Samia Ghali, maire adjointe à la Ville de Marseille, nous a reçu dans son bureau pour un grand entretien. Grands événements, égalité des territoires, élections départementales… l’élue évoque quelques projets en cours et son travail auprès de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine.
Le temps est gris, mais la vue sur Marseille et son port, depuis le palais du Pharo, est imprenable. C’est dans son bureau aux murs agrémentés de quelques toiles contemporaines que la maire-adjointe Samia Ghali nous reçoit.
En charge des relations avec l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), elle s’est plongée sans relâche ses dernières semaines dans les dossiers de renouvellement urbain de la ville de Marseille, avec une volonté d’accélérer les projets. « Le maire m’a confié cette délégation très technique et pour laquelle on ne peut pas s’improviser du jour au lendemain spécialiste de cette question », souligne l’élue qui arpente depuis de nombreuses années les quartiers de la politique de la ville, particulièrement.
Dès lors, le bras de fer avec la Métropole Aix-Marseille Provence a commencé « pour expliquer que la Ville de Marseille ne serait pas spectatrice de ce qui allait se passer et qu’on souhaitait être complètement partie prenante, dans le cadre d’une gouvernance partagée de l’Anru. C’est chose faite », poursuit-elle, soulignant que les relations sont apaisées, en tout cas sur ce sujet.
C’est d’ailleurs avec les vice-présidents de la Métropole qu’elle défendait les projets marseillais le 22 avril dernier. « Pour monter des dossiers, j’ai travaillé territoire par territoire, adjoint par adjoint… pour faire un état des lieux, savoir quels étaient les besoins, dans ces quartiers de la politique de la ville ». Elle fait le point avec Made in Marseille sur ce rendez-vous, mais évoque aussi quelques dossiers sur lesquels elle travaille dans le cadre de sa vaste délégation, qui englobe également l’égalité des territoires, les relations euroméditerranéennes, l’attractivité et les grands événements marseillais.
Faire reconnaître la rade marseillaise au patrimoine mondial de l’Unesco, faire de Marseille une ville éducative connectée, l’avenir du Parc Chanot et les élections départementales de juin. Entretien.
Vous êtes la seule élue de la majorité à avoir le statut de maire-adjointe. Qu’est-ce que cela représente ?
Samia Ghali : Ce n’est pas à ma demande, c’est le maire qui m’a proposé d’être maire adjointe. Il faut lui poser la question, mais il a dit « que j’avais une place particulière et que j’étais une élue pas comme les autres ». Il sait que j’aime ma ville et que je fais fi de toutes les histoires politiques. J’ai l’opportunité d’apporter quelque chose à ma ville et c’est ce qui m’importe. Je suis bien là où je suis, dans ce que je fais, je ne lésine pas sur les heures, et je pense l’avoir prouvé sur la question de l’Anru où le timing était serré.
Je pense être un appui pour le maire, il sait qu’il peut s’appuyer sur moi, et il le fait d’ailleurs. C’est important, parce que ce sont des sujets [l’Anru] que je connais et que je maîtrise. Je connais la ville, les rouages, je n’ai pas peur non plus de taper du poing sur la table. Je pense aussi qu’il y a un respect de ma personne de la part même de mes adversaires politiques. S’il y avait des craintes me concernant, les Marseillais voient que je fais les choses dans l’intérêt général. J’essaye d’avancer.
Le 21 avril, veille du comité d’engagement de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, vous avez rencontré la ministre de la Ville, Nadia Hai. Que lui avez-vous dit ?
J’ai fait part du fait que Marseille avait besoin d’être aidée, et qu’on ne pouvait plus regarder Marseille comme on regarde les autres villes de France. Elle a complètement partagé mon analyse et cela facilite les choses. Mais maintenant il faut des actes.
Justement, comment s’est passé le comité d’engagement de l’Anru ?
Ces dernières années, la Ville n’a pas été en capacité de monter des dossiers dans le cadre de l’Anru. Il a fallu expliquer ce qu’on voulait faire ; défendre et convaincre du bien-fondé de nos projets au cours d’une réunion qui a duré 5 heures.
Nous avons formulé 123 propositions d’équipements sur la totalité de la ville que j’ai défendues, la voirie et les logements sont de la compétence de la Métropole qui était également représentée [par ces vice-présidents Martial Alvarez (cohésion sociale et territoriale) et David Ytier, (habitat, logement, habitat insalubre), Lionel Royer-Perreaut (vice-président du CT1, délégué à l’habitat) et Denis Rossi (vice-président du CT1, délégué à l’Anru) ndlr].
123 équipements, ça fait beaucoup ?
Jusqu’à présent dans les projets Anru, on a fait beaucoup de logements, mais pas les équipements qui vont avec. Je veux qu’on inverse cette tendance. Ça ne veut pas dire qu’on ne fait pas de logements, mais qu’on doit les faire simultanément.
Je ne veux plus qu’on attende d’avoir terminé le programme de logements pour permettre à un enfant de jouer au ballon. On a vu dans des quartiers des équipements qui ont plus servi aux petits-enfants qu’à leurs parents quand ils étaient plus jeunes. Et sur ce point, c’est acté avec l’Anru.
Quels types d’équipements avez-vous proposés ?
Je vais en oublier car la liste est longue, mais il y a des équipements sportifs (tous les gymnases situés dans les quartiers « politique de la ville », les stades…) des équipements culturels, des centres sociaux (un aux Crottes, un autre reconfiguré à Air-Bel).
La création d’un complexe sportif, sur l’ancien terrain de l’école de Ruffi, la reconfiguration d’écoles aux Aygalades avec un gymnase et le centre social… La Plaine des sports et des loisirs de La Busserine aussi.
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Bien sûr la rénovation de la piscine Nord (rattachée à Campagne-Lévêque) et de Frais-Vallon pour qu’elles deviennent de véritables complexes sportifs. Je considère que la piscine Nord fait partie des équipements centraux pour notre territoire. Elle est entourée d’établissements scolaires, de lycées, d’un bassin de vie important. Ça fait partie des lieux qu’il faut réhabiliter.
14 chantiers du premier programme de rénovation urbaine à Marseille ne sont toujours pas achevés près de 15 ans après leur lancement. Que vont-ils devenir ?
Dans le premier programme de l’Anru, 40 % de la dotation n’ont pas été utilisés et 40 % restants étaient dédiés à des équipements qui n’ont jamais été réalisés. Des programmes qui ont débuté dans l’Anru 1 ont été basculés sur l’Anru 2, comme Kalliste-Solidarité, Savine-Vallon des Tuves, Grand Saint-Barthélémy* ou encore Frais Vallon-La Rose, mais aussi dans le périmètre du grand centre-ville (Belsunce, Bon Pasteur, Butte Saint-Mauront), ainsi que les co-propriétés dégradées Maison Blanche, Bel Horizon, Parc Bellevue.
76 millions d’euros n’ont pas été utilisés dans le cadre ce premier programme, je vous laisse imaginer ce qu’on aurait pu faire avec. Et qui ont été perdus. Donc l’objectif c’est bien de ne plus en perdre et d’aller en chercher.
L’Anru et l’État ont annoncé 300 millions d’euros déjà engagés. Sur quels programmes cette somme va-t-elle être fléchée ?
L’objectif et le travail que j’ai mené étaient d’être au même niveau de financement que l’Anru 1, pour les trois premiers programmes de l’Anru 2 (La Castellane – Grand Est Saint-Barthélémy, Air Bel), c’est-à-dire 300 millions d’euros. Pour le reste des programmes, nous sommes sur une évaluation a minima du double parce qu’ils ne sont pas encore chiffrés, mais ça peut atteindre plus de 1 milliard.
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Avez-vous insisté sur l’intégration de nouveaux projets de renouvellement urbain ?
Nous avions besoin de faire rentrer des opérations dans l’Anru 2. Par exemple, Bon Pasteur [le projet de rénovation urbaine dit du « centre-Nord, ndlr] parce qu’il y avait un litige entre Euroméditerranée et la Logirem. Son intégration a été actée.
Sur Campagne Lévêque aussi, j’ai dit qu’on ne peut pas se permettre de laisser en l’état. Nous avons réussi à l’intégrer dans un projet national pour bénéficier des financements de l’Anru. Ici, l’idée est de rendre la cité plus accessible, enlever – et non forcément démolir – 300 logements, pour travailler sur une nouvelle configuration de ces logements qui ressemblent à des cages à poules, rendre les appartements beaucoup plus spacieux, mieux isolés. Il y a un accord de principe. Le projet n’est pas encore chiffré, mais a minima il est évalué à 60 millions.
Vous avez découvert dans le règlement général de l’Anru que le taux maximal de subventions pouvait passer de 50 à 65%. Comment a été accueillie votre demande ?
C’est ce qu’on appelle « le scoring ». C’est-à-dire un bonus de 15% de financement de l’Anru quand les villes répondent aux critères. Marseille y répond malheureusement de manière négative (taux de pauvreté, retard, évolution de la ville…). Le « scoring » existe depuis 2017, et la Ville de Marseille ne l’avait jamais réclamé. J’ai défendu le fait que c’était très important pour nous et que Marseille en avait besoin pour rattraper son retard. Ce n’était pas évident, mais je pense que j’ai été entendue. L’Anru regarde ça avec bienveillance.
Quel est le calendrier ?
Il est convenu qu’ils doivent revenir vers nous mi-mai. Maintenant, on va accélérer. J’ai avancé les dates. Les comités de pilotage vont intervenir en 2021 pour une partie, pour commencer. Et ensuite en 2022, pour aller le plus vite possible.
Votre délégation est vaste puisque vous avez également en charge l’égalité des territoires, étroitement liée aux questions de la rénovation urbaine et de l’Anru. Mais travaillez-vous sur un sujet précis actuellement ?
Mon objectif, c’est que les quartiers populaires aillent mieux. Je travaille actuellement pour un accès à internet dans tous les quartiers, et ce sera présenté en conseil municipal. Je travaille sur ce sujet avec l’ensemble des bailleurs sociaux. Je veux que tous les quartiers de la ville soient connectés.
Au-delà, je veux que l’on crée des banques numériques, un peu à l’image des banques alimentaires. Une association récupère du matériel informatique, le reconditionne pour la revente. L’idée est de passer une convention avec cette association afin que 30 % soient distribués à des associations qui prodiguent l’aide aux devoirs, comme à Bassens, par exemple, mais on veut le faire partout.
Le but est aussi de créer une salle informatique dans chaque structure qui fait de l’aide aux devoirs. Pour ça, j’ai aussi contacté le patron de Kartable (aide aux devoirs en ligne) afin qu’il puisse offrir l’accès gratuit à la plateforme aux petits Marseillais dans ce cadre précis.
Vous avez également en charge l’attractivité et les grands événements. Quels sont vos projets pour le Parc Chanot ?
La DSP (délégation de service public) s’arrête dans un an et demi, il faut que l’on puisse réfléchir à l’avenir du Parc Chanot. La Ville n’est pas en capacité de l’auto-financer. Nous allons lancer une AMO (assistance à maîtrise d’ouvrage). Cela va nous permettre de savoir ce qu’il est possible ou non de faire. Je travaille avec les services des sports, de la culture… pour voir si l’on intègre, par exemple, le Palais des sports. Nous devons aussi définir si l’on va plutôt vers un parc de la Villette autour des sciences comme à Paris, en plus de sa fonction actuelle de congrès.
Il y a un tas de questions et d’orientations possibles, et pour ce type d’infrastructure accueillant du public, on ne peut pas raisonner comme il y a quelques années. Il faut une sécurité optimale. Cela fait aussi partie des choses qu’il va falloir étudier.
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Et pour le stade Vélodrome ? Le maire ne cache pas son désir de le vendre au propriétaire de l’Olympique de Marseille…
Le maire a dit ce qu’il pensait. J’étais contre au départ pour tout vous dire, mais aujourd’hui, au regard des finances de la ville, je dis pourquoi pas. Mais à certaines conditions : je pense que le stade ne peut être vendu qu’au propriétaire de l’OM, qui n’est pas acheteur pour l’instant. L’important est que l’on garde ce côté populaire avec les supporters. Même si un jour il est vendu, il reste la propriété des Marseillais, et je pense que Marseille doit garder une part, même minime, de propriété.
Sur le volet des relations euro-méditerranéennes, quelle est votre vision ?
J’étais hier en réunion avec la CoPaM (co-développer le patrimoine mondial en Méditerranée). Je travaille pour faire en sorte que la rade marseillaise soit reconnue au niveau de l’Unesco. C’est un facteur d’attractivité sur notre territoire. Je souhaite aussi mettre en place une vraie coopération avec les pays du Maghreb et de l’Afrique sub-saharienne… Nous devons, là encore, prendre toute la place qui est la nôtre de ville méditerranéenne. La Ville ne faisait plus partie de l’Avitem (Agence des Villes et Territoires Méditerranéens). On est revenu en tant que membres fondateurs. Ce n’est pas rien. Ce sont des petits gestes, mais ils sont politiquement importants.
Votre nom circule pour les élections départementales des 20 et 27 juin. Êtes-vous candidate à la présidence ?
(Sourire) Je ne comprends pas pourquoi mon nom circule, il n’y a pas de demande de ma part.
Et si on vous le demande ?
Ce qui est sûr, c’est que je serai candidate pour les élections départementales. Pas forcément pour mener la liste, ce n’est pas à l’ordre du jour. J’ai toujours dit que je voulais tout faire pour rééquilibrer les choses dans cette ville. Je veux continuer dans cette voie. Je serai utile pour Marseille qui a malheureusement été longtemps le parent pauvre du Département. Là aussi, il faut que Marseille retrouve sa place, de la même manière que je le fais au niveau de l’État, pour avoir le maximum pour Marseille.
* Grand Saint-Barthélémy regroupe le secteur de Font Vert/Cité SNCF, secteur Raimu-La Busserine, le Merlan, les Oliviers, Lilas-Mimosa, Malpassé-Bellevue, Villecroze-Corot.