de l’entreprise spécialisée Retrofleet, passer à l’électrique est devenu un enjeu financier pour les entreprises : « Décarboner le transport permet d’avoir accès à l’argent des banques et de rester compétitifs car les clients souhaitent aussi réduire leur empreinte carbone ».
Le reste de sa flotte de 11 bus, dont quatre autocars de tourisme, est alimentée au HVO (huile végétale hydrogénée) : un carburant issu d’huiles végétales et animales permettant de réduire de 85% les particules fines par rapport au diesel.
La dirigeante du petit train touristique de Marseille, Emilie Cheval, a également fait ce choix pour ses 12 véhicules basés au départ du Vieux-Port : « Ça coûte un peu plus cher au litre mais je ne vous cache pas qu’on essaie de s’adapter aux exigences de la mairie de Marseille », soutient-elle.
Des élus de la Ville de Marseille étaient d’ailleurs présents pour applaudir l’inauguration de ce bus électrique. Depuis le début de son mandat en 2020, la municipalité prône en effet un tourisme plus durable et étalé sur les quatre saisons, réfutant ainsi le tourisme de masse concentré dans un pic estival.
Le port de Marseille-Fos : un « pionnier » de l’électrification à quai
Depuis sa reprise de l’Office du tourisme de Marseille, la Ville compte davantage renforcer cette stratégie, notamment en régulant mieux la croisière de masse, de gros bateaux qui transportent entre 2 000 et 10 000 passagers. La Ville de Marseille a d’ailleurs commandité une étude cet été pour connaître précisément le nombre de croisiéristes qui descendent des navires pour visiter Marseille.
De son côté, le président du Club de la croisière, Jean-François Suhas, rappelle que l’électrification du Grand port maritime de Marseille (GPMM) a démarré en 2017. Ce qui en fait l’une des places maritimes « pionnière » dans le monde. Ce dispositif permet aux immenses navires de couper leurs moteurs quand ils sont en escale, et éviter de polluer l’air des Marseillais.
Entre 2017 et 2019, le port a équipé le secteur des ferries reliant la Corse avec cinq prises électriques sur le quai de la Joliette, à côté des Terrasses du Port. A suivi, en juin 2023, le terminal du Cap Janet (Maghreb) sur lequel quatre navires peuvent maintenant se connecter. En 2025, trois autres prises viendront s’ajouter sur le terminal Croisières MPCT.
La transition des bateaux de tourisme
Si les infrastructures sont disponibles, ce sont aussi aux compagnies maritimes d’équiper leurs bateaux. Car, en 2030, tous les armateurs devront se brancher comme l’impose la réglementation européenne. Mais cette démarche est plus lente. Aujourd’hui, sur le Cap Janet, seules les compagnies Corsica Lina et la Méridionale se connectent à quai.
La compagnie corse rouge et blanche mise aussi sur le gaz naturel liquéfié (GNL). Son premier navire propulsé au GNL « A Galeotta » a été inauguré en grande pompe avec le ministre des Transports de l’époque, Clément Beaune, en janvier 2023. Mais le GNL est un carburant de transition car il reste une énergie fossile. Les compagnies se tournent donc également vers des biocarburants comme le HVO.
Pour rester compétitives, les compagnies cherchent aussi à innover. La compagnie de luxe Ponant planche depuis plusieurs mois sur la conception d’un voilier neutre en carbone d’ici 2030 : le Swap2zero. Ce bateau est doté d’un système vélique permettant de fournir 50% de l’énergie de propulsion, de 1000 m2 de panneaux photovoltaïques pour fonctionner à l’électricité, et d’une pile à combustible alimentée à l’hydrogène liquide.
Mais à ce stade, l’hydrogène ne peut s’utiliser seul pour alimenter les bateaux. Cette énergie est donc utilisée en complément d’un biocarburant, de GNL ou même de diesel ou fuel plus polluants.
La petite plaisance passe aussi à l’électrique et l’hydrogène
L’hydrogène est plus facile à utiliser pour la petite plaisance au regard de leur plus petit gabarit. La fondatrice de Hynova, Chloé Zaied, a d’ailleurs inventé le tout premier bateau propulsé à l’hydrogène sur le chantier naval de La Ciotat.
La skippeuse va d’ailleurs proposer des excursions au départ du port de l’anse de la réserve à Marseille, pendant la saison estivale, puisque son entreprise a remporté un appel à projets de la Chambre de commerce et d’industrie Aix-Marseille-Provence (CCI AMP), qui gère le port en délégation de service publique (DSP).
Ce projet lui permet d’avitailler son navire grâce à une station hydrogène installée in situ. Deux autres entreprises seront à ses côtés avec leurs flottes électriques : le loueur Zeboat et Comarbel, une entreprise de balades guidées jusqu’à la Marina olympique, également spécialisée dans le rétrofit de bateaux à moteurs thermiques.
Le petit port, qui a renouvelé sa labellisation « ports propres » en 2023, ambitionne d’être une vitrine des excusions propres et de l’innovation pendant les Jeux olympiques et paralympiques cet été.
Le développement des « SAF » pour l’aviation
L’aviation teste également depuis quelques années des carburants moins polluants. À l’aéroport Marseille Provence, les avions sont obligés d’intégrer 1% de SAF (Sustainable Aviation Fuel) dans leur réservoirs comme la réglementation européenne l’exige.
Ce carburant issu d’huile végétale, animale et de cuisson émet 80% d’émissions de CO2 en moins que le kérosène. Le secteur y voit surtout un intérêt car le SAF peut se mélanger au kérosène dans les moteurs actuels des avions. Ce qui limite ainsi le coût économique pour les compagnies aériennes sans remplacer les moteurs.
À partir de 2025, selon les directives européennes, les transporteurs aériens devront passer à 2% de SAF pour atteindre progressivement 70% en 2050. Ils se préparent, en parallèle, à augmenter leur utilisation des SAF. En clair : les compagnies aériennes qui consomment au total 200 000 tonnes de carburant par an au départ de Marseille, auront besoin de 4000 tonnes de SAF en 2025 et 140 000 tonnes en 2050.
« L’aéroport devra s’assurer que l’approvisionnement se fasse de manière la plus proche pour ne pas perdre tout le bénéfice de cette réduction d’émissions de CO2 », explique Thomas Busser, le directeur de la communication.
D’où, la nécessité pour le secteur aéroportuaire de pousser des projets de production de SAF, notamment autour de l’Etang de Berre. Mi-avril, l’aéroport a ainsi signé un partenariat avec TotalEnergies pour que la multinationale produise 15 000 tonnes de SAF dans sa raffinerie de La Mède, située quelques kilomètres plus loin sur l’Etang de Berre.
Construire une filière de SAF
En revanche, le SAF est encore peu utilisé, dans la région comme en France, car il n’est pas produit à grande échelle. Pour Philippe Bernand, le président du directoire de l’aéroport, « TotalEnergies apporte une première réponse à ce projet de filière » mais « il est primordial que se construise sur notre territoire une filière de distribution de carburants durables ».
D’autres projets de la zone industrialo-portuaire, comme Hynovera de Hy2gen sur la centrale thermique de Gardanne, veulent participer à la fabrication des SAF avec de l’hydrogène. Face à la forte mobilisation pendant la concertation publique de septembre 2022, le projet a été revu pour ne plus obtenir le CO2 entrant (pour fabriquer le SAF) avec du bois, mais le capter depuis des usines de la région.
Ce projet vise à produire entre 30 et 35 000 tonnes de carburant moins polluant pour l’aviation, à partir de 2029 (alors que l’usine devait commencer à produire en 2027). De quoi commencer à aider le secteur de l’aviation à se décarboner, et rentrer dans les clous de la réglementation européenne.