Les gabians ont élu domicile à Marseille, mais cohabitent mal avec l’homme. Les pouvoirs publics et les associations cherchent comment pousser l’animal protégé à retrouver son habitat naturel.

C’est un objet volant bien identifié à Marseille. « Ils font du bruit », « ils sont agressifs », « ils sont dégueulasses, ils font les poubelles et mangent des rats »… Dix minutes à discuter avec les passants sur le Vieux-Port suffisent à dresser un portrait peu reluisant des gabians. Pourtant, le goéland leucophée (de son vrai nom) a fière allure.

Regard perçant, le port altier, le vol planant : il peut atteindre 1,5 mètre d’envergure. Son plumage blanc immaculé fait ressortir son manteau gris et ses pattes jaunes, comme son long bec, orné d’un point rouge.

Jusqu’à ce qu’il l’ouvre pour hurler sur des passants et des promeneurs, ou leur arracher leur sandwich. Quand on ne le voit pas éventrer un sac poubelle ou avaler un rat. Des vidéos de ce genre pullulent sur les réseaux sociaux. Le rédacteur de ces lignes a même croisé un gabian cannibale un beau matin.

gabians, Les gabians, ces néo-Marseillais aussi protégés que mal aimés, Made in Marseille

Certains ont également goûté à son agressivité. Le plus souvent dans son habitat naturel, comme l’archipel du Frioul, où il a donné des frayeurs à beaucoup de promeneurs en période de reproduction (printemps). Car les badauds s’approchent parfois, sans le savoir, de ses petits souvent tapis dans les buissons.

« Le gabian va crier pour protéger sa progéniture, explique Anaël Marchas, spécialiste du goéland à Marseille pour la Ligue de protection des oiseaux (LPO). Et parfois faire semblant d’attaquer avec un piqué. Mais il s’arrête à un mètre. C’est un Marseillais jusqu’au bout, il a plus de bec qu’autre chose ! », ironise l’amateur d’ornithologie.

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Un néo-urbain nourri et logé

La nouveauté, c’est que ce comportement agressif envers les humains se remarque de plus en plus en ville. « Il y a toujours eu une population très importante sur la commune de Marseille, avec des fluctuations. Les effectifs semblent stables depuis quelques années, entre 10 000 à 15 000 individus », estime Anaël Marchas.

Soit la plus grande concentration d’Europe et de Méditerranée. « Ce qui est récent, c’est l’urbanisation du gabian, poursuit le spécialiste. Avant, cette espèce sauvage privilégiait le milieu naturel, du côté des calanques et du Frioul. On note un vrai tournant à partir des années 2000, qui a pris encore plus d’ampleur la dernière décennie ».

Comment l’expliquer ? « La disponibilité alimentaire », résume Anaël Marchas. « Notre gaspillage de nourriture combiné à la mauvaise gestion des déchets… Marseille est un garde-manger à ciel ouvert pour ces oiseaux qui ont une grande capacité d’adaptation pour l’alimentation et l’habitat ».

Ainsi, après que « quelques précurseurs » ont constaté qu’ils pouvaient se nourrir et loger gracieusement, d’autres les ont suivis. Avec un « effet boule de neige » dernièrement.

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Au marché du Prado, les gabians ont droit à de beaux repas gratuits.

Comment chasser un animal protégé ?

« Pour se reproduire et couver, ils adorent les toits plats », que l’on retrouve de plus en plus sur les immeubles modernes. De quoi poser quelques soucis de cohabitation. Comme sur la tour Mirabeau II, dans le quartier d’affaires d’Arenc.

« L’animal, particulièrement agressif, empêche les opérations de maintenance des équipements techniques », déplore le conseil municipal de Marseille. L’institution fait valoir chaque année une dérogation pour perturber les gabians et détruire ou stériliser les œufs sur ce site.

Car, il faut rappeler ce paradoxe : si le gabian est perçu comme un nuisible pour certains, l’espèce est protégée par arrêté ministériel depuis 2009. À Marseille, le préfet permet toutefois « la perturbation intentionnelle et la régulation du goéland ». Notamment « en détruisant les nids » dans la limite d’un quota fixé dans l’arrêté.

Ainsi, tous les ans, la Ville renouvelle son plan pour lutter contre la prolifération des gabians. Il consiste à stériliser des œufs afin que l’oiseau estime que le site n’est pas favorable à la reproduction. La mairie peut également procéder à l’euthanasie de goélands adultes blessés ou malades.

Derrière le problème des gabians, celui de la gestion des déchets

Sans surprise, la Ligue de protection des oiseaux porte un regard différent sur le phénomène. À commencer par la perception qu’ont les Marseillais du gabian. « Les citadins sont choqués d’un comportement sauvage. Mais c’est naturel de voir un oiseau manger un rongeur. Ça se produit tous les jours juste à côté, dans les calanques », rappelle Anaël Marchas.

Concernant la lutte contre sa prolifération, le représentant de la LPO juge que les solutions se trouvent ailleurs. « Il faut travailler sur notre gestion des déchets, le gaspillage alimentaire, arrêter de nourrir – volontairement ou non – les animaux sauvages ».

Enfin, il faut dissuader le gabian de pondre sur les toits-terrasses, en les rendant moins attractifs pour l’oiseau. Pour cela, il conseille tout simplement de « les occuper avec de la présence humaine ». Un argument qui devrait ravir les Marseillais, de plus en plus nombreux à prôner la reconquête des toitures inutilisées en ville.

Le défi : « ramener ces espèces sauvages dans leur habitat naturel »

Pour Anaël Marchas, « la première chose à déplorer, c’est le bouleversement naturel dans leurs habitudes de migration, d’habitation, d’alimentation. Que l’Homme a provoqué ».

Même son de cloche du côté de la mairie. « Notre défi, c’est de ramener ces espèces sauvages dans leur habitat naturel », estime Christine Juste, adjointe à la biodiversité et la place de l’animal dans la ville. « Ça passera par un changement de comportements humains. Il faut de la sensibilisation auprès des citoyens et mieux gérer les déchets alimentaires », explique-t-elle. Sans défausser la puissance publique de sa responsabilité sur le sujet.

En attendant, la Ville poursuit sa politique active contre la prolifération des gabians. « Il y a de vrais problèmes de cohabitation qui le justifient », insiste l’élue. Comme du côté des plages du Prado : « Il y a parfois des interdictions de baignade à cause de bactéries dans l’eau. Des analyses ADN ont montré que c’était souvent la fiente des goélands ». L’ambiance n’est pas encore toute rose dans la colocation entre les Marseillais et les gabians.

Le drone, nouvel ennemi du gabian

Anecdote. Un jour où nous sommes en reportage dans le quartier littoral des Catalans, un vidéaste professionnel voit son drone pris en chasse par une nuée de volatiles. « Dès que tu fais décoller la machine dans le coin, il y a quatre ou cinq gabians qui s’envolent et le prennent en chasse ».

Lui-même a déjà perdu un des ces coûteux appareils dans ces batailles aériennes. « C’était en ville, il s’est crashé et je ne l’ai jamais retrouvé ». Contrairement au gabian, qui semble avoir perdu des plumes dans l’assaut. « En tournant dans le coin, je suis tombé sur un oiseau avec les pattes déchiquetées, le malheureux… Les hélices, très certainement ».

Anaël Marchas déplore ces accidents : « On n’a pas de structure de soins pour les oiseaux marins. Le plus souvent, on doit euthanasier les individus gravement blessés ». Il reconnaît ce phénomène récurrent d’agressivité envers les drones. Encore un effet de la rencontre du monde sauvage et de la modernité : « C’est un élément inconnu qui vole sur leur domaine vital. Un prédateur potentiel, comme les rapaces qu’ils repèrent de loin et chassent pour protéger leur progéniture ».


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