Hébergement d’urgence, atelier d’artistes, cantine… Un collectif porte un projet social et culturel d’occupation temporaire à la Caserne du Muy, dans le quartier de la Belle de Mai (3e).
La Caserne du Muy va-t-elle trouver un second souffle ? Il y a 15 ans, le ministère des Armées, toujours propriétaire des lieux, a quitté cet édifice militaire du second Empire, situé derrière la gare Saint-Charles (1er), vidant ainsi l’aile droite du bâtiment.
Seul le ministère de la Justice occupe encore l’aile gauche, notamment pour officier les procès hors norme, avant de rejoindre la future cité judiciaire d’Arenc (2e) en 2030.
L’association spécialiste de l’occupation temporaire Yes we camp y a donc imaginé un projet sur 10 000 m2 avec la Fondation Abbé Pierre, JUST, Artagon Marseille, Parallèle, le Cri du Peuple et l’école de cinéma la CinéFabrique. « Nous pensons qu’il est urgent dʼagir pour recréer du lien social et de nouvelles perspectives collectives », affirment-ils d’une seule voix dans leur manifeste.
L’expérience du tiers-lieu Coco Velten à Belsunce (1er) menée entre 2017 et 2023 « a démontré le bien-fondé de l’occupation temporaire à Marseille », explique Yes we camp. D’autres projets de ce type, comme la résidence d’artistes Buropolis (9e) ou le refuge de femmes l’Auberge marseillaise (8e),ont d’ailleurs vu le jour ces dernières années.
Créer un espace « d’entraide et de solidarité »
Le collectif souhaite créer un espace « d’entraide et de solidarité » avec une résidence de 40 hébergements d’urgence et « une bulle verte refuge pour les enfants » dont les espaces extérieurs seraient ouverts au moins 70 heures par semaine.
Les 5000 m2 de la caserne seraient utilisés pour accueillir une centaine d’associations et d’entreprises. Certaines se sont déjà positionnées, comme l’ONG de développement le Geres et la Cité des transitions.
L’école de cinéma La CinéFabrique veut s’installer dans un des bâtiments annexes [en violet sur l’ébauche] avant de prendre définitivement ses quartiers à la cité méditerranéenne du cinéma, prévue au Dock des Suds entre 2026 et 2027.
D’autres bâtiments seraient également transformés [jaune sur le plan] en une salle de quartier, un atelier d’artistes, une conciergerie et une cantine culturelle.
Améliorer l’accès à la culture
L’accès à la culture est une pierre angulaire de ce projet. Pour attirer les habitants, Francis Vernède, le directeur régional de la Fondation Abbé Pierre, qui a longtemps vécu dans le quartier, pointe l’importance de sortir de l’entre-soi. « La gratuité des musées ne fait pas l’accessibilité », observe le sociologue de métier.
Il faudra donc aller chercher les publics en créant des événements adaptés et diversifiés, tout en travaillant « en complémentarité avec la Friche Belle de mai », ajoute l’expert. Artagon Marseille et Parallèle se chargeront de superviser la programmation culturelle de manière collégiale, avec les partenaires et les habitants.
La co-construction avec la population de l’un des quartiers les plus pauvres d’Europe est un point central du dispositif. Une habitante et artiste, membre de plusieurs associations locales, Valérie Trebor, nous assure que le projet respecte bien sa vocation sociale également.
Convaincre les institutions
Après un an et demi de réflexions, les porteurs du projet ont rencontré les collectivités concernées. En priorité, il fallait convaincre le ministère des Armées qui « s’est montré favorable au projet », assure Raphaël Haziot, le coordinateur artistique de Yes we camp.
La Ville de Marseille serait également séduite, comme le cabinet de Sabrina Agresti-Roubache, la secrétaire d’État à la Citoyenneté et la Ville en charge du plan Marseille en Grand.
De même, la Métropole Aix-Marseille-Provence se montre intéressée. D’autant que la collectivité porte, depuis 2021, un projet de développement urbain « Quartiers Libres Saint-Charles Belle de Mai » sur un périmètre de 140 hectares. Ce vaste projet de transformation du quartier doit aussi s’articuler avec le futur chantier de la Ligne Nouvelle Provence Côte d’Azur (LNPCA) et la reconfiguration du plateau ferroviaire de Saint-Charles.
« Le secteur de la gare est au cœur d’une réflexion d’opération d’aménagement dans laquelle le périmètre des casernes militaires est intégré, dont la caserne du Muy, nous précise l’intercommunalité. C’est un foncier incontournable ». À ce titre, elle s’est d’ailleurs positionnée plusieurs fois auprès de l’État pour racheter le bâtiment, sans engagement à date.
Par ailleurs, pour la Métropole, la LNPCA devrait constituer « un accélérateur dans la dynamique de projet du secteur ». Les premiers travaux de ce projet ferroviaire régional devraient être entrepris entre 2025 (phase 1) et 2028 (phase 2).
Trouver les financements
Ces soutiens doivent désormais se matérialiser dans les financements puisque rien n’est encore acté. Yes we camp, expert du modèle économique de l’occupation temporaire, estime de son côté à 3,3 millions d’euros l’investissement de départ qui devrait être abondé à 70% par des fonds publics.
L’association a déjà mené des études de faisabilité sur la Caserne du Muy, comme une analyse précise de la peinture. « On est vraiment soulagés car la peinture n’est pas polluée au plomb… Sinon le budget aurait explosé », admet Raphaël.
Le manifeste précise également que la structure représenterait, pendant 5 ans d’occupation (2024-2028), un budget de 10 millions d’euros de fonctionnement : 40% provenant de financements extérieurs (public, mécénat) et 60% autofinancé grâce aux événements culturels.
Reste donc à savoir comment l’ensemble des acteurs s’accorderont. Une réunion est prévue le 11 avril prochain sur le site actuel de la Cinéfabrique au Pôle média de la Belle de Mai pour « clarifier l’état d’avancée du projet ».