De la formation aux studios, le plan Marseille en Grand et France 2030 se sont penchés sur le berceau du cinéma avec 58 millions d’euros d’investissement. Le président du Centre national du cinéma (CNC), Gaëtan Bruel, nous a accordé une interview avant sa visite du 7 au 9 octobre.

En septembre 2021, Emmanuel Macron annonçait le plan Marseille en Grand pour construire des écoles, développer les transports, renforcer la sécurité… Mais aussi développer la filière du cinéma, des studios à la formation, autour de quatre projets.

Le premier projet concret, opérationnel depuis fin 2023, est la Cinémabase : une plateforme logistique de 3 000 m2 pour fabriquer et stocker les décors de films. En parallèle, la CinéFabrique, école de cinéma gratuite pour les 18-25 ans, a été mise en place par le directeur Claude Mouriéras, dans le pôle média de la Belle de Mai, également rénové par le plan Marseille en Grand.

Cette école devait ensuite intégrer la future cité régionale du cinéma au Dock des Suds avec une antenne marseillaise de la Cinémathèque Française. Mais le projet a été abandonné. Pendant plusieurs mois, le Centre national du cinéma (CNC), coordinateur du volet cinéma, a donc travaillé sur un accord avec les collectivités pour installer la CinéFabrique à la Friche Belle de Mai et la Cinémathèque française sur le futur campus de la Plateforme.

Pour « saluer et féliciter » les partenaires de cette opération, le président du CNC, Gaëtan Bruel, ancien directeur de cabinet de la ministre de la Culture, Rachida Dati, est en déplacement du 7 au 9 octobre à Marseille, en passant par Provence Studios, les studios de Martigues. Entretien.

CNC, Gaëtan Bruel (CNC) : « La filière cinéma fait l’objet d’une union sacrée à Marseille », Made in Marseille
Rima Abdul Malak inaugure la Cinémabase en octobre 2023 avec Martine Vassal, présidente de la Métropole.

Made in Marseille : Vous venez à Marseille pour une visite de trois jours. Pourquoi maintenant ?

Gaëtan Bruel : Lorsque j’ai pris mes fonctions au CNC, je me suis donné un an pour faire un tour de tous les territoires de France où bat le cœur de notre cinéma et de notre création audiovisuelle. Il y en a beaucoup. Mais peu ont l’importance de Marseille. Si la France est un grand pays de cinéma, c’est aussi à Marseille qu’elle le doit. La villr a toujours été une pépinière de talents extraordinaires, de Marcel Pagnol à Robert Guédiguian, et bien d’autres. C’est un territoire aussi d’engagement pour le cinéma comme l’Alhambra pour l’éducation aux images ou les actions de l’association Lieux fictifs qui opère le seul studio de cinéma en milieu carcéral aux Baumettes.

Je viens donc avec deux objectifs. Le premier est de rencontrer les acteurs de la filière, les auteurs, réalisateurs, producteurs, et techniciens dans un contexte de grands défis pour cette filière avec l’Intelligence artificielle, les annonces de Trump, et l’évolution des habitudes du public. Je veux y réfléchir en comprenant le point de vue de Marseille.

Le deuxième objectif est de saluer l’exceptionnelle réussite du volet cinéma de Marseille en grand, annoncé il y a quatre ans par le président de la République. Mais aussi saluer les lauréats de la grande fabrique de l’image de France 2030, comme Provence Studios. Marseille en grand, c’est 24 millions d’euros. La grande fabrique de l’image, c’est 34 millions d’euros en plus. Donc au total, l’État a investi 58 millions d’euros dont 70% sont déjà engagés. L’engagement de l’État pour la filière audiovisuelle à Marseille n’a aucun équivalent en France. 

Marseille est aussi une exception au niveau du CNC, puisqu’un responsable territorial est basé ici. Pour quelle raison ?

G.B : Le CNC est attentif à tous les territoires. Mais Marseille est la deuxième terre de tournage de France. Nous avons constaté qu’il fallait absolument donner à Marseille des moyens à la hauteur de ses formidables atouts. C’était aussi un enjeu d’attractivité, d’image, d’emploi pour la métropole. Donc, après les annonces du plan Marseille en Grand, nous avons voulu dédier une personne du CNC à Marseille afin de faire ce lien étroit avec la préfecture, les services du Premier ministre (SGPI), la Caisse des dépôts et les collectivités.

Je dois dire que le plan Marseille en grand a fait l’objet d’un dialogue permanent avec les quatre collectivités concernées. Ce partenariat à cinq est forcément difficile, mais on y est arrivé, et c’est encore plus remarquable. La filière cinéma a fait l’objet d’une union sacrée à Marseille Si l’État a prévu un financement de 58 millions d’euros au total (Marseille en grand et le Plan « France 2030 – Grande fabrique de l’image »), il faut souligner que de tels projets, aussi ambitieux, aussi audacieux, n’auraient pu voir le jour sans le soutien de la totalité des collectivités, et grâce au pilotage indispensable de la préfecture avec le CNC. Je viens aussi pour les rencontrer, les féliciter, et les remercier de leur engagement.

Il y a eu justement des engagements, puis des rétractations, comme la cité régionale du cinéma aux Docks. Quel rôle a joué le CNC pour aboutir à un accord en juin dernier ?

G.B : Je ne sais pas s’il y a un film ou une série à écrire sur l’histoire du volet cinéma de Marseille en grand. En 2021, nous sommes partis avec une ambition un peu démesurée. Et quatre ans plus tard, sur la ligne d’arrivée, nous réalisons 100% des projets avec 100% des interlocuteurs. Donc oui, il y a eu des changements. Oui, il y a eu des questionnements. Mais le rôle du CNC a été de s’assurer que tout le monde reste bien à bord, sans rien sacrifier de l’ambition d’origine.

Il faut saluer l’engagement de la Ville de Marseille qui a apporté un soutien décisif en étant le partenaire principal de l’antenne de la Cinémathèque française et qui a largement contribué à la réussite du plan dans son ensemble : je pense à l’installation de CinéFabrique à la Belle de Mai. Et nous n’aurions pu créer Cinémabase sans la Métropole qui, accompagnée du département, a répondu présente pour soutenir les principaux dossiers. Enfin, la Région Sud, comme cheffe de file de la formation sur son territoire, a pris l’initiative du financement de la CinéFabrique et nous a permis d’aboutir sur ce projet structurant pour toute la filière. Elle demeure par ailleurs, comme sur le reste du territoire national, notre interlocuteur privilégié pour le soutien à la filière à travers une convention triennale que nous aurons bientôt d’ailleurs l’occasion de renouveler. A Marseille, il ne manque personne sur la ligne d’arrivée et notre ambition est atteinte.

Quand on regarde la carte des projets cinéma à Marseille, ils sont tous localisés dans le nord. C’était une volonté de rapprocher ces lieux ?

G.B : Autour du 15e arrondissement et de la Friche, il y a des logiques de concentration. Mais notre enjeu est bien d’opérer à l’échelle de l’ensemble du territoire. Nous avons d’abord voulu ne pas imposer une vision depuis Paris, c’est une évidence mais je préfère le dire, pour le développement de la filière à Marseille. Elle existait déjà et elle savait très bien analyser ses besoins. Nous avons donc été à l’écoute pour tenter de l’emmener aux plus hauts standards nationaux et internationaux. Mais aussi d’être au plus près des réalités locales dans la logique de faire des pôles cohérents et ouverts aux habitants. Il y a un enjeu de diffusion des œuvres avec la Cinémathèque, un enjeu d’éducation aux images et puis un enjeu absolument central de formation. 

La cinémathèque s’installera d’ailleurs dans une école du numérique inclusive. Pourquoi ce choix ?

G.B : La Cinémathèque française n’a jamais développé d’antenne en région. Il y avait l’idée, avec cette antenne, qui sera la seule en France, d’avoir une ambition très forte pour irriguer le territoire marseillais avec un nouveau pôle d’éducation aux images. Les cinémathèques sont à l’image animée ce que les musées sont à l’image fixe. C’est-à-dire que le cinéma depuis 130 ans, ce sont des milliers d’œuvres absolument extraordinaires, mais auxquelles les gens n’ont pas bien accès.

Sans faire table rase de tout ce qui existe, nous avons aujourd’hui l’ambition de faire de Marseille l’un des tout premiers pôles en France, en Europe et dans le monde, qui concentre à ce point autant de talents, de compétences, dans une perspective d’attractivité internationale. Parce qu’aujourd’hui, quand vous êtes un producteur étranger et que vous voulez venir tourner en France, grâce notamment à Provence Studios, vous avez déjà le réflexe de venir dans le Sud. Nous avons voulu changer d’échelle et passer à un autre niveau.

CNC, Gaëtan Bruel (CNC) : « La filière cinéma fait l’objet d’une union sacrée à Marseille », Made in Marseille
Ecran géant de Provence Studios à Martigues.

Dans vos fonctions précédentes, vous avez notamment développé une cellule à Hollywood pour promouvoir le cinéma français. Les dispositifs actuels pour attirer les productions internationales sont-ils suffisants en France ?

G.B : Il y a d’une part une compétition mondiale, effectivement, pour l’accueil du tournage dans le monde entier. La France, ces dernières années, a renforcé sa capacité à attirer les tournages, d’abord avec un crédit d’impôt recherche parmi les plus compétitifs, 30% jusqu’à 40% (NDLR, si une production dépense 100 millions en France, l’État lui reverse 30 millions). En même temps d’autres pays essaient de nous doubler. Donc il faut rester très compétitifs sur le crédit d’impôt. L’accueil de tournages, c’est un enjeu d’image certes. Mais en attendant, ce sont des retombées économiques fortes pour les territoires. 

D’autre part, pour attirer les tournages, il faut des studios et des équipes techniques. C’est pour cette raison qu’avec France 2030, la Caisse des dépôts et le Secrétaire général pour l’investissement du CNC, nous avons voulu mettre la question de la production et de la formation au cœur de l’appel à projets, pour doubler la capacité d’accueil de tournage et de formation de talents et d’équipes techniques en France.

La décentralisation semble être un axe assez fort de votre mandat. Comment accélérer davantage ?

G.B : Cela fait une vingtaine d’années qu’il y a un travail avec les régions qui a conduit à développer des pôles de production notamment dans le sud. Aujourd’hui, l’enjeu est de consolider ce soutien à la production de manière décentralisée et accorder une plus grande attention à la question de la diffusion. C’est aussi la question de l’éducation aux images parce que le rapport aux écrans est un problème d’une urgence et d’une gravité exceptionnelle. C’est même un enjeu civilisationnel selon moi, car il faut que l’on s’assure d’avoir toujours des spectateurs pour voir les œuvres que nous produirons demain dans nos territoires.

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