Gérante du restaurant La Femme du boucher (6e), la cheffe Laëtitia Visse est la première marraine de la formation Des Étoiles et des femmes à Marseille. Son expérience apporte une dimension nouvelle à ce programme qui permet à des femmes éloignées de l’emploi de se former aux côtés de chefs gastronomiques.
Sur les 2650 chefs étoilés à travers le monde, seuls 5% sont des femmes. Le plafond de verre est une réalité coriace dans le secteur de la restauration, et il affecte d’autant plus les femmes issues des quartiers prioritaires, dont plus de la moitié se situent en dehors du marché du travail (Source Insee, 2022).
Lancée pour la première fois à Marseille en 2015, la formation Des Étoiles et des femmes, porté par l’association Festin, permet à 12 femmes en difficulté de bénéficier gratuitement d’un accompagnement socio-professionnel individuel tout en préparant leur CAP cuisine. Un parcours de neuf mois, rythmé par des semaines de stage dans des établissements bistronomiques ou étoilés, aux côtés de chefs de renom.
Parmi eux, une cheffe : la talentueuse Laëtitia Visse, patronne du restaurant La Femme du boucher, ouvert dans une ancienne boucherie à deux pas de la place Castellane (6e). En novembre dernier, elle anime, auprès des stagiaires, une discussion autour des violences sexistes dans le milieu de la restauration. C’est après cette rencontre marquante que l’association Festin décide de la nommer marraine de la promotion 2023-2024. Une première pour l’antenne marseillaise.
Une cheffe engagée
Le projet Des Étoiles et des femmes résonne chez la jeune cheffe. En 2020, l’année d’ouverture de son restaurant, Laëtitia Visse devient l’une des premières femmes à se livrer sur le mouvement #MeToo dans le monde de la cuisine. Au travers de ses témoignages dans les médias nationaux, elle dénonce un harcèlement moral et sexiste banalisé ainsi que des violences psychologiques et physiques passées sous silence. « Des sujets malheureusement encore trop répandus dans le monde de la restauration », déplore-t-elle.
« Il y a plein de fois où j’ai voulu arrêter ce métier, parce que lorsque j’ai commencé, il y a 15 ans, la question se posait encore moins, poursuit la cheffe, formée à l’école Ferrandi, qui a exercé dans plusieurs restaurants gastronomiques parisiens. J’ai eu la chance de tomber sur des chefs de partie qui, quand j’étais découragée, m’ont redonné envie de me battre. Mais ça a été des coups de chance. Je trouve super qu’une association propose une structure et un encadrement à ces femmes ».
Usant de son expérience, Laëtitia Visse souhaite transmettre sa passion pour la cuisine et redonner confiance à ces femmes qui se battent pour atteindre leurs objectifs professionnels. « On voulait quelqu’un d’engagé, car notre objectif est de remettre des personnes en emploi dans un secteur qui ait du sens, explique Florence Armitano, responsable nationale du réseau. On a envie d’accompagner ce changement qui est en train de se faire dans le monde de la cuisine ».
Un stage gagnante-gagnante
Si elle a été choisie, c’est également parce que depuis le mois d’octobre, Laëtitia Visse prend sous son aile une stagiaire Des Étoiles et des femmes, Frehiwot Zeleke Gurumu, dans la cuisine de son bistrot de la rue de Village. En alternance avec sa formation au lycée hôtelier de Bonneveine (8e), la cuisinière de 37 ans passera en tout 16 semaines derrière les fourneaux de La Femme du boucher. Une collaboration gagnante-gagnante, qui a provoqué un coup de cœur mutuel entre les deux cuisinières.
« Toute l’équipe est adorable, et je suis tombée sur une cheffe très gentille, j’ai de la chance, admet la mère de famille originaire d’Éthiopie. Elle est intelligente et créative, sa manière d’apprendre est super. Chaque jour, elle crée ses plats, et j’ai beaucoup appris en la regardant ».
« Frehiwot est très généreuse, elle a toutes les qualités intrinsèques à notre métier, celles qui ne s’apprennent pas avec la pratique, reconnaît Laëtitia Visse. Elle est consciencieuse, soucieuse de l’état du restaurant, elle pose des questions, s’intéresse, nous montre aussi ses recettes… Donc ça a été très simple, elle s’est intégrée d’elle-même. Au bout d’une semaine, elle tenait le poste des entrées et des desserts toute seule pendant les services ».
Avant d’intégrer le cursus, Frehiwot Zeleke Gurumu a travaillé pendant six ans dans la restauration en Italie. Son rêve ? Ouvrir son propre restaurant éthiopien, « à Marseille si [elle] trouve un local, ou à Avignon, l’année prochaine ». Pour cela, elle pourra compter sur un accompagnement professionnel de l’association Festin après sa formation.
Féminiser le métier
Laëtitia Visse prend son rôle de marraine à cœur. Malgré son emploi du temps de cheffe, elle prend le temps d’écouter les stagiaires et de répondre à leurs questions. « Certaines sont déjà venues me voir parce qu’elles avaient quelques problèmes en stage et besoin d’en parler, confie la jeune femme. Ce qui est compliqué, c’est que lorsque ça se passe mal, on ne sait pas forcément à partir de quand il faut se révolter. Est-ce qu’une blague, c’est grave ? Si elle est répétée, est-ce que c’est du harcèlement ? Ce sont toutes ces questions un peu flottantes sur lesquelles j’ai envie d’aider et de les rassurer ».
Frehiwot, Naïma, Irina… Toutes les « étoiles » de cette neuvième promotion marseillaise ont en commun un parcours de vie difficile, sont parfois isolées, et n’ont, pour certaines, aucune expérience préalable en restauration. « On a un métier qui s’est dépeuplé ces dernières années. C’est important de faire en sorte que ce métier ait un avenir, et surtout, se féminise », estime la cheffe.
« Quand on voit des femmes qui sont aussi motivées, je trouve ça chouette de pouvoir les aider à réaliser leur rêve de façon durable, poursuit-elle. Ça leur a déjà demandé énormément de courage et d’énergie de décider de changer de métier, de changer de vie. Je pense que c’est dans notre intérêt commun qu’elles persévèrent et qu’elles aillent au-delà de leur diplôme ».
Avec Frehiwot, Laëtitia Visse s’est lancé le défi de participer au concours « vice versa » lors du festival Food In Sud au parc Chanot, le dimanche 28 janvier dernier. Avec sa création, le duo de choc est arrivé jusqu’en finale. Une marque de confiance importante, et un bon entraînement avant le défi ultime de l’aventure des « étoiles », qui passeront leurs examens en juin afin d’obtenir leur diplôme de cuisinière.
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