Qu’ils soient entrepreneurs sociaux, chefs étoilés ou issus de la lutte sociale, ils ont décidé de mettre la gastronomie au service de la transmission et de l’insertion, partageant volontiers la recette de leur succès pour essaimer dans d’autres villes de France. Leur ingrédient secret : le goût des autres.

Est-il utopique de penser que la cuisine a le pouvoir de changer la donne, de pimenter un parcours sans saveur ou même d’aider à reprendre goût à la vie ? Ces dernières années, Marseille a vu émerger une nouvelle scène gastronomique, bouillonnante et inventive. Avec Marseille-Provence 2013, la ville, devenue capitale européenne de la culture, s’est métamorphosée.

Une dynamique consolidée avec Marseille Provence Gastronomie en 2019. D’une cuisine de l’instant à celle des grandes tables étoilées, une nouvelle génération de chefs engagée et responsable comme des noms de référence dans le paysage méditerranéen ont donné un grand coup de fouet à la création culinaire, sublimant le terroir local, assurant la traçabilité et la saisonnalité des produits.

Il fallait cette émulation pour venir assaisonner avec justesse un autre mouvement de fond beaucoup plus ancien : le tissu associatif, solidement ancré sur le territoire. Ainsi, certaines structures marseillaises se sont transcendées durant la crise du Covid-19, mobilisées au service des professionnels de santé mais aussi des milliers de Marseillais dépourvus de moyens pour manger à leur faim.

De ce puissant élan de solidarité sont nés des projets d’innovation sociale et d’incroyables aventures, comme celle de l’Après M, ce fast-food pas comme les autres situé dans les quartiers Nord de Marseille. Une histoire qui a fait le tour du monde.

De la plateforme solidaire à la naissance de l’Après M

L’Après M trône sur le rond-point qui distribue la circulation entre le quartier du Merlan et celui de Sainte-Marthe, à quelques encablures de la cité de La Busserine, marquée par plusieurs fusillades depuis le début de l’année. De l’ancienne enseigne du géant du burger, il ne reste que quelques tables et banquettes d’origine et des machines soigneusement entretenues. Sur le toit de l’établissement, relooké d’un motif camouflage aux couleurs pastel, ce “M” jaune, symbole d’un combat a priori perdu d’avance contre une multinationale, mais aussi d’un rêve devenu réalité.

À son ouverture en 1992, le McDo participait au dynamisme social et économique, permettant à des jeunes d’entrer dans la vie active, de travailler durant les vacances scolaires, ou encore de décrocher un CDI, dans ce secteur plus touché qu’ailleurs par le chômage et la précarité. Face à la fermeture annoncée quelques années plus tard, une poignée de salariés syndiqués et combatifs s’élève, ne pouvant se résoudre au désastre économique qui en découle.

Malgré quelques belles victoires, c’est la liquidation judiciaire alors que s’installe le Covid. Les mêmes irréductibles s’associent alors à des structures solidaires et réquisitionnent illégalement le site, pour le transformer en plateforme de distribution alimentaire pour les plus fragiles. Au fil des mois, les ex-salariés, qui fédèrent autour d’eux des militants et des citoyens, développent un projet de fast-food solidaire, géré en coopérative, où la vente de burgers financerait l’aide alimentaire tout en servant d’ascenseur social. Un nouveau modèle…

Un restaurant « fastronomique »

Symboliquement, en décembre 2020, les bénévoles repeignent le McDo et le rebaptisent. C’est la naissance de L’Après M, même si dans les faits, l’établissement est toujours propriété de l’enseigne américaine. Alors qu’une menace d’expulsion plane, une levée de fonds est organisée en mai 2020 pour racheter collectivement les 4 500 m2 du site et assurer le début de l‘activité.

Près de 3 000 souscripteurs se manifestent en quinze jours, sans pour autant faire vaciller McDo, qui ne veut plus avoir affaire aux anciens employés. C’est finalement la mairie de Marseille qui va se porter acquéreuse. Le 2 juin 2021, le maire, Benoît Payan, vient en personne annoncer la décision de la Ville, qui signe un bail commercial avec la Société coopérative d’intérêt commun (Scic).

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La Ville de Marseille veut racheter le Mc Do Sainte-Marthe pour concrétiser le projet « Après M »

Depuis décembre 2022, ça se passe comme ça à l’Après M : le Maousse Costaud a remplacé le Big Mac, pour une addition 1 à 2 euros moins chère. On sert aussi le Pescadou, un burger-poisson, ou sa version au poulet, le Galet, avec des frites de Gémenos, du pain d’une boulangerie lancée par des jeunes du quartier, et la viande halal de la boucherie voisine. Tout est frais et fait maison.

Du « fastronomique », aime à dire Kamel Guémari, figure emblématique de la lutte syndicale qui a endossé la casquette de patron bénévole. Et de vanter les mérites de la star des lieux, un sandwich gastronomique inédit baptisé l’Ovni, imaginé par le chef 3 étoiles au Guide Michelin, Gérald Passedat.

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Akima, future manageuse à l’Après M

Enfants du quartier, soutiens de la lutte, élus et même le maire, le Tout-Marseille est venu goûter les premiers sandwichs sortis des cuisines en décembre dernier, et préparés par 32 salariés en insertion. Des personnes en grande difficulté ou des détenus en remise en liberté.

Sept autres en chantier d’insertion ont la charge du village des initiatives d’entraide déployé à l’extérieur, car tous les lundis, ce sont entre 500 et 700 personnes qui se pressent sur le site dès 7 heures pour récupérer quelques provisions.

Si l‘Après M est un succès populaire, son modèle reste cependant fragile. Malgré les subventions d’aide à l’emploi octroyées par l’État dans le cadre de l’insertion par l’activité économique, l’établissement peine à servir les 400 repas quotidiens qui lui permettraient de conforter la suite de cette folle aventure. Et de l’ancrer en tant que « lieu d’hétérotopie », selon les termes de Kamel Guémari, en référence au concept du philosophe Michel Foucault, qu’il saupoudre avec ce « où on réalise nos rêves ».

> À lire demain, notre deuxième épisode de la série « La cuisine en partage » : Le République, la mixité sociale sur un plateau.


Retrouvez ce dossier complet et nos autres articles dans le premier magazine Made in Marseille 

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