Depuis Marseille, sa ville d’adoption, Ara Khatchadourian a gravi les plus hauts sommets de la planète pour porter un message de paix. Sportif de l’extrême, ce « citoyen du monde » rentre d’une traversée de trois mois à la rame, seul en Méditerranée. Il espère rencontrer le pape François qui l’avait reçu au Vatican, après son ascension de l’Everest en 2016.

Ara Khatchadourian n’est pas de nature à se vanter. Lorsqu’il raconte les exploits sportifs qui ont rythmé sa vie, c’est souvent avec émotion, mais toujours avec passion, car ce qui l’anime avant tout, c’est porter un message de paix et d’espoir.

Devenu alpiniste, marathonien et nageur, après 40 ans, ce sportif de l’extrême d’origine arménienne est né au Liban en 1964, où il connaît très jeune la guerre civile. À 15 ans, il quitte l’école pour apprendre le métier de joaillier. En dépit de nombreux cessez-le-feu, le Liban restera en proie à des déchirements profonds qui se poursuivront au cours des années 1980, contraignant le jeune de 19 ans à quitter son pays natal pour venir chez son oncle à Marseille, « avec 100 euros en poche et sans parler un seul mot de français », raconte l’athlète. « Je me suis dit qu’il fallait que je réussisse ».

Cinq ans plus tard, à force de travail et d’économies, son rêve d’ouvrir son propre magasin se concrétise. Sa première boutique-atelier ouvre ses portes en haut de la rue d’Aubagne, face aux escaliers du cours Julien, puis une seconde bijouterie 4 ans après. « Je travaillais 16 heures par jour, sept jours sur sept, pas de temps pour moi ou pour faire du sport » livre l’ancien basketteur.

« Chaque fois que je vais dans un pays et que je réalise un exploit sportif, je remercie la France de m’avoir accueilli, Marseille de m’avoir adopté ».

De la Diagonale des fous au Mont-Blanc

À la petite quarantaine, le bijoutier rechausse les baskets. « Un ami d’enfance m’a appelé pour me dire de venir m’entraîner avec lui pour faire le marathon du Liban. J’ai fait du sport quand j’étais jeune, mais là, courir à 40 ans, 42 kilomètres c’était pas mal ». 3h50 dans les jambes et la satisfaction d’avoir relevé le défi, voilà qu’Ara Katchadourian ne freine plus ses foulées.

Au sein de son club de course à pied, il multiplie les entraînements avec l’objectif d’enchaîner les marathons (Paris, Marrakech, Barcelone…). Porté par le goût de l’effort et le dépassement de soi, le coureur passe à l’ultra-trail pour participer aux courses les plus mythiques et prestigieuses au monde comme le Grand Raid de la Réunion, et plus particulièrement la Diagonale des fous ou celle du Mont-Blanc.

« Pour m’entraîner dans de bonnes conditions, je me suis rendu à Chamonix. Une fois sur place, j’ai décidé de tenter l’ascension du Mont-Blanc. J’y suis arrivé avec beaucoup de difficultés, mais une fois au sommet, à 4 810 mètres, j’ai assisté à un lever du soleil extraordinaire au-dessus des nuages. C’est là que j’ai décidé de gravir d’autres sommets ». Et non les moindres.

Pour rendre hommage à ses origines arméniennes, il vise le mont Ararat, situé à l’extrémité Est de la Turquie. 5 165 mètres pour porter le drapeau de la paix, de l’Arménie et de la France. « Chaque fois que je vais dans un pays et que je réalise un exploit sportif, je remercie la France de m’avoir accueilli, Marseille de m’avoir adopté ».

L’appel des plus hauts sommets du monde

Après avoir répondu à l’appel du Kilimandjaro, en 2013, Ara est contacté par T’Cap21 pour venir raconter ses aventures. L’association, dont il devient le parrain, favorise l’intégration des jeunes porteurs de handicap mental et milite pour changer le regard porté sur la trisomie 21. T’Cap 21 devient l’un de ses partenaires pour les grands défis qui suivent.

Parce que, pour commémorer le centième anniversaire du génocide arménien en 2015, Ara veut conquérir le toit du monde « pour délivrer un message de paix, de mémoire et de reconnaissance ». Mais pour dompter l’Everest, culminant à 8 848 mètres d’altitude, « il faut avoir gravi des sommets de 7 000 à 8 000 mètres ».

En guise de préparation, il affronte le volcan de Sajama, le plus haut sommet de Bolivie situé en Cordillère occidentale (près de 6 542 mètres); le Cotopaxi (5 897 mètres) et le Chimborazo (6 310 mètres) en Équateur, Huascarán, la plus haute montagne tropicale de la planète au Pérou et en 2014 il termine avec le pic Lénine (7 134 mètres), appelé maintenant pic Tchon-Ton (la montagne brûlante), plus haut sommet de la chaîne de Zaalai, sur le flanc nord du Pamir en Kirghizstan.

Et il part pour l’Everest l’année suivante. « Malheureusement, le 25 avril 2015, tremblement de terre, 23 000 morts à Katmandou parmi les alpinistes, 20 morts, 60 blessés, moi j’ai failli mourir », raconte l’alpiniste.

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« J’ai apporté la bible au sommet de l’Everest »

Dès son retour à Marseille, sous les caméras de télévision et la presse, le « rescapé de l’Everest » – comme il est surnommé – annonce à l’aéroport même son intention de repartir. Le 22 mai 2016, à 8h30, il atteint le sommet après 46 jours d’ascension. À moins 30°C, il plante 21 drapeaux. « C’est ma manière de remercier. J’ai eu de la chance ce jour-là parce que la température peut descendre à – 60°C et qu’il n’y avait pas de vent. J’ai apporté la bible au sommet de l’Everest pour rendre hommage à la mémoire des victimes des génocides et des guerres dans le monde. C’est la première fois ».

Dans son sac aussi, un ours en peluche parce qu’il promet à des enfants hospitalisés atteints du cancer de le déposer au sommet. « Lorsque j’étais en difficulté, je pensais fort à cette promesse. Là-bas, avec le manque d’oxygène, de sommeil, la fatigue… J’ai mis 12 heures pour gravir les 548 derniers mètres. Quand je le fais ici, au niveau zéro, je le fais en 1h30. Il y a aussi les gens qui croient en moi, ceux qui ont apporté leur soutien financier, les mécènes, sponsors, les donateurs… il faut aller au bout ».

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Ara Katchadourian au sommet de l’Everest.

Marseille-Beyrouth à la rame

Des bouts d’orteils en moins, Ara a mis quelques semaines avant de réaliser ce qu’il venait d’accomplir et plusieurs mois pour guérir. Une fois sur pieds, toujours pour dénoncer la guerre, encourager la paix et mettre en lumière des causes qui lui tiennent à cœur, le 7 avril 2018, il part de l’Hôtel de Ville de Marseille en courant pour porter une lettre au président turc, Recep Tayyip Erdogan, lui demandant de reconnaître le génocide arménien.

Marseille, Monaco, Italie, Slovénie, Croatie, Serbie, Bulgarie, Grèce, Turquie, Jordanie, 4 500 kilomètres, 39 000 mètres de dénivelé positif cumulé « et je suis arrivée le 21 juillet en Arménie, et pendant que je courais je me suis demandé ce que je pouvais faire pour Marseille, ma ville d’adoption, jusqu’à la capitale de ma naissance Beyrouth ».

Il laisse de côté les chaussures de haute montagne pour traverser la Méditerranée seul, en kayak. « 3 600 kilomètres, soit entre un à deux marathons par jour, 1 500 coups de rame par heure, entre 9 000 et 10 000 coups par jour, à la fois humanitaire, à la fois pour la paix » poursuit le sportif friand des chiffres. Le départ du “Rowing for peace” est donné depuis la mairie de Marseille le 27 mai dernier à 10 heures. « Et je suis arrivé le 22 août à la même heure à Beyrouth ».

Pendant 120 jours à la rame, Ara a traversé plusieurs villes de la Méditerranée pour délivrer ses messages et récolter des fonds pour une association au Liban, Achrafieh 2020 « qui vient en aide à plus de 1 000 familles arméniennes à travers des initiatives sociales, culturelles et environnementales dans la dignité et la préservation des droits humains ».

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Une rencontre avec le Saint-Père

Aujourd’hui, il espère rencontrer le pape François qui l’avait reçu au Vatican après son exploit sur le toit du monde. Un instant immortalisé qu’il a d’ailleurs remis au Saint-Père. « Je veux bien sûr lui parler de paix. C’est mon message. Ma grand-mère a vécu trois guerres, les deux guerres mondiales et la guerre au Liban. Mes parents deux guerres, moi une guerre. Je ne voulais pas que mon fils vive ça à son tour, ça suffit ces millions de morts en Irak, en Libye, en Iran, dans le Haut-Karabakh, partout… Il faut que ça s’arrête. Je suis arménien et je suis aussi blessé lorsqu’un jeune Azéri meurt que lorsqu’il s’agit d’un jeune Arménien. Pour moi il n’y a pas de différence, on est tous citoyens du monde. C’est ce que je dis en entrant dans les classes, quelque soit votre origine, d’où vous venez, quelque soit votre religion, nous sommes tous citoyens du monde ».

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Ara a repris ses conférences et ses interventions dans les établissements scolaires en France et à l’étranger (États-Unis, Arménie, Liban…), interrompues par la crise sanitaire, pour raconter son histoire et « pour transmettre ce goût de l’effort, du dépassement de soi, de la confiance en soi, par rapport aussi à ce que j’ai vécu dans mon enfance avec la guerre, et pour leur dire qu’on peut venir de nulle part, sans parler un mot de la langue d’accueil, mais qu’en s’accrochant on peut réussir ».

Courir, escalader, ramer, nager… Pour son prochain exploit, Ara imagine voler grâce à la force physique. « C’est une idée, on verra si c’est possible » confie-t-il, avec le sourire. Mais avant de prendre son envol, il espère relever un défi bien plus périlleux que l’Everest : trouver l’amour. « Ça s’appellera Love for peace », plaisante ce messager de la paix.

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