Marseille est une place du graffiti reconnue mondialement. Les street artistes ont fait la renommée de quartiers tels que le Cours Julien ou le Panier. Aujourd’hui, les pouvoirs publics y voient un facteur d’attractivité tout en luttant contre le graff vandale. Reportage pour ce dernier épisode du dossier du mois, dédié à la culture urbaine.

« J’ai vu votre article sur le futur métro automatique. C’est une bonne nouvelle pour nous ça ! ». Yohan* est graffeur à Marseille. On aperçoit son blaze sur beaucoup d’immeubles, de tunnels et de trains de la ville. « Les chauffeurs, ils peuvent te cramer quand tu poses dans le métro, mais si y en a plus… Déjà qu’on est la région où le transport se fait le plus éclater... Ça vient de tout l’hexagone pour poser ici, on l’appelle « la baleine blanche » ».

Si les graffitis sont visibles dans tous les tunnels du métro marseillais, la Régie des transports métropolitains (RTM) tient une politique ferme pour ses rames : aucune ne sort du dépôt si elle est taguée. Vlad*, dont les énormes lettrages flashy sont visibles dans tout Marseille, continue pourtant de « visiter » les entrepôts la nuit pour inscrire son blaze sur les métros et les tramways : « C’est plus fort que moi, presque une addiction, alors que personne ne les voit à part le mec de la sécu ou le chauffeur. Ceux-là, je les fais pour moi ».

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Graffiti dans le métro de Marseille

Rues, immeubles, tunnels, l’espace public à Marseille est un terrain de jeu bien connu des graffeurs. Ils viennent de France et du monde entier pour peindre la ville. « Déjà, parce que c’est une ville intéressante à graffer, pleine de reliefs, de diversité, un excellent terrain de chasse », explique Yohan. « Ensuite, parce qu’il y a une grosse culture « art de rue ». Et enfin, parce que les autorités sont plus tolérantes qu’ailleurs avec nous ». Ce que confirme Vlad : « on pose du vandale (sans autorisation, ndlr) en plein jour, personne n’est choqué, personne ne pose de question ». Il a tout de même fini au poste une fois : « On abusait aussi… On posait un énorme lettrage sur un immeuble en plein jour ».  Il se souvient de la remarque du policier qui a pris leur déposition : « Mes collègues vous ont arrêté pour un graff ? »

La ville a dépensé 650 000 euros en 2018 pour recouvrir 135 000 m² de tags

La ville de Marseille mène pourtant la lutte contre les graffitis illégaux. La lutte anti tags est coordonnée par le Service des interventions techniques de la Direction de l’espace public de la Ville. « Concernant les tags considérés comme injurieux, la Ville demande une intervention quasi-immédiate », explique la mairie centrale. Pour le reste, les services interviennent lorsqu’une demande de nettoyage est exprimée par le canal d’Allo Mairie. Des opérations de traitement sont également réalisées « sur des zones où se concentrent des graffitis (essentiellement sur le Centre Ville élargi), déterminées par la Ville de Marseille ».

En 2018, toutes interventions confondues, 135 000 m2 ont été traités pour un montant de 650 000 euros, explique la ville. Une surface qui représente environ 18 terrains de foot.

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À Marseille, il faut souvent lever la tête pour admirer les graffiti

Le street art fait rayonner Marseille

Pourtant, la ville ne fait pas que lutter contre cet art de rue. Elle a même identifié le street art comme un vecteur d’attractivité pour Marseille. Voilà des années que l’office du tourisme organise des visites guidées dans le quartier du Cours Julien.

C’est ici même que l’on rejoint la guide conférencière Alexandra Blanc Véa. Experte en histoire du street art depuis les années 1990, elle est vite tombée sous le charme de Marseille en arrivant de banlieue parisienne en 2001. Aujourd’hui, elle raconte l’histoire de chaque pochoir, fresque, collage ou mosaïque, à des touristes du monde entier. « Ce qui détermine et fait le charme du street art, c’est qu’il est visible de tous et gratuit ».

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On trouve au Cours Ju les plus grands noms du street art français. Les mosaïques d’aliens de Space Invader côtoient les célèbres collages de Mister P représentant le Général de Gaulle, ou les pochoirs engagés de C215 (auteur des portraits de Simone Veil tristement rendus célèbres ces derniers jours). Dans chaque rue, des fresques monumentales ornent les immeubles.

Ce matin, plus d’une trentaine de lycéens venus de Frontignan arpente les rues du Cours Ju. « On l’a autorisé à faire ça sur ce mur ? », demande un élève en désignant un collage de Stéphane Moscato, célèbre street artiste marseillais. « Non », répond Alexandra. « Beaucoup d’œuvres sont autorisées dans ce quartier, une bonne partie sont même des commandes. Mais bien d’autres sont illégales. Pourtant, celle-ci est tolérée, et même entretenue ».

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Alexandra Blanc Véa décrit l’oeuvre de Stéphane Moscato

Graff légal VS graff illégal : « la plupart des street artistes font les deux »

Dans ce quartier, les autorités publiques font plus que tolérer le graffiti, elles l’encouragent. Le Département des Bouches-du-Rhône a récemment financé une campagne de graffitis sur une grande partie des devantures des commerces et restaurants. « C’est une manière de contenir un peu les graffeurs », explique Alexandra. « Les commandes permettent de déterminer une ligne artistique qui convient au plus grand monde, et les autres graffeurs viennent moins « toyer » (taguer par dessus) ».

Si la pratique du graffiti reste difficile à contenir, certains graffeurs voient cette « direction artistique » aller à l’encontre de leur philosophie. C’est le cas de Vlad qui, comme Yohan, pratique exclusivement le graff illégal. « Je graffe pour m’approprier l’espace public, pas pour que les pouvoirs publics s’approprient mon art ».

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L’escalier du Cours Ju, terrain de jeu des graffeurs

Joan Gandolfi a créé le collectif Massilia Graffiti au Cours Julien « pour mettre en lien une vingtaine de graffeurs avec des personnes qui souhaitent faire des commandes ». C’est elle qui a coordonné le Département, les commerçants et les graffeurs pour repeindre les devantures du quartier. Elle-même graffeuse, elle se positionne comme un tampon entre entre le monde de l’art de rue et le milieu plus institutionnel. Une posture délicate. « Je m’en prend plein la g**** ! », lâche-t-elle. « Certains riverains et CIQ considèrent que je suis responsable de tous les tags vandales ». D’autre part, certains graffeurs lui reprochent l’appropriation de l’art de rue par les pouvoirs publics ou l’économie que cela génère.

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Joan Gandolfi dans les locaux de Massilia Graffiti au cours Ju

« Si es legal, no es graffiti. » Alexandra Blanc Véa cite l’écrivain espagnol Arturo Pérez-Reverte pour résumer cette pensée. « Mais il y a autant de postures que d’artistes, avec beaucoup de contradictions. La plupart des street artistes que je connais font les deux », conclue-t-elle.

Cliquez pour découvrir en images l’univers du graffiti au Cours Julien :

* les noms ont été modifiés


Le dossier du mois

Chaque mois, durant une semaine, made in marseille explore un aspect de la ville.

Pour ce mois de février, la rédaction s’est penchée sur les cultures urbaines dans notre ville. Marseille est connue comme une des portes d’entrées de la culture hip-hop en France grâce notamment au groupe IAM. Qu’en est-il aujourd’hui ? Rap, graff, skate… autant de perspectives que nous avons essayé de creuser dans le cadre de notre dossier du mois de février.

Le dossier du mois de janvier : l’essor des quartiers nord, nouveau levier de développement économique

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