Une rencontre entre deux cuisiniers amateurs aux univers culinaires différents qui, le temps d’une soirée, deviennent les chefs d’un restaurant engagé marseillais. C’est le concept des dîners Food Connexion. Reportage à la Maison des Nines.
Il est un peu plus de 20 heures. Les senteurs d’Orient enchantent la Maison des Nines, où se tutoient un café-cantine, une boutique et des événements. Un lieu hybride, situé en plein cœur du quartier de Noailles, à Marseille, pensé pour être un endroit où le partage et la découverte sont les maîtres-mots. Preuve en est ce soir-là.
En cuisine, Kahina et Marie s’activent en dressant les assiettes au gré des commandes, nombreuses. C’est la première fois que ces deux cheffes travaillent ensemble, alors qu’il y a encore quelques semaines, elles ne se connaissaient pas. L’une déjà expérimentée, l’autre en devenir, elles ont accordé leur vision culinaire et leur savoir-faire pour offrir aux convives un dîner acidulé et parfumé.
Kahina Djebbar a suivi le programme des Étoiles et des femmes, porté par l’association Festin. Ce dispositif rend accessible le CAP cuisine aux femmes issues des quartiers prioritaires dans des conditions d’excellence auprès de chef·fes gastronomiques et étoilé·es. Elle a d’ailleurs travaillé un temps à La Table de l’Olivier à Marseille. Marie Galinier, passionnée de cuisine, est formatrice en pâtisserie. « Elles ont co-construit leur menu ensemble », livre Madalena Guerra, responsable du réseau national des Étoiles et des Femmes Marseille.
Et c’est l’un des ingrédients phares du projet Food Connexion : une rencontre entre deux cuisinier·es amateur·rices aux univers culinaires différents, leur permettant de devenir le temps d’une soirée chef·fes d’un restaurant engagé marseillais. C’est pour Kahina l’occasion de « se tester » et d’expérimenter la réalisation d’un repas complet pour une quarantaine de personnes. Pour Marie Galinier, la chance de pouvoir accompagner une autre femme dans son parcours.
Des histoires de vie se racontent dans l’assiette
Ces dîners d’un nouveau genre permettent de relier deux personnes dont les chemins ne se seraient peut-être jamais croisés autour d’une passion partagée, la cuisine : « formidable élément fédérateur, souligne Armand Hurault, directeur de l’association Festin. Celle-ci rassemble les gens autour d’un dénominateur commun puissant qu’est le goût. Et pour les chef·fes, les cuisinier·es, c’est un moment important de transmission de leur histoire et de leurs valeurs à travers les plats choisis ».
Des histoires qui se racontent autour du menu concocté ce soir-là : un onctueux houmous rose. Une entrée réalisée à base de betterave, twistée d’un zeste de citron, de coriandre et accompagnée d’un pain pita. Puis, place au couscous au poisson avec ses légumes fondants et citrons confits. Et pour la touche de douceur, les fameux Montecaos, biscuits sablés surplombés d’une mousse de citron, l’agrume de la saison. « Un délice », se délectent les convives présents.
Le format a aussi vocation à créer des moments de partage et de convivialité entre les clients qui, comme les cuisiniers, viennent d’horizons différents. À ce titre, deux tarifs sont affichés : l’un classique à 30 euros et un second à 10 euros destiné à une clientèle de bénéficiaires d’associations sociales.
Une idée de la « Fabrique du Nous » devenue un projet collectif
L’idée de ces dîners Food Connexion a germé il y a quelques mois autour d’une rencontre informelle avec deux cuisinières en devenir, Madalena Guerra de l’association Festin et La Fabrique du Nous, co-fondée par l’entrepreneur social Tarik Ghezali.
Festin imagine, déploie et essaime des projets qui offrent aux personnes éloignées de l’emploi des parcours d’insertion d’excellence dans la restauration, comme le dispositif des Étoiles et des Femmes, le traiteur engagé La Table de Cana, le programme Refugee Food Marseille, qui accompagne, forme et met en valeur des compétences culinaires des personnes réfugiées ou encore plus récemment les Beaux Mets, le premier restaurant bistronomique et chantier d’insertion en milieu carcéral ouvert au public en France.
Une connexion évidente avec la Fabrique du Nous, dont la vocation est de faire naître des idées et de “fabriquer” des projets permettant de tisser du lien entre deux mondes différents, tout en favorisant la coopération interculturelle au service de l’inclusion et de la solidarité. Parmi les projets majeurs initiés sur le territoire, celui de permettre à des jeunes de 16 ans et plus, issus des quartiers prioritaires, d’apprendre à nager dans des piscines mises à disposition par des particuliers.
Bouillon de cultures
« En discutant, nous nous sommes demandés comment nous pouvions, à travers le vecteur de la cuisine, rapprocher des mondes qui ne se rapprochent pas habituellement, l’objectif étant de mélanger les générations, les cultures, les milieux sociaux… », explique Nathalie Gatellier-Vignalou, co-fondatrice de la Fabrique du Nous.
Pour tester le concept, Cyril Zimmermann, fondateur de La Plateforme, ouvre le temps d’une soirée la cuisine de son domicile à Zaouia Wahiba, tout juste diplômée des Étoiles et des Femmes et Céline Bars, passionnée de cuisine. « Elles ont fait fusionner leurs cultures gastronomiques et leurs influences pour imaginer des propositions originales comme, par exemple, des cornes de gazelle revisitées façon pâtisserie française et surtout, cette expérience leur a permis de devenir amies, alors qu’elles ne se seraient sans doute jamais rencontrées, parce qu’elles évoluent dans des univers différents », raconte Nathalie.
Poussée par Céline, Zaouia peut également tester son projet de restauration au sein du FoodCub, des Docks Village, le premier incubateur gastronomique marseillais. Avec le restaurant Dihya, Zaouia Wahiba souhaite faire découvrir des spécialités culinaires chaoui et amazighes, de l’est de l’Algérie, son pays d’origine.
Fort de ce premier essai réussi dans un cadre plus restreint, Festin prend progressivement le dispositif en main. Pour poursuivre l’expérience grandeur nature, il y a un an, l’association organise “Le” premier dîner Food Connexion en proposant à la Maison des Nines d’être le premier hôte.
Une idée qui séduit immédiatement les fondatrices du lieu qui partagent déjà les mêmes valeurs d’intégration sociale. Tous les mois, elles ouvrent leur cuisine à d’autres chefs sous forme d’un dîner, sur réservation uniquement. D’où l’idée de développer et peaufiner le dispositif avec un deuxième événement connecté cette fois aux saveurs citronnées. « La particularité ici, c’est ce travail étroit de collaboration avec les deux cuisinières amatrices, qui prennent pour la première fois les manettes d’un restaurant, raconte Estelle Billet, co-fondatrice et associée de la Maison des Nines.
Elles ont été à leurs côtés pour les guider et les aider à adapter leur cuisine pour un service de plus 40 de personnes. « C’était un beau challenge qu’elles ont relevé avec brio. Elles ne se connaissaient pas avant et pourtant la communication était fluide et naturelle. Elles se sont soutenues et ont été solidaires tout au long de ce défi ».
D’autres dîners Food Connexion sur la scène culinaire marseillaise
Grâce au réseau de l’association Festin, la Maison des Nines a également pu accueillir de nouveaux publics qui n’osaient pas encore franchir leur porte. Pour la Fabrique du Nous, cette formule permet aussi de faire tourner les restaurants les soirs de semaine où la clientèle se fait plus rare. « C’est un format en évolution, notamment pour trouver les bons duos, mais aussi sur l’organisation d’animations au cours du repas pour que les publics se mélangent », ajoute Nathalie Gatellier.
De prochains dîners, toujours signés Festin et investissant de nouveaux endroits, arriveront bientôt sur la scène culinaire marseillaise et permettront d’affiner la recette. Le restaurant solidaire Le République est déjà prêt à relever le défi “Food Connexion”, avec en cuisine un chef étoilé aux côtés de deux cuisinier·ères en devenir. Restez connectés !