À cheval entre la Canebière et Gambetta, un îlot de quatre immeubles va subir une grande réhabilitation d’ici 2026. En plus d’un espace de coworking, Marsatac animera une « fabrique artistique » de musiques urbaines avec studio d’enregistrement et salle de concert.
Côté pile, aux 26 et 28 allée Gambetta, deux immeubles plutôt fringants aux plafonds moulurés et escaliers de marbre. Ils accueillaient jusqu’à peu le QG des éco-acteurs. Côté face, aux 113 et 115 de la Canebière, deux bâtiments vieillissants, dont l’un est largement dégradé, aux ouvertures murées et aux intérieurs dévastés.
Mais plus pour longtemps. Après avoir acquis ces quatre immeubles mitoyens, l’Établissement public foncier Provence-Alpes-Côte d’Azur (EPF Paca) a lancé un appel à projets en 2022 pour restaurer cet îlot de 2 500 m2 et en faire un « démonstrateur de la réhabilitation tertiaire en centre-ville ».
Le projet dessiné par l’architecte marseillais Matthieu Poitevin et son agence Caractère Spécial décroche le lot. Le groupement lauréat est mené par Pivot Panda, acteur immobilier qui se décrit comme « dénicheur, concepteur, créateur d’espaces uniques ». Il s’associe, entre autres, à l’investisseur Magellan et la foncière responsable Bellevilles.
Un repère pour les musiques urbaines en plein centre-ville
L’équipe gagnante compte également dans ses rangs des acteurs inattendus. À commencer par l’association Orane, organisatrice du festival dédié aux cultures urbaines emblématique à Marseille : Marsatac.
C’est un des points phares du projet. En plus d’y installer ses bureaux et ses équipes, la structure culturelle va animer « un hub créatif, autour des musiques urbaines et musiques électroniques », en plein centre-ville, décrit Pivot Panda.
Studios d’enregistrement, de répétition, une salle de résidence qui pourra se transformer en salle de concert de 100 places ouverte au public, c’est une véritable « fabrique artistique » qui s’étendra sur 550 m2. Avec cet outil, Marsatac souhaite accompagner et faire émerger de jeunes artistes grâce à son savoir-faire et son ancrage local.
Quand l’économie culturelle et classique cohabitent
Cette activité résolument culturelle cohabitera avec une activité économique plus classique : la location de bureaux et espaces de travail. L’opérateur Hiptown, spécialisé dans le « coworking à impact », fait également partie de l’équipe gagnante de l’appel à projets. Il exploitera ainsi 1 300 m2 de l’îlot.
Pour compléter les multiples vocations du site, l’opération prévoit d’installer un restaurant au rez-de-chaussée, côté Canebière, ainsi qu’une cafeteria associative côté Gambetta. Les différentes activités s’articuleront autour du cœur d’îlot, qui sera végétalisé avec « un jardin de pleine terre ».
Pour Pivot Panda, c’est « une des innovations majeures du projet. Proposer au sein d’un même ensemble mixte, central et urbain, une offre d’économie dite traditionnelle avec le coworking Hiptown et une vitrine dédiée à l’économie sociale et solidaire avec Orane/Marsatac et ses locaux dédiés à la culture ».
L’EPF Paca attendait un projet économique innovant pour cette réhabilitation. Les porteurs du projet entendent démontrer « que l’ESS et l’économie classique peuvent cohabiter dans des immeubles neufs ou rénovés avec les meilleurs critères de l’industrie, sur un ratio 70% / 30%, sans déstabiliser l’économie globale du projet ».
« Il faut aussi de l’emploi dans le centre-ville »
Transformer du logement en tertiaire, c’est un projet inverse qu’avait proposé l’EPF en 2022, un peu plus bas, côté Noailles, en réhabilitant d’anciens bureaux en logements sociaux. Ces deux opérations, bien qu’opposées, s’inscrivent dans le périmètre du projet partenarial d’aménagement (PPA) mis en place après le drame de la rue d’Aubagne pour éradiquer l’habitat dégradé.
« J’attends ce projet avec impatience », se réjouit la maire des 1er et 7e arrondissements, Sophie Camard (GRS), qui a participé au jury de sélection. L’élue est en première ligne sur la question du logement social et la résorption de l’habitat dégradé. Toutefois, « il faut aussi de l’emploi dans le centre-ville », juge-t-elle. Une vision qu’elle développait à la rentrée.
« C’est une opération emblématique de cette stratégie du retour de l’emploi, des services et du tertiaire dans le centre ». Pour la maire de secteur, il s’agit de « montrer que c’est possible de réhabiliter un immeuble pour faire venir des structures. Le haut de la Canebière est vraiment dans une dynamique positive ces derniers temps ».
Même enthousiasme du côté de la conseillère métropolitaine déléguée à l’urbanisme, Laure-Agnès Caradec. « Je me réjouis de l’aboutissement de cette initiative imaginée dès 2019 par la Métropole pour redynamiser le centre-ville de Marseille. Grâce à l’EPF, nous avons pu acquérir plusieurs immeubles, remembrer sous forme d’îlot et créer de la valeur, un nouvel intérêt, pour des actifs immobiliers très dégradés ».
L’élue note que cette opération « gagnant-gagnant entre public et privé, qui se voulait être un démonstrateur, pourra être reconduite dans les centres-villes métropolitains grâce à notre partenariat avec l’EPF ».
Architecture ou « archéologie du vivant »
Au-delà de la vocation du futur site, les porteurs du projet mettent en avant plusieurs atouts de cette réhabilitation. Comme les performances environnementales visées (label BBC Effinergie) et le respect du patrimoine (bâtiments 19e et 20e, environnement ABF) « en préservant et en magnifiant le fameux « déjà là » », souligne Pivot Panda.
Sur cette question, sans surprise, Matthieu Poitevin va plus loin dans les mots. L’architecte de « la ville sauvage » et amoureux de la restauration de friches préfère décrire sa démarche architecturale d’« archéologie du vivant ».
Car le 115 de la Canebière, abandonné et dégradé, a fait l’objet de divers squats, raconte-t-il. « Des femmes seules et des Nigérians ont occupé les lieux. Ils en portent encore les traces ».
Des traces qu’il n’entend pas faire disparaitre avec une « réhabilitation ostentatoire ». Au contraire, il souhaite préserver « cette histoire du lieu, sa personnification, son identité, respecter et comprendre son récit ». Cette approche « archéologique » ne devra toutefois pas oublier de « redonner de la noblesse à cet habitat dégradé ».
Le montant global de l’opération est annoncé autour de 8 millions d’euros, dont 3,1 millions pour les travaux. Après un dépôt du permis de construire dans les prochains mois, le chantier doit débuter en 2024 pour une livraison estimée entre fin 2025 et début 2026.