Restauration, jardins partagés, épicerie paysanne et locale, chambres d’hôtes en éco-habitat, concept-store dédié au recyclage, fabrication de bières artisanales… ça c’est Marseille Vert. Un projet ambitieux porté par l’association du même nom qui souhaite créer le premier éco-village de la cité phocéenne.
« Le nouveau monde commence ici, c’est à Marseille, et c’est tout vert ». Ce nouveau monde se veut 100% écolo, visant le zéro déchet et frugale en énergie, accueillant et convivial, facile d’accès et ouvert à un large public. Un lieu où les cabossés de la vie seront pleinement intégrés, et dans lequel les revenus sont équitables pour tous… Un monde utopique ? Pas pour les trois fondateurs de « Marseille Vert ».
Agnès, Sophie et Bertrand ont écrit sur le papier leur rêve idéal, et entendent se donner les moyens de le réaliser. « Mais on va surtout adapter notre projet au lieu », sourit Agnès Olive, journaliste et fondatrice du média « Marseille vert », dédié à valoriser les acteurs de la transition écologique, citoyens comme entreprises.
Le trio fondateur
C’est d’ailleurs ce qui a inspiré le projet de futur éco-village, né avant tout d’une rencontre. « Lorsque j’ai lancé Marseille Vert en 2015, au moment de la Cop 21, il a rencontré un certain succès, mais j’ai eu des difficultés à trouver mon modèle économique », confie Agnès Olive. Sélectionnée dans le cadre du programme EarthShip Sisters, la romancière qui souhaite donner un nouveau souffle à son webzine ne trouve pas « la solution, mais la magie opère quand même », poursuit-elle.
Car elle croise la route de Bertrand Fournier Le Ray. Il y a quelques mois, il était encore le patron de L’eau vive, un grand magasin bio, boulevard Rabateau, dont Agnès est cliente. Le contexte économique, le loyer, mais aussi le manque de flux ont raison de ce lieu qui abritait un espace restauration « La cantine de l’eau vive […] qui, elle, fonctionnait très bien avec 30 couverts par jour et entièrement anti-gaspi ».
Derrière les fourneaux, Sophie Biamino, alias Sophie Mijote, ancienne institutrice reconvertie en cheffe, réutilisait les invendus, et ces fruits et légumes voués à être jetés ou à l’aspect disgracieux pour réinventer une cuisine bio, végétale et plus éthique.
Du food-court à la recyclerie
Entre ces trois-là, citoyens engagés et « éternels optimistes », ça matche. Durant le premier confinement, par ordinateur interposé, ils planchent sur leur éco-village, en repartant d’abord de cette expérience culinaire réussie.
Ainsi, au cœur de Marseille Vert, ils aimeraient voir un « food court », mêlant des inspirations diverses, mais dont la base restera le 100% local. Une carte courte, mais à forte personnalité, avec des prix accessibles pour tous. Un petit resto’ qui se transformerait en dehors des heures de déjeuners en salon de thé, jus, cafés et gourmandises.
À côté de cette cantine green, un jardin potager pour agrémenter les plats mijotés par Sophie de fruits et légumes de saison. « Un espace de 300 m2 serait idéal », décrit le trio, qui envisage des formations à l’agro-écologie et des jardins partagés ouverts aux citoyens et surtout aux écoles de la ville. « On aimerait avoir des petits bacs pour faire des potagers pour les louer et permettre aux gens de mettre la main à la terre en ville ».
Une part de la production sera cuisinée dans une halle type restauration « food-court » et une autre proposée au marché paysan avec uniquement des producteurs locaux, qui se tiendrait deux fois par semaine, « sans doute le samedi et une fois en soirée, le mardi peut-être ».
Marseille Vert, c’est aussi une épicerie où l’on trouverait des produits du terroir et du territoire. Des concepts nés à Marseille, du bio et du local, là encore. Un lieu réservé à l’alimentation brute et transformée artisanalement, à l’instar des bières. D’ailleurs, une micro-brasserie bio est envisagée et une autre pour de la vinification urbaine en vin nature, rouge et blanc. « On pourra déguster sur place ou à emporter chez soi ».
Et même une boulangerie « parce que cela crée du flux », mais aussi parce que ce type de commerce contribue à la vie du site et au-delà du quartier où le village pourrait être implanté.
Sans oublier la recyclerie. Un concept-store dédié à l’upcycling et la réparation : « les gens pourront venir déposer des objets dont ils ne se servent plus, qu’on pourra retaper et revendre à moindre coût ». Couturiers, artisans, fabricants de vêtements y auraient toute leur place ainsi que les petits créateurs locaux, pour y rencontrer leur premier public.
Des chambres d’hôtes éco-habitat et bureaux partagés
Place aussi à une boutique solidaire qui pourrait permettre de faire travailler des publics en insertion ou atteints de handicap. « Et pour la partie vêtement, on préfère créer des événements comme des friperies solidaires ».
Et ce n’est pas tout, car le trio aimerait proposer des chambres d’hôtes en éco-habitat pour recevoir les visiteurs, les touristes ou les gens de passage « et leur proposer de loger chez Marseille Vert dans des cabanes, des tiny house, des conteneurs… », poursuit Agnès, qui pense aussi à des bureaux partagés destinés aux start-up innovantes dans le secteur de la transition écologique.
Pour le côté bien-être, des salles réservées à des praticiens qualifiés pour des séances de détente (yoga, reiki, sophrologie, kinésiologie…) et même esthétique et coiffure.
Déjà pressentis, des artisans tels que 13’Atipik, Bigoud, Compagnie des Bocaux, Coucoun, Ecolo Crèche, Espigas, House of Pain, La Mousserie, Laura Aillaud, La Part Faite, Le Balagan, Le Présage, Les Argonautes, Livres on Partage, OSS13, Réalise Tes rêves, Team Sardine… dont les valeurs et le positionnement sont en phase avec celles du trio.
Sur quel lieu le projet pourrait-il voir le jour ?
Reste à déterminer le lieu. Où à Marseille, un tel village pourrait-il voir le jour ? Ces trois mousquetaires comptent sur un quatrième partenaire, qui n’est autre que la Ville de Marseille. « Notre objectif c’est de travailler avec eux. Ils ont besoin de projets comme le nôtre », souligne la fondatrice de Marseille Vert, qui note que c’est dans l’ADN du Printemps Marseillais.
« Le principe de notre projet, c’est de ne pas partir sur des loyers exorbitants, en étant dans le privé… Donc bien sûr l’idéal serait un lieu prêté, car on souhaite aussi se sortir un petit salaire. Pour les artisans, on mise sur un petit loyer ou un pourcentage sur le chiffre d’affaires pour permettre à ceux qui ne gagnent pas d’argent au départ de pouvoir participer quand même à l’aventure ».
L’équipe Marseille Vert mise sur des friches abandonnées, à l’image de celle de Luminy. « Mais les sols sont souvent hyper-pollués et lorsqu’il y a du bâti, c’est plein d’amiante », note Agnès Olive. « On ne va pas commencer à faire de l’agriculture urbaine sur des sols pollués. Ça ne va pas être simple de trouver le site de nos rêves, mais on reste ouvert à tout. Si on trouve un propriétaire qui ne souhaite pas vendre à des promoteurs, mais plutôt participer à un projet comme le nôtre, on saisira notre chance, car il faut qu’en fin 2021 au plus tard, nous ayons trouvé notre lieu ».
La Ville de Marseille réalise actuellement un inventaire du patrimoine bâti et non bâti. A son terme, il mettra en lumière des sites inexploités qui pourraient accueillir ce type de projet, « tout à fait dans le style d’activité nouvelle que l’on souhaite accompagner, confirme Sébastien Barles, adjoint en charge de la transition écologique. Ça marche à Bordeaux avec Darwin [dans le quartier de la Bastide, une ancienne caserne désaffectée aujourd’hui éco-réhabilitée est un des lieux les plus visités de la ville, ndlr]. Et nous constatons qu’il y a actuellement une vraie dynamique autour de la création de ces tiers-lieux ».
Un appel à manifestation d’intérêt et en s’inspirant de modèles qui fonctionnent
L’élu avec d’autres adjoints comme Mathilde Chaboche, à l’urbanisme, Aicha Sif, en charge de l’alimentation durable, l’agriculture urbaine, la préservation des sols, Laurent Lhardit, délégué au dynamisme économique, l’emploi et le tourisme durable (économie sociale et solidaire), ou encore Jean-Marc Coppola, à la culture réfléchissent actuellement sur des mécanismes qui permettraient de mettre à disposition du foncier, en location ou de manière temporaire, pour des expérimentations ou de façon permanente en fonction des projets.
L’idée envisagée pourrait être le lancement d’un appel à manifestation d’intérêt qui s’inspire de « Réinventons Paris ». En novembre 2014, la Ville de Paris lançait un appel à projets urbains innovants auprès des promoteurs, investisseurs, concepteurs du monde entier, sur 23 sites parisiens, propriétés de la Ville ou de partenaires (Paris Habitat, CASVP, SEMAPA, Paris Batignolles Aménagement). Les lauréats désignés ont pu alors acheter ou louer les terrains pour y conduire leurs projets menant, par la même occasion, une expérimentation urbaine d’une ampleur inédite.
Pour Marseille, « nous ne serions pas sur de la vente, ni sur de grands groupes », assure Sébastien Barles, qui entend privilégier les initiatives locales. « Il s’agirait de collaborations, de coopérations entre différents acteurs de divers domaines : culture, transition écologique, activité de restauration… des lieux croisés. Notre volonté est de donner une vraie impulsion à ce type de projets, y compris en incitant d’autres acteurs publics, et des acteurs privés à mettre des sites ou du foncier à disposition ».
Marseille Vert : « une incarnation de la transition écologique »
À titre d’exemple, dans le cadre de son appel à projets « 1001 Gares », la SNCF Gares & Connexions a mis à disposition, contre un petit loyer, un bâtiment vacant à l’association Dos Mares pour la création des « Ateliers de la Blancarde » dans le 4e.
Autre expérimentation : Coco Velten dans le centre-ville de Marseille qui fonctionne grâce à des initiatives collectives et créatives (Foyer d’hébergement d’urgence, une cantine ouverte au public, accueil d’entrepreneurs, de conférences-débats, web-radio, avec pour fil rouge l’accès à la culture pour tous).
Marseille Vert « aspire à faire un lieu qui soit une vitrine et une incarnation de la transition écologique. On veut montrer qu’on peut vivre sans plastique, en faisant zéro déchet et en étant heureux, sans donner de leçons. Au contraire, être joyeux et dans la bienveillance ».