Silencieux, rapide et moins polluant, le transport de marchandises à vélo rencontre un succès croissant. Les vélos-cargos, avec ou sans assistance électrique, arpentent le bitume, comme réponse durable au casse-tête de la livraison du « dernier kilomètre ».

Cyclo-pompier, food-bike, déménageur à vélo… On ne les arrête plus, ceux qui ont décidé de lâcher le volant pour le guidon. En France, l’utilisation du vélo-cargo pour la livraison séduit de plus en plus les professionnels. 2020 a été une année record pour ce mode de transport doux et écologique, avec 11 000 unités vendues, deux fois plus que l’année précédente. En 2015, ce marché était quasi-inexistant. Les raisons de cette nouvelle tendance qui se déploie dans les grandes métropoles sont diverses.

Explosion du e-commerce, piétonnisation des centres-villes, préservation de l’environnement, changement des habitudes des consommateurs plus axées sur le circuit court… Les chiffres sont évocateurs : le commerce en ligne croît de 33 % par an. L’ensemble des flux logistiques des entreprises vers les consommateurs représente désormais 20 % des livraisons de marchandises en ville, avec une croissance annuelle de 8 à 10%. En France, le trafic des véhicules utilitaires légers (VUL) a augmenté de 57 % depuis 1990, avec des émissions de gaz à effet de serre en hausse de 38 %. Ainsi, la réinvention des modes de livraison de marchandises au sein des villes est devenue un sujet majeur.

Sociétés de logistique, start-up comme transporteurs… Tous partagent le défi commun d’imaginer de nouvelles alternatives de déplacement pour pouvoir, demain, continuer à accéder aux cœurs de ville, dont l’entrée va être largement réglementée avec la mise en place des zones à faibles émissions (ZFE), limitant l’accès aux véhicules polluants pour améliorer la qualité de l’air.

Mi-juillet, les députés ont entériné ces dispositifs dans toutes les agglomérations métropolitaines françaises de plus de 150 000 habitants pour 2025, entre autres mesures du projet de loi Climat et Résilience. Autrement dit, à cette échéance, seuls les véhicules répondant aux normes Euro 5 et 6 portant une vignette Crit’Air 1, 2 ou verte pourront être autorisés à rouler dans les ZFE. Les voitures qui seront interdites représentent environ un tiers du parc automobile français actuel. Dans ce contexte, le vélo de fret s’impose comme la solution idéale pour répondre au casse-tête du dernier kilomètre. Cette ultime étape de livraison, de l’entrepôt jusqu’au client final, est généralement la plus coûteuse de la chaîne de distribution, et génère 20 % du trafic urbain.

« On fait de la boîte à chaussure au frigo. Nous pouvons transporter jusqu’à 300 kilos par vélo, ce qui nous permet de faire des déménagements jusqu’à même effectuer des livraisons sur des chantiers… »

Thomas Croizé

Bi-porteurs, triporteurs, vélos à remorque… De quoi parle-t-on exactement ? Le terme de vélo-cargo regroupe plusieurs catégories de vélos qui permettent de transporter de la charge, que ce soit du matériel, des objets, ou même des enfants. Le triporteur, reconnaissable grâce à ses trois roues et sa caisse à l’avant, remontent d’ailleurs au début du XXe siècle. Il était essentiellement utilisé par les boulangers, bouchers et postiers pour la livraison des marchandises, évincé ensuite par l’arrivée de l’industrialisation et des moteurs à combustion. Pour faire face aux enjeux de pollution dans les villes, sa production est relancée dans les années 1990.

Aujourd’hui, livrer à vélo est dans l’air du temps, car cela présente de nombreux avantages. D’abord, plus facile pour un engin à deux roues de se faufiler dans une circulation congestionnée. Autres atouts : « On stationne tranquillement, on ne gêne pas, ni les terrasses, ni la circulation. On va être également plus concurrentiel, notamment dans le centre-ville, là où nos collègues en camion doivent passer avant certains créneaux horaires. Nous, nous pouvons livrer toute la journée », assure Thomas Croizé, co-gérant de Toutenvélo Marseille.

Ce réseau de sociétés coopératives indépendantes, implanté dans 8 villes françaises, effectue ses courses avec ses vélos-remorques à assistance électrique adaptés à différents types de livraisons. « On fait de la boîte à chaussure au frigo. Nous pouvons transporter jusqu’à 300 kilos par vélo, ce qui nous permet de faire des déménagements jusqu’à même effectuer des livraisons sur des chantiers. Nous sommes de petits camions ». Pas de carburant, pas de PV et souvent bien plus rapide, ce transport vert allie silence et faible émission carbone. Un vélo-triporteur possédant une caisse de 1 500 L émet 85 % de CO2 en moins par rapport à un véhicule thermique ayant une capacité similaire.

, Le vélo-cargo, dernier maillon de la chaîne de la mobilité urbaine, Made in Marseille
Tout en vélo.

Le coup d’accélérateur

Faire évoluer les centres villes vers des mobilités décarbonées, tel est l’objectif de la Soft Mobility Company. La jeune start-up, issue d’Aix-Marseille Université, conçoit des solutions clés en main adaptées à la ville de demain, mêlant prestations sur-mesure et solutions logicielles.

Avec son partenaire Dynamo Location, elle accompagne les acteurs de la livraison urbaine en leur offrant des solutions de location de cargos, remorques et caissons en longue durée, avec service de maintenance et assurance inclus. « Cette nouvelle offre correspond aux nouveaux besoins des professionnels de plus en plus soucieux de préserver l’environnement, et de réduire l’empreinte carbone de leurs activités », confirme la co-fondatrice Sabrina Grassi. Soft Mobility Compagny permet aussi aux entreprises de doter ses collaborateurs de vélos de fonction. Ainsi, la Société Marseillaise de Crédit a récemment souhaité créer une flotte dédiée aux déplacements urbains de ses salariés.

C’est d’ailleurs sur l’un de ces vélos que la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, a sillonné les rues du centre-ville de la cité phocéenne, en mai 2021, avant de  présenter un plan à 12 millions d’euros pour mettre un coup d’accélérateur à la cyclo-mobilité ; inscrite dans la loi Climat et Résilience. Le plan prévoit notamment une aide à l’achat pour des vélos-cargos professionnels, et des subventions dans les grandes agglomérations pour les livraisons à vélo, via ColisActiv’.

« C’est utopique de penser que l’on va régler la question du dernier kilomètre sans avoir de hubs dans le cœur des zones qui doivent être livrées ou collectées »

Maxime Ducoulombier

Ce dispositif, financé par les Certificats d’économie d’énergie, vise à encourager les entreprises à passer à la livraison active (vélo, vélo cargo, à assistance électrique ou à pied) sur le dernier kilomètre. Pour chaque colis livré, une prime de 2 euros est reversée à l’opérateur de livraison qui pourra ensuite réduire le montant des tarifs proposés à ses clients, et devenir plus compétitif face aux transporteurs en véhicules thermiques. Déployé dans 5 villes pilotes, le dispositif doit s’étendre à d’autres métropoles. À Aix-Marseille Provence, il sera porté par SoFub, union entre l’entreprise marseillaise Sonergia, spécialiste de l’efficacité énergétique et la Fédération française des usagers de la bicyclette.

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À Marseille, Barbara Pompili dévoile le plan national pour renforcer les livraisons à vélo

La ruche et les abeilles

L’écosystème marseillais est tel « que nous pourrons rapidement passer la seconde », espère Amauric Guinard, co-fondateur de SoFub. Objectif : passer de 1 à 2 % de part modale actuellement pour atteindre 15 % à l’horizon 2025. « Il y a une vague de fond et une vraie appétence. Personne ne remet en question la cyclo-logistique aujourd’hui », note-t-il, même si le partage de données freine encore certaines entreprises :

« Nous collectons, en effet, d’une part les données relatives aux trajets des livreurs qui nous permettent de voir comment s’effectuent les déplacements, et d’autre part celles des points de livraisons des colis, ce qui permet de calculer la prime ». De précieuses informations relatives à la densité de livraisons, susceptibles d’aider les territoires dans leur futur programmation d’investissements en infrastructures cyclables, ou de mise à disposition de hubs dans des lieux stratégiques. Car si la cyclologistique nécessite aussi des pistes cyclables suffisamment larges, des places de livraison adaptées en nombre suffisant, l’un des enjeux principaux pour créer les conditions nécessaires à son exercice, est de disposer de lieux en cœur de ville pour organiser des stocks tampons entre les halles logistiques de périphérie et le destinataire final.

« C’est utopique de penser que l’on va régler la question du dernier kilomètre sans avoir de hubs dans le cœur des zones qui doivent être livrées ou collectées. Un bon hub logistique, c’est un entrepôt, de 200 à 400 m2, idéalement situé sur les axes de circulation pour permettre à des camions de venir dans le cœur de ville déposer ou retirer des colis, en plateau. Il faut être dans le cœur de l’action », insiste Maxime Ducoulombier, co-fondateur de Synchronicity, société coopérative d’intérêt collectif (Scic), dont l’ambition est de créer le premier hub logistique hyper-urbain en mobilité décarbonée à Marseille.

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Dans leur jargon, on appelle ça « la ruche et il faut imaginer les vélos comme des abeilles. N’ayons pas peur du bail précaire, car nous avons beaucoup de rez-de-chaussées commerciaux vacants. L’idée est de les repérer et de les exploiter un temps donné ».

Comme dans d’autres pays européens ou au Canada, les livreurs à vélo pourraient ainsi rayonner facilement dans la ville grâce à ces petits espaces de stockage en complémentarité d’entrepôts géants pour organiser un maillage territorial. Le Marché d’intérêt national des Arnavaux souhaite d’ailleurs devenir une plateforme logistique de marchandises d’ici à 2025. Pour cela, il compte créer une dalle surélevée de 10 hectares pour accueillir 50 000 m2 d’entrepôts. Le site devrait devenir la base principale d’échanges pour acheminer le fret en centre-ville via des véhicules propres.

Autre exemple : le groupe La Poste a créé, en 2017, via sa filiale Urby, dédiée à la logistique urbaine, des centres de mutualisation en périphérie des villes pour les différents acteurs de la chaîne logistique : transporteurs, messagers, expressistes et chargeurs. À Marseille, elle dispose d’un entrepôt de 2 700 m² près de son centre de tri, dans le quartier d’Arenc. Plutôt que de laisser les transporteurs s’occuper de chaque livraison indépendamment, Urby centralise ce flux logistique, avant d’assurer la redistribution en ville grâce à sa flotte de véhicules écologiques, ou des coursiers à vélo pour les plus petits colis. Les vélos-cargos apparaissent comme les derniers maillons de la chaîne logistique, porteurs d’une solution durable pour répondre aux enjeux de la ville de demain.


Du 3 au 11 septembre, Marseille accueille le Congrès mondial de la nature de l’UICN. Made in Marseille, partenaire officiel de l’événement vous propose de découvrir son tout premier magazine hors-série spécial « transition écologique ».

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