Dans le quartier Saint-Victor, à Marseille, cette adresse originale propose une cuisine locale et de saison, une épicerie fine et son vin bio et naturel… vinifié sur place. Tous à L’Abri !
« Si on m’avait dit il y a 4 ou 5 ans qu’on allait faire du vin à Marseille et en plus avoir un restaurant, je n’y aurais jamais cru ». C’est un lieu atypique dans le quartier Saint-Victor à Marseille. Pousser les portes de l’Abri, au 144 boulevard de la Corderie (7e), c’est pénétrer dans un lieu de partage, de dégustation de produits locaux et de saison et de découvertes de vins vinifiés sur place. Car là est la particularité de cette adresse qui produit une gamme de vins naturels, dans les quelques 400 mètres carrés à l’arrière du restaurant, tout en mettant en avant une approche locale.
Mais ne parlez pas à Franky de « chai urbain ». Même si le terme est approprié au lieu, Franck Pasquier l’affectionne avec modération, tant il est attaché au travail agricole. « Je suis vigneron avant tout ». Il y a quelques années, l’ancien informaticien décide de se reconvertir « parce que je voulais faire mon propre vin ». Il se forme au métier au lycée de Valabre à Gardanne, en 2012 et rachète deux ans plus tard une dizaine d’hectares de vignes à Eygalières dans les Alpilles.
Un site de production de 400 mètres carrés au cœur de Marseille
À partir de 2016 et les trois années suivantes, le jeune vigneron entreprend de replanter les vignes dont beaucoup sont arrachées et touchées par la maladie. « Je me suis vraiment éclaté dans les vignes pendant 5 ans. Aujourd’hui, en 2022, on arrive à avoir à peu près tout sur les dix hectares », confie Franck, avec le sourire et visiblement plus à l’aise dans son vignoble que devant la presse. Syrah, grenache, cinsault, carignan… poussent en effet. Ce qui n’est pas le cas de son projet de créer une cave à vin au Domaine de Costebonne qui peine à se concrétiser.
Loin de renoncer, le Marseillais décide de prospecter dans une ville qu’il connaît comme sa poche et dans laquelle les « winery » commence à s’implanter. « On est tombé avec un copain sur ce local, un ancien France Pare-Brise, autrefois un lieu de stockage de matériaux de construction dans les années 1950-1960, par lequel est aussi passé de l’habillement. Quand je l’ai vu, je me suis dit que je ne trouverais pas mieux qu’ici ».
D’importants travaux sont lancés pour transformer les lieux en site de production. Franck y fait installer 14 cuves en inox, des jarres en grès, une machine à étiqueter et un espace de stockage, pour être prêt pour les vendanges de 2019 entièrement manuelles dans ses propres vignes. Le premier millésime. Un rouge et un rosé bios et 100% naturels.
Trois gammes de vin bio et naturel
Franck cultive, en effet, selon le principe de l’agriculture biologique. « Ces vignes étaient déjà en bio depuis 1998, je ne me voyais pas faire différemment. On travaille beaucoup à la main et à cheval les pieds de vigne pour être précis et éviter la casse ». Une fois récolté, le raisin est transporté jusqu’au site marseillais à l’aide de petites caissettes qui traversent le restaurant dans la journée aux heures de fermeture.
Pour la partie vinification, une recette unique : du raisin, rien que du raisin. « Un peu de froid quand même pour faire déposer les blancs et les rosées, plaide Francky, et une infime quantité de sulfates lors de la mise en bouteille pour stabiliser, c’est tout. Tout est fermenté avec les levures du raisin, aucune levure industrielle, aucune autre intervention ». Du vin comme on le faisait il y a un siècle estampillé « l’Abri » et baptisé de manière humoristique « Le Rougé », « Les fadas », « La mer à boire » Décrocher la Lune », « Là-haut »…
Une gamme dans les trois couleurs accompagne des assiettes iodées concoctées avec des produits locaux et de saison, au cœur du restaurant-épicerie, dont l’idée est née autour d’un verre. « Après les résultats des premières vendanges, en 2020 avec Edgar, on a eu l’idée de faire quelque chose avec la partie inoccupée à l’entrée qui était initialement destinée à la commercialisation du vin », raconte Franck, aux côtés de son ami de longue date Edgar Baudin qui « voulait faire quelque chose dans le milieu de l’alimentation locale ».
Une cuisine locale et de saison tournée vers la mer et le végétal
Les deux vieux copains, qui se connaissent depuis 25 ans, entreprennent alors les travaux du restaurant, avec l’aide d’un autre pote, celui-ci architecte, qui mise sur le bois pour conserver un esprit simple aux notes bucoliques. Carafes et pichets en grès, tableaux aux accents naturels… La décoration est assurée par la sœur d’Edgar qui va piocher chez les pépites locales les objets et accessoires qui font le cachet du lieu, comme les bouquets confectionnés par le café-fleuriste la Butinerie.
Le 19 mai 2021, l’Abri ouvre ses portes. Mathieu Cleisz, le directeur de la salle s’en souvient comme si c’était hier. « C’était après les confinements, tous les restaurants avaient enfin le droit de rouvrir », exprime-t-il, tout en servant les petits plats préparés par le chef Pierre Meynet.
L’offre est largement tournée sur la mer avec des salaisons et des fumaisons de poissons issus de la pêche locale, mais aussi très végétale. « On fait de la viande à quelques très rares occasions » livre le chef, en terminant de dresser ses œufs mimosas à la sauce arrabiata. Les œufs font partie des quelques produits réguliers, tout comme le maquereau « hyper local, qui plaît et que l’on trouve à un prix abordable. Les huîtres viennent de Camargue… Quelques produits phares d’un peu plus loin comme les Saint-Jacques de Normandie, mais tout le reste est sourcé localement », poursuit l’ancien chef de la Côte de Bœuf.
25 000 bouteilles par an vendues en France et à l’étranger
Une savoureuse dégustation où le choix est à portée de main sur les étals. Des vins estampillés « l’Abri », mais pas seulement, car des bocaux viennent agrémenter l’offre jusqu’à la « Soif du Vendangeur » une bière fabriquée sur place. « C’est important pour nous de valoriser tout ce qui peut être fait avec le raisin, explique Edgar Baudin. Il peut se retrouver en cuisine parfois. La bière a été fermentée avec du moût de raisin, d’autres bières avec du marc ».
Edgar et Franck profitent aussi d’avoir un pied à la campagne pour ramener le compost au vignoble. L’entreprise a également mis en place un système de consignes avec l’Incassable. « Une démarche qu’il faut encourager à Marseille ».
Environ 25 000 bouteilles sont produites chaque année depuis Marseille et vendues au restaurant, ainsi qu’à d’autres établissements, cavistes de la région, ou encore concept-stores comme la Maison des Nines au cœur de Noailles. Les vins de « l’Abri » séduisent aussi la capitale et des pays comme le Danemark, le Japon et la Corée.