Georgina Grenon, directrice excellence environnementale au sein du Comité d’organisation des Jeux olympiques, revient sur l’ambition d’organiser le premier événement sportif à contribution positive pour le climat.
Les premiers Jeux olympiques vertueux, durables et inclusifs ? C’est l’ambition de Paris 2024 qui, depuis sa candidature, a placé les questions environnementales au cœur de son ADN.
Dans deux ans, le monde entier va se retrouver à Paris, Marseille et dans le reste du territoire pour célébrer le plus grand événement sportif international. 206 nations vont être représentées, 15 000 athlètes sont attendus, 13,5 millions de spectateurs et 4 milliards de téléspectateurs suivront la manifestation relayée également par les quelque 25 000 journalistes accrédités.
« Ces chiffres donnent le vertige, commente Georgina Grenon, directrice de l’Excellence environnementale au sein du Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. C’est le plus grand événement du monde, cela nous donne l’opportunité d’inventer un nouveau modèle et un levier pour accélérer la transition écologique. C’est de cette manière que l’on a abordé ces Jeux ».
Ces JO se présentent, en effet, comme le premier événement sportif international à contribution positive pour le climat. « Lorsque nous avons obtenu les Jeux, il y a quatre ans, nous avons travaillé avec détermination à poser les fondations d’un projet qui maîtrise son impact. Les trois années qui arrivent vont être fondamentales pour livrer l’événement », a exprimé Tony Estanguet, président de Paris 2024, à l’occasion du lancement du Comité pour la transformation écologique des Jeux, en décembre 2021.
Cette instance vise à accompagner Paris 2024 dans sa stratégie climatique et environnementale sur l’ensemble du périmètre du projet (impact carbone, biodiversité, économie circulaire, énergie, restauration, construction…) avec un rôle de conseil et de suivi de la mise en œuvre des engagements. « On ne peut plus organiser un événement comme les JO comme on l’aurait fait il y a 15 ou 20 ans. Le défi, c’est de faire face aux challenges d’aujourd’hui, mais aussi de poser une pierre pour aller dans la bonne direction pour demain », poursuit Georgina Grenon.
Ces Jeux sont placés sous l’égide de l’Accord de Paris avec pour ambition de diviser par deux les émissions des gaz à effet de serre liées à l’organisation de l’événement par rapport aux précédentes éditions des Jeux. Quelle est la stratégie pour parvenir à relever ce défi ?
Réduire de moitié notre empreinte climat pour être aligné avec l’Accord de Paris dès 2024 constitue un effort considérable. Dès la candidature, nous avons pris des décisions très structurantes sur le volet climat, économie circulaire, biodiversité, énergie… C’est la première fois qu’une méthode a été initiée et pensée en amont pour intégrer l’enjeu climatique aux opérations de livraison des Jeux. Nous avons estimé l’impact pour l’anticiper, le réduire et maîtriser ce que nous allons faire.
A combien est estimé l’impact carbone des Jeux ?
Paris 2024 estime pouvoir réduire ses émissions de moitié par rapport aux Jeux précédents, autour de 1,5 millions de tonnes, comprenant bien entendu l’ensemble des émissions y/c, le déplacement des spectateurs… Son programme de contribution climatique est, naturellement, du même ordre, sur la base de projets certifiés de captage et d’évitement d’émissions de CO2.
Pouvez-vous nous donner quelques exemples concrets ?
Par exemple, nos constructions seront en matériaux bas carbone. Nous avons pris en compte la venue des spectateurs pour rendre tous les sites accessibles en transports en commun, intégrer des principes de l’économie circulaire, nous préparons notre food vision pour une restauration durable.
Pour réduire l’impact énergétique, 100 % de nos sites seront alimentés avec des énergies renouvelables. Pour nous, c’était important d’assurer que cette électricité soit française. Pour notre siège, nous avons développé une solution qui nous permet de tracer d’où elle vient [d’une ferme éolienne, ndlr], et ça complète notre propre production d’électricité renouvelable avec des panneaux photovoltaïques sur le toit. Nous travaillons avec notre partenaire pour trouver des solutions identiques pour l’ensemble des sites.
Vous avez aussi fait le choix de la sobriété grâce à 95 % des infrastructures existantes ou temporaires. Comment cela se traduit concrètement dans les équipements à Paris et Marseille ?
Traditionnellement, en vue des Jeux, beaucoup d’infrastructures étaient construites. Nous étions entre 8 à 10 unités en moyenne pour les Jeux précédents. Nous avons voulu profiter de ce qui existe déjà. Parfois on rénove, éventuellement on apporte des améliorations qui s’inscriront dans le temps, parce qu’ils resteront en héritage, puisque c’est aussi un aspect très fort des Jeux.
Exemple, avec la marina marseillaise. Nous avons une infrastructure qui existe, sur laquelle il y a un projet d’aménagement qui va être utile au territoire, qui respecte aussi les ambitions de Paris 2024, comme la démarche « bâtiment durable méditerranéen ». À Marseille, une bonne partie des solutions sont intégrées sur site, avec l’hôtel existant à proximité. On prévoit l’accueil de 330 athlètes pour les 10 épreuves qui auront lieu.
Au-delà des infrastructures existantes, on fait du temporaire. Sinon, on ne construit que lorsqu’un équipement est utile et nécessaire au territoire. C’est le cas du centre aquatique qu’on est en train de construire à Saint-Denis, indispensable. Et lorsqu’on construit, on le fait de manière durable, avec les meilleures options de construction. Le village des athlètes va d’ailleurs être l’une des constructions, si ce n’est « La » construction la plus bas carbone de France.
Comment avez-vous intégré l’économie circulaire aux activités liées à l’événement ?
Notre organisation est circulaire par essence, déjà. On commence de rien, on fait l’événement puis notre organisation va cesser d’exister. Le monde est circulaire à 9 %, nous on s’est fixé l’objectif de l’être à 80 %, c’est énorme. On a fait de la circularité le premier axe de notre politique d’achat.
Tous nos appels d’offres mettent l’accent sur l’économie circulaire. Parfois, on demande même aux candidats-fournisseurs de nous proposer des offres de circularité. Dans le monde de l’événementiel, ça peut interpeller parfois parce qu’ils n’ont pas l’habitude de se retrouver avec des demandes aussi précises. Ça fait partie des objectifs de Paris 2024, d’utiliser les Jeux pour travailler avec des acteurs de terrain, les partenaires, pour transformer la façon d’organiser cet événement majeur et de faire évoluer le modèle d’organisation d’événements sportifs. C’est pour ça qu’on mobilise tout cet écosystème pour trouver des solutions.
Sentez-vous une dynamique des acteurs économiques autour des Jeux, notamment issus de l’ESS ?
Oui, il y a une dynamique qui se crée, car nous avons commencé très tôt à aller chercher les acteurs économiques, et notamment dans l’économie sociale et solidaire. Dans le cadre des visites « Entreprendre 2024 », nous sommes venus à Marseille à la rencontre des TPE-PME afin qu’elles prennent conscience et se préparent à l’ouverture des marchés publics. Nous avons eu énormément de réponses grâce à notre plateforme et ce qu’on appelle le reverse sourcing (recrutement inversé). Ça nous permet d’organiser et de mieux définir les cahiers des charges pour que, justement, ils puissent trouver leur place. Nous incitons aussi les grands groupes à aller s’associer avec des acteurs locaux de l’ESS pour pouvoir répondre aux appels d’offres.
Au début de cette interview, vous évoquiez la vision food, à savoir une restauration 100% responsable. Pouvez-vous développer ?
C’est un de nos axes qui prend une puissance importante. Nous sommes en France et les gens s’attendent à bien manger. Il faut que ce soit bon en termes de goût, pour la santé mais aussi pour la planète. La restauration durable des Jeux, c’est servir 13 millions de repas et le faire de façon durable c’est tout sauf évident, mais on s’est fixé comme objectif de réduire de 50 % l’impact carbone d’un repas en réduisant les distances d’approvisionnement. On va aller chercher 25 % de nos approvisionnements à moins de 250 km du site. L’idée est justement de travailler avec des acteurs locaux qui vont mettre en avant des produits et des savoir-faire du territoire. Marseille va par exemple avoir son sandwich signature. Il sera différent de celui de Paris, Lyon ou Lille.
Nous voulons créer une équipe « d’athlètes du goût ». Nous travaillons sur ce concept, avec des chefs, des artisans de bouche. D’ailleurs, un Marseillais en fait partie : Alexandre Mazzia qui sera au village des athlètes.
Vous vous êtes fixés des objectifs très ambitieux pour lesquels certaines solutions n’existent pas encore. Comment travaillez-vous avec l’écosystème pour les rendre possibles en 2024 ?
L’objectif est de faire en sorte que Paris 2024 compense plus d’émissions qu’il n’en émet. Les Jeux sont une formidable caisse de résonance pour laisser un héritage durable. Nous avons lancé un appel d’offres en France pour avoir des projets à compensation carbone [le premier était celui de la Caisse des dépôts et consignations, ndlr]. Il concernait des méthodes déjà existantes dans l’agroforesterie ou l’agriculture, et pour lesquelles nous avons reçu énormément de candidatures. Par exemple : « moi j’ai un terrain, je plante telles espèces d’arbres et ainsi je peux vous fournir tant de tonnes de carbone à tel prix ».
Nous voulons créer une dynamique et prouver qu’on peut faire de la compensation carbone en France et qu’on a tous intérêt à y travailler collectivement en nous appuyant sur des projets, des expérimentations… L’expérimentation menée actuellement sur l’herbier de posidonie nous intéresse particulièrement. Nous travaillons avec l’État afin que la méthode soit publiée avant la fin de l’année et labellisée, pour contribuer à comprendre les mécanismes de fonctionnement des puits bas carbone.
L’un des axes de travail de l’organisation réside aussi dans la mobilisation pour sensibiliser aux enjeux environnementaux. Vous appuyez-vous sur les lauréats de l’appel à projets « Impact 2024 » dévoilés à Marseille ?
Pour nous, c’est important de mobiliser tous les acteurs du territoire, et les associations en font partie. C’est un élément essentiel de notre capacité à engager différents territoires, mais aussi laisser un certain héritage. Parmi les lauréates du fonds de dotation Paris 2024, il y a Zéro Mégot, qui a vocation à sensibiliser sur la pollution générée par les mégots.
Cleen My Calanques qui va sensibiliser les enfants des clubs de foot marseillais sur la pollution générée par les déchets, et puis le Grand Bleu qui sensibilise aux pratiques écologiques, tout en les associant à la pratique du canoë-kayak, qui n’est pas forcément accessible à tous les jeunes en situation de précarité. Ce sont trois projets qui nous tenaient vraiment à cœur sur votre territoire.
Les collectivités jouent-elles le jeu ?
Ce que l’on souhaite, c’est que toutes les villes labellisées « Terre de jeux » organisent des événements dans cet esprit éco-responsable. Nous avons voulu contribuer à la réflexion sur la manière d’organiser un événement de façon plus responsable en créant un guide disponible sur notre site internet. Il permet aujourd’hui à tous ceux qui le souhaitent de l’utiliser comme un référentiel. Il est très pratique, bourré d’exemples concrets de projets déjà réalisés. Du coup on ne peut pas dire « on ne sait pas faire ». Nous avons mis plein d’exemples pour que les villes puissent s’en inspirer et peut-être changer les façons de faire. Pour nous, ça fait partie de l’héritage avant même l’ouverture des Jeux pour déjà contribuer à un changement de pratiques.
Pour le monde sportif, les questions climatiques ne sont pas forcément une priorité. Arrivez-vous à faire évoluer les choses ?
C’était pour nous un axe de travail très important sur lequel on avance pour que le mouvement sportif prenne conscience à la fois de sa responsabilité, mais aussi de son pouvoir d’influence auprès de ceux qui les suivent.
On travaille avec les organisateurs d’événements sportifs, les équipementiers, les opérateurs d’équipements, les athlètes et bien sûr les fédérations. Il y a une dynamique qui commence à prendre forme. Il y a des athlètes qui sont déjà très engagés et qui témoignent de leur choix. Des athlètes qui gagnent des médailles sont complètement végétariens, ce n’est pas incompatible avec une victoire et être sportif de haut niveau. Il y a des athlètes qui refusent de prendre l’avion et préféreront prendre le train. D’autres qui s’engagent aussi pour recycler le matériel sportif et leur offrir une deuxième vie auprès des associations.
Les mascottes des Jeux, les « Phryges », ont été dévoilées il y a quelques jours. Ces peluches seront fabriquées en Chine pour la quasi-totalité. Le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu a estimé qu’il s’agissait d’un « problème », en faisant référence à la relocalisation de l’industrie et à la lutte contre le réchauffement climatique ? Que répond Paris 2024 à cette polémique ?
La fabrication industrielle et le savoir-faire de la peluche ont largement disparu en France au profit de l’Asie pour deux raisons principales : Il existe une problématique d’approvisionnement en matière première, du fait de l’absence de fabricant de fausse fourrure recyclée en France, d’autre part, il y a le coût de la main d’œuvre. Qu’elles soient fabriquées en France ou à l’étranger, il faut savoir qu’une peluche est faite entièrement main et que la production n’est pas mécanisable. Par ailleurs, en ce qui concerne les autres marchés des Jeux, plus de 85% des entreprises prestataires sont des entreprises françaises.