À quelques jours d’un second tour des municipales très ouvert à Marseille, Jean-Claude Gaudin s’apprête à refermer une page de son histoire. Après 25 ans de mandat, jour pour jour, le maire LR de la deuxième ville de France jette un coup d’œil dans le rétro’, un regard sans concession sur cette campagne pour sa succession… avant d’ouvrir un autre chapitre.

« Monsieur Gaudin, ça fait plaisir de vous voir, vous n’alliez pas partir sans dire au revoir quand même ». À la table de ce restaurant chic des Terrasses du Port, le maire LR de Marseille ne passe pas inaperçu. Sa voix porte. Ses frappes du poing claquent. L’ancien sénateur a encore ses fans, et ils n’hésitent pas à le lui faire savoir.

Pas de poignées de main, distanciation sociale oblige, mais son sourire en dit long lorsque ces Marseillais s’avancent de manière courtoise, lui glisser quelques mots sympathiques. Ce jour-là, il y a un anniversaire. Mais point de grande effusion, de célébration. Ce jeudi 25 juin 2020 symbolise une date particulière dans la carrière de Jean-Claude Gaudin : cela fait 25 ans, jour pour jour, qu’il s’installe pour la première fois dans le fauteuil de maire de Marseille. Le 25 juin 1995.

Pourtant, ce n’est pas ce fameux jour qui marquera la vie politique de l’ex-président du conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur (1986-1998). L’événement qui restera à jamais gravé dans sa mémoire, comme le plus important de sa vie, c’est lorsqu’il entre pour la première fois au conseil municipal, il y a 55 ans.

Un souvenir impérissable. « J’ai 25 ans. Je suis le benjamin, je suis à côté du doyen, et le secrétaire général qui pilotait dans le dos, et après Gaston Defferre. Et je les vois tous, les hommes et les femmes politiques de la ville. Les communistes, avec François Billoux, madame Estachi, les socialistes avec Defferre, avec Jean Masse, la droite qui m’avait adopté, les bourgeois, les industriels, les grands médecins, les grands avocats… C’est ça, le plus beau jour de ma vie politique ».

Du rêve aux larmes

Le maire égraine un brin nostalgique quelques autres souvenirs, « content d’aller à l’Assemblée, de monter les marches de l’Élysée pour aller au salon Murat, d’être ministre, bien entendu que tout ça me fait plaisir… » Mais son rêve ultime, il ne l’a jamais caché : « c’était d’aller au Sénat ».

Si bien que lorsqu’il fait ses adieux au Palais du Luxembourg en juillet 2017, [dans le cadre de la loi sur le non-cumul des mandats, ndlr] l’émotion l’étreint. De nouveau palpable lorsqu’il (ra)conte sa dernière séance. « Une gentillesse », dit-il de Gérard Larcher et Bruno Retailleau, pour un dernier « hommage. À ce moment-là, tous les groupes, je dis bien, tous les groupes, m’ont longuement applaudi et moi j’ai été très ému ». Jusqu’aux larmes ; qu’il a contenu lors de son dernier conseil municipal à Marseille, en janvier 2020. « Je ne souhaitais pas qu’on en fasse trop. Les plus proches m’ont dit des choses très agréables… ».

Entre débats, hommages et remerciements… « L’un des derniers monuments de la politique française », comme l’avait qualifié le socialiste Benoît Payan, ne veut retenir que le meilleur de ce moment, où certains membres les plus fervents de l’opposition ont salué son parcours politique, quand d’autres ont préféré quitter l’hémicycle. Sur ce point, sa « doctrine » l’incite « au pardon des offenses, mais aucun précepte ne m’interdit d’en garder le souvenir ».

Entre tourments et confiances

Il garde aussi en tête ses batailles contre Defferre, Tapie, Le Pen ; rappelle son action pour la création de la Métropole, puis au passage sa décision de ne plus briguer un cinquième mandat. « J’avais décidé dès 2014 que je ne me représenterais plus. Parce qu’à 81 ans, je n’ai plus la même force, la même autorité, la même volonté. J’ai le stress permanent qu’il nous arrive des emmerdements. Des attaques terroristes on en a eu, des immeubles qui s’effondrent comme à la rue d’Aubagne, je n’en ai pas eu pendant 24 ans, et tout d’un coup ça arrive… Maintenant, c’est fini et je souhaite que ce soit quelqu’un qui a les qualités » prenne la suite.

Sans la nommer, ses mots sont à l’attention de Martine Vassal, candidate Les Républicains à la mairie de Marseille depuis le 13 septembre 2019. À ceux qui la désignent comme « l’héritière », il rétorque : « vous me bassinez avec l’héritière. Elle fait ce qu’elle veut, elle dit ce qu’elle veut, elle n’est pas une héritière, elle a une vision sans doute différente et plus moderne que la mienne ». Et d’ajouter, « cependant, c’est elle qui est la plus proche de moi ».

Alors même que sa famille politique est dans la tourmente, bousculée par une affaire de soupçons de fraude aux procurations, son soutien à la présidente du Département des Bouches-du-Rhône, est indéfectible. « La différence avec elle et le passé, c’est qu’elle a aidé tout le monde, quelle que soit l’identité politique, tandis qu’avant, excusez-moi du terme, la droite elle pouvait se frotter avec un oursin. Et puis c’est la meilleure ! Elle peut diriger, elle l’a prouvé, l’autre non, et leur coalition non plus ! [Michèle Rubirola et le Printemps Marseillais, ndlr], estime le maire, confiant pour le second tour du scrutin. « Il y a 500 000 électeurs inscrits à Marseille. À chaque élection, tous les camps essaient de faire des procurations, ici ou là, il y a des maladresses, mais c’est epsilon. Arrêtons de noircir toujours ce qu’il se passe à Marseille. Mon sentiment, c’est que tout ça n’a pas beaucoup d’influence », déclare-t-il, alors qu’une enquête est en cours.

« C’est une bagarre, et la bagarre elle a lieu »

Si la clé de ce scrutin réside dans la mobilisation, l’ancien ministre continue de prôner la théorie des courants. « Il est clair qu’au premier tour, le courant était en faveur de la gauche. Se maintiendra-t-il ? Car nos électeurs paniqués par le Covid ne sont pas allés voter. Ç’a été un handicap pour nous. Je sens une mobilisation de la droite républicaine et du centre ».

Les triangulaires et quadrangulaires dans différents secteurs ne sont pourtant pas de nature à rassurer la droite. « Ça peut compliquer les choses, avoue-t-il. S’il y avait une force très forte pour la gauche, bien entendu que cela désavantagera beaucoup des nôtres dans toute la France, mais je ne crois pas à cette vague. Dans la deuxième ville de France, avec 870 000 habitants, avec les formations politiques et toute cette addition de collectifs divers et varié, ce n’est pas simple d’y arriver. C’est une bagarre, et la bagarre elle a lieu ».

Un combat où les coups pleuvent, où les règlements de comptes, sans Kalash, touchent tous les candidats, et où par-dessus tout le débat d’idées est absent. Jean-Claude Gaudin regrette ce climat. Il s’est dit « choqué », par des « propos d’intolérance », « de méchanceté et de stupidité », des adversaires politiques.

Dans le collimateur, le Printemps Marseillais, arrivé au premier tour des municipales avec sa candidate Michèle Rubirola. « Quand on veut diriger une ville, il faut savoir écouter, d’abord ses propres amis, ceux qui nous permettent d’être élus et ensuite l’opposition, si elle a des suggestions qui peuvent paraître être intéressantes, mais on n’a pas à noircir, pourrir, attaquer les personnes, ça c’était il y a 50 ans… » 

« Le parti a fait les choses dans les règles »

L’ex-ami Bruno, désigné un temps comme son successeur, n’est pas épargné. « Quand le peuple marseillais aura mis en tête quelqu’un, aura donné une majorité même relative à quelqu’un, le respect, insiste-t-il, porte vers cette majorité relative. Que peut faire Bruno Gilles ? Incroyable ! », clame celui qui a connu cette situation au Département en 1995. Et de faire sienne cette citation de Léon Blum. « On n’a jamais raison contre son parti ».

L’occasion pour l’ancien professeur de refaire l’histoire : « Le parti a fait les choses dans les règles ». Il y a quelques mois, il faisait la radioscopie du paysage politique à Marseille, au cours d’une conversation personnelle avec Christian Jacob. « Après quoi, il nous réunit, les députés LR, les sénateurs, Muselier et Gaudin. Et nous avons un grand échange. À ce moment-là, je dis que Bruno Gilles devrait être le premier de notre liste au Sénat où notre département a la possibilité d’avoir plusieurs sièges, donc on lui offre la première place d’une liste pour être sûre d’aller au Sénat. Sa réponse devant tout le monde : « cette proposition est humiliante ». À partir de ce moment, tout le monde s’est déclaré en faveur de Martine Vassal, sauf Renaud Muselier et Eric Diard  [député]». 

Le 27 novembre 2019, Martine Vassal est investie par Les Républicains. « C’est elle qui rend service à LR, ce n’est pas l’inverse », lâche le maire. Cinq jours plus tard, Bruno Gilles quitte LR et sa présidence à la tête de la Fédération des Bouches-du-Rhône, le sénateur ayant toujours affirmé vouloir être maire de Marseille, et qu’il irait « jusqu’au bout ». Une situation qui rompt définitivement les liens.

De Terminator au théâtre de la Criée

Pas d’alliance possible, non plus, avec La République en marche. Son candidat Yvon Berland, ex-président d’Aix-Marseille Université a décidé de maintenir sa liste dans le 6-8, fief historique de la droite, où Jean-Claude Gaudin l’avant emporter en 2014 dès le premier tour, avec 50,07% (21 527 voix). Quand le candidat marcheur plaide pour une continuité pour imprimer les idées du parti présidentiel (lire par ailleurs), Gaudin riposte : « Le parti du pouvoir se résoudrait à un seul siège sur 101, enfin… Le pauvre Berland dès dimanche soir, LREM et les puissances d’en haut ne le comptabilisent plus. Terminator ! » 

Jouer les Terminators, pour « éliminer », l’extrême-droite de la cité phocéenne, c’est aussi le souhait du maire. Le Rassemblement national a maintenu ses listes dans tous les secteurs de la ville. Au même titre que la droite, le parti de Stéphane Ravier n’a pas réalisé le score escompté au premier tour, pour autant le match est loin d’être plié. « Le score va un peu augmenter compte tenu de ce qui s’est passé depuis la mort de ce malheureux aux États-Unis [Georges Floyd, ndlr], les répercussions en France, l’exagération des télévisions, et le déboulonnement des statues… ça conforte un peu le Front national, mais voilà… », analyse le maire.

Lui qui aime les joutes verbales, rejette aussi d’un revers de main l’idée d’un débat de la candidate LR avec le parti de Marine Le Pen. « Pourquoi voulez-vous que l’on débatte avec le FN avec lequel on ne veut rien faire ? ». Reste que les Marseillais sont privés de débat dans la deuxième ville de France. « Regrettable » mais pas inédit.  « Moi, avec David Pujadas. Tout était organisé au théâtre de la Criée, et lorsque j’arrive le journaliste m’annonce que Monsieur Vigouroux ne vient pas ».

Paris-Marseille-Lyon, une bouillabaisse à revoir

Jean-Claude Gaudin est partisan de la suppression de la loi PLM (Paris-Lyon-Marseille) pour entrer dans le droit commun de toutes les villes de France , « puisqu’à plusieurs reprises, celui qui a eu le plus de voix n’a pas été maire, ça m’est arrivé à moi en 1983 ; à Philippe Seguin à Paris, mais que l’on garde les maires de secteur pour la proximité. J’ai souvent essayé de convaincre les Parisiens, mais soi-disant amis politiques. Ils m’ont regardé avec mépris « qu’est-ce que ce trou du c** à Marseille, vient nous donner des leçons à Paris, qu’il reste dans sa bouillabaisse. Voilà le style de ce que nous avons entendu, et en ce moment aussi d’ailleurs ».

D’éloge en éloges…

Avant dimanche soir, où il sera dans son bureau de l’Hôtel de Ville entouré de ses écrans, pour suivre les résultats en direct, il prendra la route ce vendredi matin direction de Saint-Marcel-de-Félines pour se rendre aux obsèques de Pascal Clément. Les deux hommes étaient liés par « une amitié sincère et une profonde estime réciproque. Nos relations amicales se sont bien étendues au-delà de ma présence à l’Assemblée nationale de 1978 à 1989 ».

Il prononcera pour l’occasion l’éloge funèbre. « J’en aurais fait des éloges funèbres, je ne sais pas qui fera le mien… », confie-t-il. Il n’envisage pas de prononcer celui de la droite marseillaise : « Elle se l’attribue elle-même si elle est assez co*** Moi, j’aurai conduit la droite à la marie pendant 25 ans, en avalant des couleuvres, en mettant sur mes listes des gens qui ne me plaisaient pas forcément, en leur attribuant des fonctions après… sauf que j’ai garanti l’unité ». 

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