Avec sa ferme Fleurs de Marseille, installée depuis un an sur une parcelle du tiers-lieu Grain de la vallée (11e), Marie-Laure Wavelet sème le renouveau d’une filière horticole locale et de saison. Elle lance une campagne participative afin de développer sa production.
Lorsque nous rendons visite à Marie-Laure Wavelet sur sa ferme florale, fin novembre, le thermomètre affiche 25 degrés. Malgré des températures bien au-delà des moyennes de saison, la floricultrice vient de finir de planter des narcisses, et de nombreuses fleurs sortent encore de terre. En témoignent les zinnias pourpres, les calendulas, amarantes et autres cosmos, ressorties en octobre avec la hausse des températures.
Voilà maintenant deux ans que la Marseillaise, ex-chargée de communication et de marketing, a troqué son bureau contre une parcelle de 2 700 m2 au Grain de la vallée, une ancienne école municipale transformée en tiers-lieu associatif dans le 11e arrondissement. Elle y a implanté son projet Fleurs de Marseille, une ferme horticole engagée dans la culture responsable de fleurs de saison en plein champ, cueillies à la main et commercialisées à des fleuristes locaux engagés et aux particuliers.
Les mains dans la terre
« Avant ma reconversion, je ne savais pas si je voulais devenir productrice de fleurs ou fleuriste, raconte la quadragénaire. Plusieurs expériences de bénévolat dans des fermes florales et maraîchères partout en France et à Marseille, comme à Colinéo, à la ferme du Roy d’Espagne, ou la ferme Capri, m’ont fait prendre conscience que c’est de mettre les mains dans la terre qui m’intéressait ».
Marie-Laure s’inscrit alors dans un parcours de formation mis en place par le campus agricole Hectar en région parisienne, avant d’intégrer un incubateur porté par la Cité de l’agriculture pour faire germer son projet. Elle plante ses premières tulipes en décembre 2022 au Grain de la vallée, après en avoir rencontré la fondatrice, Valentine Traoré.
Créé par des riverains, ce lieu tout-terrain, niché entre les collines et l’autoroute A50 dans la vallée de l’Huveaune, regroupe une épicerie paysanne, une crèche autonome, un jardin pédagogique et une pépinière. Petit à petit, l’arrivée de la ferme florale, installée à l’arrière du bâtiment, permet de recréer de la biodiversité sur un bout de friche préservé de l’urbanisation intensive de ce quartier situé à l’extrémité Est de la ville.
« Ramener de la vie dans le sol »
Les premiers mois n’ont pas été de tout repos, car il a d’abord fallu « ramener de la vie dans le sol » sur ce terrain compacté, qui a servi de passage à des tractopelles pour la construction d’un lotissement mitoyen de la ferme. Pour enrichir la terre et la rendre plus meuble, Marie-Laure a travaillé le sol à la grelinette, en appliquant les principes appris lors de formations à l’agroécologie et à la permaculture.
Par exemple, « en ajoutant du broyat, du fumier, du compost »… et surtout, « en laissant pousser des parcelles de prairie sauvages », parsemées entre les rangs de fleurs, pour attirer pollinisateurs, fourmis et vers de terre.
Au fil des chantiers participatifs, Marie-Laure a pu réaliser des plants sur 500 m2, avec pour objectif d’atteindre le double au printemps prochain. Ses plantations sont réparties équitablement entre les variétés annuelles, qui complètent leur cycle de vie en une seule saison, et les vivaces, qui peuvent fleurir plusieurs fois par an. Elle veille à ne couper que ce qui est nécessaire, « uniquement à la commande. Le reste, je le laisse pour le sol et pour les butineurs ».
Petit à petit, abeilles charpentières, frelons, bourdons et papillons font leur retour. « Il y a encore beaucoup de travail à faire, admet-elle. J’offre le couvert à une nouvelle biodiversité, mais pas encore le gîte. Pour parer à ça, je laisse l’ensauvagement se faire ».
Relancer la filière florale française
Chaque début de semaine, la floricultrice prend les commandes des fleuristes Ziggy dans le quartier de Notre-Dame du Mont (6e), Canopée à Vauban (6e), La Butinerie rue Sainte (7e), ou encore La Main Fleurie à Gardanne. Elle travaille principalement avec des commerces engagés dans la valorisation des fleurs locales et de saison.
« Fleurs de Marseille participe à la relocalisation de la fleur française, à sa diversification, et au développement de celle-ci en circuit court », affirme Marie-Laure Wavelet. Car, « aujourd’hui, il n’est pas facile d’offrir un bouquet composé à 100 % de fleurs locales ».
« Il y a un gros problème d’acheminement et de logistique, appuie-t-elle. Quand les producteurs arrivent à la Sica, le marché aux fleurs de Hyères, les lots sont vendus au cadran. Une partie est achetée par deux grossistes marseillais, et 70 % monte directement à la plateforme d’Aalsmeer en Hollande, ou à Rungis, avant d’être achetée par les fleuristes aux quatre coins du pays ».
85 % des fleurs vendues en France sont importées
Alors que la région Provence-Alpes-Côte d’Azur est la première productrice de fleurs coupées du pays, 85 % des fleurs vendues en France sont importées, via les Pays-Bas, depuis le Kenya, l’Éthiopie, la Colombie, ou l’Équateur. Les fleurs, qui parcourent ainsi des milliers de kilomètres en avion pour arriver dans nos vases, sont souvent cultivées dans des serres chauffées, par des travailleurs aux conditions de travail pénibles, et arrosées de produits phytosanitaires néfastes.
Parallèlement, 40 % des producteurs de fleurs français ont disparu ces quinze dernières années. En cause : la concurrence mondiale, l’industrialisation de la production, et un accès au foncier agricole difficile.
Marie-Laure fait partie d’un mouvement croissant de floriculteurs mobilisés pour reconstruire la filière : sa ferme florale devrait bientôt rejoindre le réseau des 650 adhérents au collectif de la Fleur Française. L’association, qui s’inspire du mouvement « slow flower » né aux États-Unis au milieu des années 2000, met en lien les horticulteurs, grossistes et fleuristes qui utilisent a minima 50 % de fleurs françaises.
Se démarquer avec la diversité
« Le fait d’avoir de petites exploitations permet d’instaurer une vraie relation de soutien entre fleuristes et producteurs, constate Marie-Laure. Dans les prix, on est forcément plus chers que les grossistes, puisqu’on ne peut pas s’aligner sur ceux des gros producteurs. C’est beaucoup de boulot de ne pas traiter, on a de la perte, et il y a les ravageurs. Mais en contrepartie, on a de la qualité, des couleurs éclatantes, pas de produits chimiques… ».
Les plus gros producteurs, qui se trouvent pour la plupart dans le Var, « font pousser cinq variétés de fleurs dans l’année en gros volumes ». Face aux hectares entiers de pivoines, de tournesols ou de roses, l’offre de Fleurs de Marseille se démarque en se spécialisant dans « la « fleurette » et les fleurs atypiques, en plus petits volumes ».
C’est pourquoi Marie-Laure optimise en misant sur la diversité de ses variétés, tout en prenant en compte leurs besoins en eau et leur capacité à s’adapter au climat méditerranéen. Des petites variétés comme les nigelles, centaurées, achillées, scabieuses… qu’elle complète avec de plus grosses fleurs, comme les rudbeckia ou les dahlias.
Elle cultive une affinité particulière pour la sauge, dont elle en fait pousser une quinzaine d’espèces : sauge sclarée, arbustive, ananas, de Bolivie… Elle souhaite aussi remettre au goût du jour la culture de l’œillet, « qui ne se fait plus chez nous, et qui fonctionne très bien en protégeant le sol avec du paillage ».
Une ferme florale ouverte au public
Si elle ne regrette à aucun moment d’avoir changé de vie, la néo-floricultrice ne nie pas la réalité d’un métier au rythme dicté par des saisons de récolte de plus en plus longues. « D’avril à juillet, tu travailles sept jours sur sept, de 7h à 22h30, pour couper le soir ou tôt le matin et éviter les grosses chaleurs », admet-elle.
Plus tard, Marie-Laure Wavelet envisage de développer sur la ferme des initiatives axées autour de la thérapie par la nature, en l’ouvrant à « la formation et à la transmission. J’aimerais que le lieu soit ouvert et qu’il serve à d’autres gens ». Elle y reçoit déjà, une matinée par semaine, des groupes de personnes en situation de handicap vivant au foyer des Chênes. « Socialement et humainement, c’est un grand moment ».
À la belle saison, de mai à octobre, la ferme est ouverte au public chaque samedi pour des visites, des initiations à la cueillette et des ateliers de composition de bouquets. Les Fleurs de Marseille devraient bientôt être vendues dans les paniers de l’Amap (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne) du Bois Luzy.
Cagnotte participative
Pour valoriser ses fleurs autrement, Fleurs de Marseille propose aussi des compositions florales pour les mariages, anniversaires, deuils, séminaires et autres événements. Alors que la saison des fleurs fraîches tire à sa fin, Marie-Laure prépare des couronnes et des broches de fleurs séchées, qu’elle vend directement à la ferme et sur le marché des producteurs de La Plaine.
Après une première année au bilan positif, Marie-Laure Wavelet vient de lancer sa première cagnotte de financement participative sur la plateforme Miimosa, en vue de soutenir le développement de la ferme. Grâce, notamment, à l’acquisition d’une serre, qu’elle partage pour le moment avec la pépinière de plantes comestibles Mastoc pour préparer ses plants et boutures. La cagnotte est ouverture jusqu’en février prochain.