Invité à rencontrer les jeunes participants des 7e Jeux Internationaux de la Jeunesse (JIJ) se déroulant à Marseille, l’ancien footballeur professionnel Lilian Thuram nous a accordé une interview. L’occasion de se confier sur sa fondation contre le racisme, mais aussi d’évoquer sa carrière aux côtés notamment de Zidane.

Made in Marseille – Bonjour Lilian Thuram, vous êtes actuellement à Marseille pour les JIJ, pour venir rencontrer les jeunes venus de tous horizons et pour promouvoir votre fondation « Lilian Thuram – Education contre le racisme ». Pouvez-vous nous parler de votre démarche ?

Tout à fait. La fondation essaye de questionner autour de la nation de l’égalité. On y parle du racisme, du sexisme, de l’homophobie. On cherche à questionner les comportements qui nous empêchent de construire l’égalité. L’idée est de dire aux enfants, que tout au long de l’histoire, on a fait des catégories. Elles ont été liées à la couleur de la peau des gens, la nationalité, au genre… Et lorsque l’on discrimine les personnes de couleur noire pendant l’histoire, c’est justement qu’on leur enlève leur humanité. On en était arrivé à dire qu’être blanc cela voulait dire, être plus humain que les noirs. Donc l’idée de la fondation est celle-ci. Quand on refuse l’égalité à une personne, on nie tout simplement qu’il a la même humanité que nous.

Comment faire comprendre cette notion aux jeunes générations ?

Quand je me rends dans les écoles, je demande très souvent aux enfants, « un être humain peut-il avoir plus de droits qu’un autre ? » Ils répondent tous non.« Et donc pourquoi des gens discriminent les homosexuels ? Ils pensent donc qu’ils ne sont pas humains ? » Cette question provoque un choc aux enfants, mais cela vient du fait que les gens les perçoivent dans une autre catégorie, que la leur. Voilà d’où vient le racisme. L’idée est donc de développer ce questionnement qui permet de percevoir le conditionnement qui nous empêche de voir l’autre comme nous-même. Il y a un conditionnement historique dans la relation entre les hommes et les femmes, on a cru depuis des siècles que les hommes étaient supérieurs aux femmes. Nous sommes le fruit de cette histoire, nous reproduisons ces schémas de domination. C’est exactement la même chose entre les personnes de couleur blanche. Pendant des siècles, on a expliqué que ces personnes étaient supérieures aux autres. Et encore, aujourd’hui de façon inconsciente cela existe, certains le pensent encore. Il faut questionner l’histoire, pour ne pas reproduire ces schémas-là.

Quelles sont les actions que vous mettez en place pour éveiller les gens à cette cause ?

Nous réalisons des expositions, nous éditons des livres, il y a le deuxième tome de la bande dessinée « Notre Histoire », qui est sortie en kiosque le 31 mai. Cette BD découle du postulat suivant : je suis allé à l’école, j’ai eu la chance d’avoir des étoiles blanches (ndlr, comprendre grandes figures historiques) qui m’ont permis de me construire en tant qu’individu, mais je n’ai pas reçu d’étoiles noires. Les seules personnes noires, que j’ai rencontré lors de mon cursus scolaire étaient liées à l’esclavage. Donc je me suis dit qu’il serait intéressant que nous ayons des étoiles de toutes les couleurs. Dans cette BD, je présente des étoiles noires, celles qui m’ont permis d’être celui que je suis et d’avoir confiance en moi. J’ai aussi observé autour de moi, que la majorité des personnes blanches n’ont pas d’étoiles noires. Je pense qu’il est intéressant de présenter, aux enfants notamment, des étoiles qui permettent de changer leur imaginaire. L’idée est que ces étoiles deviennent connues par tous. C’est exactement la même chose avec les femmes. Tout au long du cursus scolaire, on ne rencontre que très peu de grandes figures féminines. On peut finir par croire qu’elles n’ont pas fait grand-chose au cours de l’histoire.

« Le racisme est un conditionnement, une éducation, ce n’est pas simplement baser les choses sur la morale en disant le racisme est une mauvaise chose. Il faut apporter des indications aux personnes pour grandir différemment et non pas avec des préjugés. »

Peut-on en déduire que vous militez pour une réécriture des livres d’histoire ?

Je ne milite pas non, j’apporte un questionnement. Ce n’est pas un problème seulement de livre d’histoire, mais c’est plus général, il serait plus intelligent d’avoir des personnes de toutes les couleurs dans nos livres, cela changerait les mentalités. Le racisme est un conditionnement, une éducation, ce n’est pas simplement baser les choses sur la morale en disant le racisme est une mauvaise chose. Il faut apporter des indications aux personnes pour grandir différemment et non pas avec des préjugés. Toutefois, nous ne sommes pas assez conscients que l’histoire construit, en nous, une certaine pensée.

L’histoire permet aussi d’inculquer l’identité aux gens …

Bien sûr, l’identité est inculquée par l’histoire, par l’environnement dans lequel vous grandissez, par la famille. Mais ce qui est le plus important, il ne faut pas que cette identité soit fermée. Très souvent pour construire une identité, on ne prend que certains critères.

C’est à ce niveau que vous intervenez pour ouvrir à une réflexion plus large ?

Exactement, en questionnant le conditionnement, les gens ne se rendent pas compte, mais selon votre couleur de peau vous êtes éduqués d’une certaine façon, vous êtes éduqués à comprendre l’histoire d’une certaine façon. Je pense réellement que la population n’a pas conscience de ça. Les personnes de couleur blanche très souvent ne se perçoivent pas blanche, c’est très important, car la relation à la couleur vient de l’histoire. Ainsi, historiquement les personnes de couleur blanche ont depuis des siècles étaient en position de dominations sur les autres, il faut en discuter sinon les enfants peuvent grandir avec ces schémas de domination. Je suis sensible à ça.

Avez-vous personnellement connu cette situation ?

À mon arrivée dans la région parisienne, à l’âge de 9 ans, des enfants m’ont insulté sur la couleur de peau. Ils avaient du mépris, je me suis demandé d’où venait ce sentiment. Le mécanisme est simple, les enfants reproduisent tout simplement les schémas de pensées, c’est de l’ordre de l’inconscient.  On observe ce phénomène partout, pas seulement entre les blancs et gens de couleurs, mais aussi entre hommes et femmes, entre hétérosexuels et homosexuels. Et pour casser ces schémas de pensées, il est indispensable de parler d’égalité. L’histoire de Rosa Parks est un excellent exemple du conditionnement. À cette époque, toute la société était conditionnée. Les blancs disposaient des places assises dans le bus, et un noir était habitué à laisser sa place, si un blanc montait. Ce qui est intéressant, dans cette histoire, ce fut lorsque Rosa Parks cassa les habitudes établies. Cette situation, de rompre avec les habitudes, est très compliquée à vivre pour chacun de nous. Donc, il est important de discuter, et déconstruire les choses pour que les gens comprennent que nous jouons un rôle négatif dans le fait qu’il y ait moins d’égalité dans la société, sauf que beaucoup de personnes pensent qu’ils n’y sont pour rien.

Avez-vous discuté avec les différents ministres de l’éducation, que la France ait connus ?

On en a rencontré des employés de l’éducation nationale ainsi que plusieurs ministres, pour essayer de faire passer le message. Voilà, les choses que nous essayons de faire.

Mais il n’y a eu aucune avancée notable ?

On ne peut pas dire qu’il n’y pas eu d’avancées, mais elles sont très lentes à mettre en place. Encore une fois, il est important de dédramatiser ces choses-là, très souvent les gens n’osent pas dire les choses. Il faut se parler sereinement. Prenez l’exemple, il n’y a pas si longtemps lorsque l’on disait à une personne qu’elle était blanche, elle prenait ça comme une agression, car on disait « les blancs ». Alors qu’en fait, on parle toujours « des noirs » ou « des blacks ». Il faut donc dédramatiser les choses que se soit le sexe, la couleur, ou le genre ce ne sont pas des choses anodines. Il y a des schémas de domination sur lesquels nous devons discuter, pour les abolir. On pense souvent que le racisme était dans l’ancien temps, et que l’homophobie a lieu aujourd’hui, tout comme on a l’impression que dans notre société il y a l’égalité entre les hommes et les femmes, entres les personnes selon la couleur de peau. Sauf que la réalité est différente. Il arrive bien souvent, que l’on aborde le sujet du sexisme par le prisme d’autres pays, ou encore étant donné que c’est à la mode, le sexisme vu des quartiers, comme si en dehors des banlieues tout va bien. Ce n’est pas le cas.

À la fin de l’année dernière, la FIFA (Fédération Internationale de Football) a mis fin à son groupe de travail sur la lutte contre le racisme. Dans un sport souvent épinglé pour ses problèmes de racisme, que vous inspire cet arrêt ?

Cela m’attriste, qu’ils mettent fin à cette mission, car le racisme existe dans le football bien évidemment. Il est présent dans ce sport avant tout car il subsiste dans la société. Il aurait été intéressant de continuer ce travail, en raison de la grosse caisse de résonance qu’est le football, et de réaliser des actes forts pour dénoncer le racisme.

, Rencontre – Lilian Thuram « Le racisme est un conditionnement, une éducation », Made in Marseille
Lilian Thuram, à l’école de la 2ème chance à Marseille, entouré des participants des Jeux Internationaux de la Jeunesse

Au cours de votre carrière avez-vous été confronté à des actes racistes ?

Pas dans les vestiaires, ou les équipes dans lesquelles j’ai pu jouer. Par contre dans les stades, j’ai connu ça notamment en Italie, prenez le cas récent de Muntari. Le joueur de Pescara se fait insulter sur le fait qu’il soit noir, il va voir l’arbitre en lui demandant d’arrêter le match, ce dernier le sanctionne d’un carton jaune. Le match continue, il souhaite quitter le terrain, il reçoit alors un carton rouge. Cet exemple, donne à penser que le problème est Muntari. Il sort et le match continu. Mais dans ce cas, il n’est que la victime. Les seuls capables de changer les choses à ce moment précis, se sont les personnes qui ne subissent pas le racisme. Si, les joueurs ou les supporters quittent le stade, vous allez voir qu’il y aura moins de racisme dans les stades. Malheureusement pendant cet événement, les joueurs ont pensé qu’ils ne peuvent rien faire. Ils se sont persuadés que ça ne les regardait pas. Dans l’affaire Muntari, ceux qui ont un problème se sont les personnes blanches, il faut donc que tout le monde se parle, la couleur de peau n’est pas anodine. Tout comme être homosexuel n’est pas un problème, se sont les hétérosexuels qui en ont un et en pensant pourvoir contrôler les envies et droits des autres. Et nous devons l’intégrer. Bien souvent, on inverse la pensée, puis on finit par faire croire aux gens stigmatisés que se sont eux les problèmes dans la société.

« Le sport collectif crée du commun en partageant nos qualités, nous pouvons aller plus loin »

Vous êtes venus, dans le cadre des Jeux Internationaux de la Jeunesse. Que symbolise pour vous le sport, et quelles valeurs a-t-il pu vous inculquer ?

Il permet d’apprendre à se connaître, voilà le plus beau cadeau du sport. Il entraîne le dépassement de soi, et à repousser ses limites. Après le sport collectif crée du commun, en partageant nos qualités, nous pouvons aller plus loin. Bien souvent, dans la société les gens veulent que les autres soient à disposition, sauf que le sport incite à se mettre à la disposition du collectif. Pour en revenir, à l’inversion de pensée, on pense souvent que le problème dans la société est l’existence des pauvres. On ne parle jamais de distribution des richesses, même au niveau international quand on parle de certains pays, on aime à dire que se sont les pauvres qui ont des problèmes. Mais on oublie sans doute, que l’existence, de pays riches, découle de celle des pays pauvres.

Revenons un peu au sport et notamment au football. Alors, que certains de vos camarades de 1998 brillent à la tête de différentes équipes. Quels liens entretenez-vous avec le football à l’heure actuelle ?

Tout d’abord, j’adore le foot. Je pense qu’il est possible de comprendre beaucoup de choses à travers ce sport. Je regarde plutôt ça de loin, ça m’arrive de regarder des matchs, mais rien de plus.

« Zidane (coach) a déjà écrit l’histoire ! »

Vous ne souhaitez pas vous impliquer dans la vie d’un club ?

Non, car tout simplement, je pense que le travail effectué avec ma fondation est plus important que le football.

Auriez-vous un mot à adresser au plus célèbre des Marseillais, Zinedine Zidane, après son sacre européen ? 

Il peut tout simplement être fier du travail effectué, ce qu’il réalise est juste incroyable. Je n’ai jamais douté de lui, car Zidane est quelqu’un qui travaille énormément.

Était-il déjà un gros travailleur, lorsqu’il était joueur ?

S’il n’avait pas été comme ça, il n’aurait jamais atteint le niveau qu’il a connu en tant que footballeur professionnel. Et quand comme moi, vous le connaissez depuis très longtemps, vous savez qu’elle se situe là, sa force. Dans le travail et l’humilité.

Pensez-vous qu’il peut devenir l’un des plus grands entraîneurs français voire même européen de l’histoire ?

Je ne pense pas qu’il peut le devenir. Avec son palmarès, il l’est déjà. Je ne suis pas un spécialiste de l’histoire des coachs, mais ce qu’il a déjà accompli, il n’y a que très peu d’entraîneurs qui l’ont fait. Donc il a, d’ores et déjà, écrit l’histoire.

 

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