Guillaume Gomez, représentant personnel du Président de la République pour la gastronomie française, était à Marseille durant deux jours. Une visite pour s’inspirer des innovations sociales qui se développent autour des enjeux de l’alimentation durable et solidaire.

Frioul, Banque Alimentaire, ferme urbaine, escale aux Beaux Mets, tiers-lieu de la mer, rencontres avec les acteurs locaux… durant ces deux jours passés dans la cité phocéenne, Guillaume Gomez n’a pas chômé. Lui, ce n’est pas un simple « chef cuistot ». Pendant près de 25 ans, il a régalé les papilles des plus hautes instances de l’État en tant que chef des cuisines de l’Élysée.

Guillaume Gomez a été responsable de la préparation des repas (300 000 couverts par an) à l’occasion de réceptions officielles, dîners d’État ou sommets internationaux et servis quatre chefs d’État : Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande et enfin Emmanuel Macron. Des présidents dont il connaît les moindres habitudes alimentaires. « Mais je ne vous dirai rien », plaisante-t-il, à la table privée du restaurant solidaire Le République.

Parce que ce n’est pas de ce sujet dont l’ambassadeur de la gastronomie française est venu parler. Nommé par le président de la République dont il est le représentant personnel, il se pose comme un véritable porte-étendard de la culture et du patrimoine culinaires français à travers le monde.

Activement engagé pour la promotion des produits locaux, la diversité culinaire et le savoir-faire artisanal, il est également le parrain de l’École de l’Alimentation et de l’Hôtellerie par l’Inclusion (EMAHI), officiellement lancée cette semaine, et dont la vocation est d’accueillir en priorité un public éloigné de l’emploi et de favoriser l’insertion professionnelle avec de nouvelles méthodes d’apprentissage. Rencontre.

Quel est le rôle d’un ambassadeur de la gastronomie française ?

Je ne rends des comptes qu’au président de la République et je suis son lien direct auprès des acteurs de la gastronomie, de l’alimentation. J’assure aussi le lien entre le secteur privé et le secteur public, notamment lorsque des sujets sont transverses et concernent différents ministères.

Les sujets sont très larges et très variés. Ils concernent le commerce extérieur, la francophonie, l’attractivité aussi parce qu’on est la première destination touristique au monde. Notre modèle alimentaire est un exemple très concret de ce que les touristes viennent chercher en France.

Je pilote aussi le sujet des cantines scolaires. Pour rappel, le Président a lancé il y a deux ans une coalition mondiale de la restauration collective avec 70 pays sur « comment nourrir 500 millions d’enfants à l’horizon 2030 ? ». Il y a aussi l’inclusion, le handicap, l’égalité femmes-hommes, les déchets, l’apprentissage…

Que pensez-vous de la scène gastronomique marseillaise ?

À Marseille, il y a toujours eu une belle gastronomie et de grands chefs. Passedat, Mazzia, Levy, Frérard… Il y a toujours eu aussi une culture gastronomique du bon produit, mais pendant longtemps un côté très disparate entre la grande gastronomie et l’alimentation du quotidien, pour des raisons sociales, de non-accès aussi et je trouve que les Marseillais se sont réappropriés leur alimentation sans renier leurs cultures, souvent par l’économie sociale et solidaire.

Si Lyon est reconnue comme la capitale mondiale de la gastronomie, pour moi, Marseille est en passe de devenir, si ce n’est déjà, la capitale de la gastronomie solidaire parce qu’il y a bon nombre d’initiatives qui partent d’ici et qui sont duplicables comme le République, les Beaux Mets… [premier restaurant en prison de France aux Beaumettes, ndlr]. C’est une expérience unique.

Tout fonctionne comme dans un véritable restaurant avec un sourcing maîtrisé des produits, bien travaillés, bien cuisinés. Des chefs étoilés viennent faire des master-class… Franchement si on mangeait dans tous les restaurants de France ce que j’ai mangé aux Beaux-Mets, dans la restauration française on serait tranquille.

« Gastronomie solidaire », n’est-ce pas antinomique ?

Dans ces deux mots, il y a solidarité bien sûr et gastronomie, ce qui ne veut pas dire gastronomique. Ce n’est pas que le luxe, contrairement à ce que les gens peuvent penser. Dans le sens étymologique, c’est faire plaisir à son estomac, se restaurer, donc c’est prendre soin de soi par l’alimentation.

L’économie sociale et solidaire, comme l’a dit Thierry Marx, ce n’est pas une économie du misérabilisme. Ça apporte énormément à la société. C’est prendre la personne dans son entièreté et la porter vers quelque chose d’autre qui fera société et qui va servir au reste de la société, parce que toutes les actions menées servent le collectif. L’assiette, où que l’on soit, peut nous unir. C’est le premier moyen primaire pour soutenir la vie des gens.

Cette cuisine humaniste, plus engagée pour soi, pour l’autre et pour l’environnement, Marseille l’a bien compris. Ici, il se passe quelque chose de différent.

La restauration est un métier en pleine mutation. Le Covid a contribué à brouiller les cartes. Qu’est-ce qui ne fonctionne plus ?

On parle souvent du Covid et des 250 000 postes à pourvoir, mais il y avait 330 000 postes à pourvoir avant la crise sanitaire. Le métier est en crise, pas seulement à cause du Covid, mais parce qu’on paye 100 ans de non-gestion des ressources humaines dans ce secteur. Les écoles ont toujours été pleines, mais dans la réalité, s’il y a un chiffre à retenir, c’est 18 mois : un jeune qui rentre dans ce métier le quitte au bout de 18 mois. Pourquoi ? Il faut s’interroger.

Ce n’est pas un métier rémunérateur. Quand vous commencez, vous ne gagnez pas votre vie par rapport au taux horaire et à l’investissement qu’on vous demande. Si vous n’êtes pas un minimum passionné, ça ne fonctionne pas. Les jeunes ont l’impression qu’on leur demande trop de sacrifices. À partir du moment où il y a un raisonnement sacrificiel au travail, ce n’est pas possible, quel que soit le travail.

L’équation de départ n’est pas la bonne. Soit, ce sont des jeunes en échec qu’on oriente malgré eux vers cuisinier ou serveur et qui subissent le métier, quand certains peuvent trouver satisfaction. Soit, c’est un public qui arrive après avoir regardé des émissions de télé et quand il est confronté à la réalité du métier, finalement il arrête. L’autre facteur c’est aussi l’ambiance en cuisine qui ne correspond pas à l’idée que l’on se fait. Par contre, s’il y a quelque chose que l’on doit au Covid, c’est la question du sens.

L’apprentissage reste-t-il une voie d’excellence pour redonner du sens à ces métiers ?

Donner un sens à son travail, c’est quelque chose auquel répond l’économie sociale et solidaire avec l’insertion. Moi, ce que je dis aux jeunes, c’est de se faire remarquer par la qualité de leur travail. On ne leur demandera jamais « tu as quoi comme diplôme ? ». Ça n’existe pas dans nos métiers. On parle d’ascenseur social, moi je préfère escalier social parce qu’il faut faire quand même un peu d’efforts. Mais le jeune qui fait ces efforts peut aller très loin. J’en suis un exemple à ma mesure.

Je suis né dans le XXe, j’ai grandi dans le 93, qu’est-ce qui m’a amené à être l’un des plus proches collaborateurs du président de la République, alors que je n’ai fait ni l’ENA, ni Science Po ? Je suis passé par l’apprentissage. Et j’ai bon nombre d’exemples de chefs d’entreprises aujourd’hui à la tête d’empires en France ou à l’international, qui ont simplement un CAP cuisine. Mais ils ont travaillé. C’est le point commun de tout ça.

C’est aussi un message d’espoir pour toute une jeunesse ou une population dans le désespoir. Ce matin, [mercredi 7 février], j’ai rencontré un jeune qui arrivait du Sénégal, qui a été emprisonné en Libye, qui est passé par l’Italie et qui aujourd’hui est embauché dans une cuisine. On peut faire de grandes choses grâce à l’apprentissage.

L’École de l’Alimentation et de l’Hôtellerie par l’Inclusion, qui vient d’être lancée et dont vous êtes le parrain, mise sur de nouvelles méthodes d’apprentissage justement plus en lien avec la réalité du métier. Qu’en pensez-vous ?

Quand Sébastien Richard m’a sollicité pour parrainer cette initiative – déjà ça part du République, donc je ne pouvais pas dire non. Et s’engager dans une économie différente, c’est quelque chose qui dans mon histoire personnelle me touche. Il y a aussi de l’audace de la part de Sébastien de demander à un Parisien de venir motiver quelque chose à Marseille (rires). 

Ensuite, ce n’est pas tant la méthode qui m’importe, mais le point de départ : pourquoi le faire et est-ce que c’est utile ? L’innovation pour l’innovation, ça ne sert à rien. Là, il y a un objectif. Je fais confiance aux acteurs qui portent ce projet. Gérald Passedat, qui en fait partie, a formé un grand nombre de personnes. Il a la réussite qu’on lui connaît, on ne peut qu’approuver sa position.

Lui-même dit qu’il aurait aimé une école comme celle-ci pour mieux apprendre son métier. Il faut les laisser faire, avoir confiance en eux et les soutenir autant que faire se peut. J’apporte ici l’aval du président, car c’est sa volonté de porter le pays vers une alimentation plus engagée et pour laquelle la France doit emmener les autres pays du monde.


Retrouvez l’intégralité de notre dossier « La cuisine en partage » paru dans notre magazine en juin 2023

Qu’ils soient entrepreneurs sociaux, chefs étoilés ou issus de la lutte sociale, ils ont décidé de mettre la gastronomie au service de la transmission et de l’insertion, partageant volontiers la recette de leur succès pour essaimer dans d’autres villes de France. Leur ingrédient secret : le goût des autres.

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