En Provence-Alpes-Côte d’Azur, les écologistes et forces de gauche partent en ordre dispersé aux élections régionales des 20 et 27 juin. Entre dissidences et désaccords, trois listes teintées de vert sont en lice pour ce scrutin. Des visions de l’écologie différentes qui mettent au jour une fracture plus profonde au sein d’Europe-Ecologie-Les Verts.

La tempête médiatique autour du mélodrame politique chez Les Républicains et la liste de Renaud Muselier a presque éclipsé un autre malaise, à gauche celui-ci. Alors que la volonté était de construire un large rassemblement pour les élections régionales des 20 et 27 juin prochains, en Provence-Alpes-Côte d’Azur les forces de gauche et écologistes partent finalement en ordre dispersé.

Trois listes teintées de vert ont été enregistrées en préfecture, dont deux dominantes : « Le rassemblement écologiste et social », mené par le Varois Jean-Laurent Félizia. « L’écologie au centre », conduite par Jean-Marc Governatori (Cap écologie). Le Niçois écolo-centriste a quitté le « rassemblement écologiste et social », pour faire cavalier seul. Puis la liste régionaliste du Parti Occitan, « Oui, La Provence », portée par Hervé Guerrera, ex-conseiller régional sous l’ère Vauzelle, qui compte dans ses rangs des dissidents de EELV.

Si pour Jean-Laurent Félizia le rassemblement qu’il représente marque « un moment historique », comme il le déclarait le 7 mai dernier en conférence de presse, pour nombre de militants écologistes, cette situation a provoqué des blessures profondes au sein d’Europe-Ecologie-Les-Verts « qui laisseront des traces ».

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Les premières divisions autour des stratégies d’alliance

Tout avait pourtant bien commencé. Avec cet appel unitaire « Il est temps » lancé aux citoyens.ne.s, aux partis et organisations, pour un rassemblement des écologistes, des forces sociales et de la gauche aux élections régionales 2021.

Une démarche de rassemblement plus ambitieuse encore que celle du Printemps marseillais qui avait ravi la mairie à la droite en juillet dernier. Mouvements citoyens, militants syndicaux, associatifs, partis politiques (PS, PCF, LFI, Printemps marseillais…) y ont répondu favorablement pour construire ensemble une alternative à l’exécutif en place et refonder l’exercice démocratique.

Cet exercice démocratique a montré ses limites car, au bout du compte, « beaucoup de gens sont extrêmement déçus, parce ce que ce sont les logiques de partis qui gagnent », se désole Olivier Dubuquoy. Ils ont tout fait [EELV] pour que le rassemblement se fasse selon leurs diktats. Ils se sont placés dans une position hégémonique depuis le début, et malheureusement cela a conduit à une liste sans âme, sans militants, avec une succession de logos et sans dynamique ; qui n’a aucune chance de gagner face à la droite », poursuit l’ancien chef de file d’EELV pour les régionales. Après avoir signé l’appel « Il est temps », le docteur en géographie connu pour son combat contre les boues rouges est suspendu.

Pour lui, partir unis dès le premier tour était « la seule façon de gagner en Paca ». Le principal parti écologiste, quant à lui, voulait privilégier le rassemblement de sa famille verte avant d’envisager une ouverture des négociations au reste de la gauche. Divisés sur cette stratégie d’alliance, les Verts en Provence-Alpes-Côte d’Azur désignent alors un nouveau chef de file, en février dernier, suivant la ligne officielle nationale du parti : Jean-Laurent Félizia.

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Des logiques de vieux partis

« Des trahisons de vieux partis », dénonce Annie Delhaye, ancienne élue écologiste à Aix-en-Provence. « Nous sommes meurtris de ce qui s’est passé au sein d’EELV. Les partis n’ont pas compris qu’on ne pouvait pas faire de la politique à l’ancienne. ‘Il est temps’ était un rassemblement tellement innovant. Nous avions onze partis, une liste qui aurait pu être menée par Olivier Dubuquoy avec EELV et une dizaine de collectifs citoyens. Au lieu de ça, les partis sont restés dans leur logiciel du XXe siècle alors qu’on est au XXIe », regrette-t-elle.

Comme d’autres, elle a donc décidé de rejoindre « Oui, La Provence », la liste régionaliste. « Félizia n’a jamais représenté notre cohérence. Sa liste ne correspond pas à ma conception de l’écologie et de la démocratie », ajoute Didier Chérel, conseiller fédéral EELV et porte-parole régional. « Nous avions essayé de faire converger « Oui, la Provence » et « Il est temps ». Nous pensions que nous pouvions apporter des aspects que les autres listes ne portent pas, notamment culturels et linguistiques, mais aussi sur l’aménagement du territoire et la décentralisation. Léchec de « Il est temps » n’a pas permis de mettre en œuvre cette dynamique, c’est pourquoi nous préférons adhérer au mouvement « Oui, La Provence » », justifie le Cannois.

« Placer des gens dans l’opposition ça ne m’intéresse pas »

Une liste que soutiendra « certainement » Olivier Dubuquoy. Le lanceur d’alerte, lui, fait peser l’échec de l’union sur « l’acharnement » de la déléguée nationale EELV Hélène Hardy* descendue en Provence spécialement pour mener les négociations.

Dans la balance, la distribution des places pour les départementales qui se tiennent aux mêmes dates que le scrutin régional, « au détriment de « Il est temps » extrêmement bien structuré avec 300 personnes qui ont travaillé sur un programme qui aurait pu permettre de gagner la région. La dynamique citoyenne était beaucoup plus forte que dans le Printemps marseillais et c’est ce qui a fait peur aux partis ».

Mad Mars en a fait les frais. « L’union ne peut se bâtir sur des exclusions et des décisions unilatérales. L’union ne peut se faire à la faveur de négociations d’appareils », déplore le collectif. Côté parti politique, persona non grata, LFI, qui a renoncé à présenter une liste autonome.

Jusqu’au dernier moment, Olivier Dubuquoy a tenté de jouer ses dernières cartes pour rendre possible une liste d’union. En vain. « Je suis venu dans cette aventure pour une seule raison. Des gens d’EELV sont venus me chercher parce que je suis un militant du terrain et j’ai accepté face à la menace du RN et surtout pour gagner la Région. Placer des gens dans l’opposition, ça ne m’intéresse pas. À partir du moment où les conditions du rassemblement ne sont plus réunies je ne peux plus rien faire », exprime-t-il. Pas question d’ajouter « encore plus de divisions » en menant sa liste, malgré les demandes insistantes.

Des visions différentes de l’écologie

Au départ du projet, il avait refusé de travailler avec Jean-Marc Governatori, trop peu fiable dans ses choix politiques, selon lui. Il y voit d’ailleurs les raisons de son éviction. Sauf qu’aujourd’hui, le co-président de Cap écologie a finalement décidé de faire cavalier seul, quittant la liste de Jean-Laurent Félizia. « La condition pour que je participe à la liste Europe-Ecologie était entre autres que ce soit d’abord une liste écologiste et éventuellement teintée de gauche vue que EELV y tenait. Certaines de mes conditions ont été respectées, mais pas celle-là. Quand je me suis aperçu le 6 mai que sur les six têtes de liste départementales quatre étaient de gauche, je ne pouvais pas l’accepter », nous explique-t-il.

L’écolo-centriste niçois dit ressentir un certain « ras-le-bol » de voir « qu’à cause des Verts, depuis 30 ans, l’écologie se soit gauchisée. Ça porte un grave préjudice au succès durable des écologistes », poursuit-il, « heureux dans cette élection de faire naître en Paca une nouvelle écologie au centre qui n’a pas d’état d’âme entre la droite et la gauche, qui choisit parmi les personnalités et le projet. On doit arrêter de choisir nos partenaires écologistes seulement à gauche parce qu’il peut y avoir des personnalités et des projets intéressants à droite ».

Un discours qui fait grincer des dents chez les militants verts pour qui l’écologie est affiliée aux valeurs de gauche et bien loin du libéralisme. À leur goût, « trop de membres compatibles avec la droite » apparaissent sur la principale liste. Un postulat de départ en vue d’un accord technique de second tour qui a fait échouer les négociations pour construire l’union.

À un mois du premier tour, ce paysage morcelé laisse « un sentiment de grand gâchis » admet Olivier Dubuquoy. Le résultat « d’un manque de vision politique de la part d’EELV qui est le principal responsable de cette désunion et si le RN prend cette région », juge-t-il avec sévérité, mais « en responsabilité ».


*Ni la déléguée nationale EELV Hélène Hardy, ni Jean-Laurent Félizia n’ont répondu à nos sollicitations.

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