Utiliser les déchets ménagers pour créer un carburant vert servant à alimenter les porte-conteneurs et émettre moins de CO2. C’est le pari de CMA CGM. Le leader mondial du transport maritime et de la logistique a initié deux études de faisabilité pour la réalisation d’une unité de biométhane sur le site de Fos, au sein du Grand port maritime de Marseille et établir une filière en circuit court permettant un approvisionnement local.
Depuis plusieurs années, le groupe CMA CGM est engagé dans une véritable révolution verte. Au printemps dernier, l’armateur français, leader mondial du transport maritime et de la logistique, annonçait le lancement d’une étude sur la possibilité de produire, au sein du Grand port maritime de Marseille, un carburant alternatif à partir de déchets ménagers de la métropole Aix-Marseille Provence (environ 650 000 tonnes de déchets par an).
Le premier projet français de production de biométhane liquéfié (bioGNL) auquel est associé EveRé, exploitant du centre de traitement des déchets ménagers de la métropole, le terminal méthanier d’Elengy, filiale d’Engie à Fos-su-Mer et TotalEnergies.
Avec une réduction de 99% des émissions d’oxyde de soufre, de 91% des émissions de particules fines et de 92% des émissions d’oxyde d’azote, CMA CGM a perçu très tôt les potentialités du gaz naturel liquéfié (GNL), et s’est imposée comme précurseur. À Shanghai, en septembre 2021, le groupe mettait à l’eau le plus grand porte-conteneurs de l’histoire du transport maritime, entièrement propulsé au GNL : le « Jacques Saadé », en hommage au fondateur du groupe marseillais, avec une capacité de 23 000 EVP (équivalent 20 pieds). Une première mondiale.
Le GNL, une étape pour atteindre la neutralité carbone en 2050
Le groupe CMA CGM compte déjà 20 porte-conteneurs équipés de moteurs GNL compatibles avec le bioGNL et le méthane de synthèse. D’ici à 2024, la flotte devrait passer à 44 navires « e-methane ready ».
Sans oublier l’arrivée très attendue, début 2022, du navire souteur au GNL de TotalEnergie au port de Marseille Fos, pour approvisionner les futurs porte-conteneurs de 15 000 EVP. Une fourniture annuelle d’environ 270 000 tonnes par an sur 10 ans. « Ce choix pionnier du GNL a contribué à réduire les émissions globales de CO2 du groupe CMA CGM de 4 % en 2020, après les avoir réduites de 6 % en 2019. Depuis 2008, le groupe a réduit ses émissions de CO2 de 49 % par conteneur par kilomètre », affirme Farid Trad, directeur Central, bunkering et transition énergétique (CMA CGM).
Le choix du GNL pour propulser ses navires constitue une étape dans la stratégie du groupe pour atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. « Il n’y aura pas qu’une seule solution pour y parvenir, mais plusieurs qui co-existeront, poursuit Farid Trad. Le groupe réalise d’importants investissements dans la recherche et développement, aux côtés de ses partenaires industriels, afin d’identifier les sources d’énergie de demain ». C’est dans cet objectif que CMA CGM, avec à la barre Rodolphe Saadé, s’engage dans le développement de la filière de production et de distribution du bioGNL.
Des déchets ménagers pour décarboner le secteur maritime
Produite à partir de la dégradation de déchets agricoles, agroalimentaires ou encore industriels, le bioGNL offre au GNL de nouvelles perspectives. Combiné avec la technologie « dual fuel » de moteur au gaz développé par CMA CGM, le GNL renouvelable permet de réduire d’au moins 67 % les émissions de gaz à effet de serre (y compris de CO2) en prenant en compte l’intégralité du cycle de vie du carburant. À l’échelle du navire seul, la réduction des émissions de GES atteint 88 %. « Nous souhaitons aller encore plus loin, car si l’on veut décarboner le secteur maritime, il faut s’appuyer sur des infrastructures existantes sur terre et en mer et sur notre ancrage local même si nous sommes une entreprise internationale ».
C’était tout l’enjeu du défi lancé par CMA CGM dans le cadre du Smart Port Challenge avec comme postulat de départ « comment verdir le GNL et établir une filière biométhane en circuit court permettant un approvisionnement local ? » Une démarche alliant économie circulaire, réduction des gaz à effet de serre et stabilité du prix.
Au #SmartPortDay, industriels et startups ont dévoilé les premiers résultats de leur coopération pour concevoir le port du futur⚓️
Avec la startup Synchronicity, nous avons choisi d’étudier un modèle vertueux de la filière #Biométhane sur le bassin de Marseille-Fos.#BetterWays https://t.co/egyfeCxfJK
— CMA CGM France (@CmaCgm_France) November 30, 2021
L’économie circulaire au service d’une offre de haute qualité environnementale
L’armateur a sélectionné Synchronicity pour mener une étude de faisabilité. La start-up marseillaise, basée au QG des écoacteurs, accompagne les territoires dans la mise en œuvre de modèles vertueux à travers l’optimisation de la gestion des déchets et le développement de circuits courts autour de la mobilité douce.
L’analyse visait à déterminer quelle quantité de méthane il est possible de produire à partir de déchets d’origine organique et végétale, dans un rayon de 100 kilomètres. « Dans la méthanisation, meilleur est ce qui rentre, meilleur est ce qui sort. Pour fabriquer du bioGNL il faut identifier quels sont les intrants et le faire de la manière la plus efficiente possible, explique Maxime Ducoulombier, co-fondateur de Synchronicity. On reste sur les bio-déchets principalement collectées par les municipalités. Tout ce qui est déchets de production industrielle alimentaire ; et les « cives », ces cultures intermédiaires mises en place entre deux cultures pour réamender les champs qui ont une puissance énergétique assez intéressante en termes de méthanisation ».
L’énergie requise pour garantir un tel approvisionnement de « gaz vert » pour les 30 prochaines années est estimée à 3,3 térawatts/an soit l’équivalent de la puissance énergétique que requiert la ville de Marseille en un an. « Le besoin de la CMA CGM va représenter à lui seul 8 % de l’objectif France de production de biogaz injecté en 2030, et 50 % de l’objectif 2050 de la région Sud, poursuit Maxime Ducoulombier. Une seule unité de méthanisation ne suffira pas, il en faudra plusieurs. C’est un projet colossal qui met en action tout un tissu industriel, d’où l’implication de Véolia et d’autres acteurs du déchet », poursuit l’entrepreneur ; d’autant que leur challenge avait aussi pour but de démontrer un possible passage à l’échelle nécessaire pour le maritime en étudiant la réalisation de plusieurs unités.
Synchronicity s’est attachée à « montrer la bonne voie pour créer un gaz extrêmement vert dans son approche », sans entrer dans la course au gigantisme. « Nous avons préconisé de faire plus petit. Ce ne sera peut-être pas aussi rentable mais on restera dans cette démarche de proximité, en coopération avec les agriculteurs, parce que c’est eux qui vont fournir une partie des intrants. C’est chez eux aussi que l’on va aller amender les sols », explique Maxime Ducoulombier.
« Ce projet peut être viable économiquement »
Au regard des résultats obtenus, à partir des gisements du territoire, « il est possible de produire du biométhane dans une quantité clairement non négligeable pour les activités de CMA CGM, mais cela ne répond pas à tous les besoins. Il y a, par ailleurs, un impact carbone très intéressant limitant les émissions de CO2 à 67 % par comparaison avec un bateau au fuel traditionnel, selon nos estimations, reprend Farid Trad. Cela confirme que ce projet peut être viable économiquement et confirme que le biométhane est l’une des solutions vers la neutralité carbone que nous visons. Le défi est d’intégrer une énergie décarbonée dont le coût sera raisonnable et la logistique efficiente ».
Pour Farid Trad, l’étude menée par le consortium d’acteurs industriels et celle de Synchronicity se complètent en termes de périmètre de collecte ou de type de matières premières utilisées (intrants) pour fabriquer le biométhane. Désormais, CMA CGM dispose « d’une base solide » pour travailler avec l’ensemble des parties prenantes à la réalisation de ce projet et à sa duplication, intégré dans un écosystème local déjà opérationnel ; qui devrait s’appuyer sur l’unité de méthanisation d’EveRé, sur le terminal méthanier d’Elengy, qui assurera le stockage et la livraison de ce carburant, et sur le navire souteur de TotalEnergies.
Ce label de gaz vert « made in Provence » apportera une réponse aux besoins des clients désireux de trouver des solutions décarbonées pour leur transport maritime, et fournir de l’énergie à d’autres opérateurs (croisiéristes, ferry…) propulsant ainsi le site de Marseille-Fos au rang de leader européen d’avitaillement en bioGNL.
La coalition internationale menée par CMA CGM pour accélérer les transitions
D’autres projets industriels de production de méthanes de synthèse (e-méthane), portés par Engie et pour lesquels CMA CGM pourra investir notamment sous la forme d’engagements d’achat pluriannuels, sont en préparation à partir de différentes technologies (pyrogazéification ou méthanisation à partir d’hydrogène vert et de CO2 capté).
Depuis 2019, CMA CGM mène une coalition internationale pour accélérer la transition énergétique du transport et de la logistique. Le Groupe Carrefour, Cluster maritime français, Crédit Agricole, Airbus, Michelin, Schneider Electric, PSS International… Ces grands groupes internationaux mettent en commun leurs expertises et travaillent notamment sur des sujets tels que l’hydrogène vert, les biocarburants, l’électricité verte ou encore le GNL.