Pour la première fois, en raison du contexte sanitaire, les candidats doivent adapter leur campagne à l’élection municipale. Celle-ci débute officiellement le 15 juin. Virginie Tisserant, doctorante en histoire et sciences politiques* revient sur les enjeux de cette campagne d’entre-deux tours particulière, où le digital est au premier plan.

Les règles ont changé. Port du masque, absence de tractages, pas de grands meetings ou encore de porte-à-porte… La crise sanitaire condamne les candidats aux municipales à réinventer leur campagne, et à trouver d’autres moyens pour convaincre les électeurs. Depuis que le gouvernement a fixé la date du second tour au 28 juin prochain – divisant au passage la classe politique – les candidats – certains plus que d’autres – occupent de nouveau le terrain !

Des nouvelles affiches aux nouveaux slogans, à Marseille, le visage des candidats apparaît de nouveau sur les panneaux électoraux, marquant les prémices d’une campagne d’entre deux tours, qui ne débute officiellement que le 15 juin. Pour cette dernière ligne droite, le gouvernement a d’abord incité les candidats à privilégier une campagne numérique, pour respecter les règles en vigueur. Plus récemment, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a indiqué que des réunions publiques seront possibles, la campagne ne devant pas être « exclusivement numérique ». « Des réunions publiques pourront être organisées » en zone verte dans les établissements recevant du public.

« Ce qui est intéressant dans la communication politique 2.0 c’est la gestion des données »

Malgré ces nouvelles annonces, les réseaux sociaux s’imposent comme un important vecteur de communication, durant cette période. Message vidéo, conférence de presse en ligne, photo virale, tweet… Un usage dont certains candidats ont déjà la maîtrise.

Reste que pour Virginie Tisserant, doctorante en histoire et sciences politiques au laboratoire Telemme-CNRS à Amu, l’utilisation des réseaux sociaux ne suffit pas. S’ils demeurent « un élément important et nécessaire d’une campagne, ils ne peuvent résumer totalement celle-ci. En l’occurrence, penser qu’il suffit d’avoir une page, un compte et faire des vidéos pour assurer une présence 2.0 est un leurre. Ce qui est intéressant dans la communication politique 2.0, c’est la gestion des données et leur exploitation, ce qu’encore trop peu de candidats prennent au sérieux », explique la spécialiste.

« On ne vote pas forcément pour ceux que l’on like ! »

Pour Virginie Tisserant, les réseaux sociaux renforcent également le phénomène du biais de confirmation, en d’autres termes : « on ne lit que ce qui va dans notre sens. Toutefois, on ne vote pas forcément pour ceux que l’on like ! Concrètement, l’action de glisser un bulletin dans l’urne est un engagement plus puissant qu’une indignation virtuelle. Même si les citoyens qui critiquent la politique en ligne pourraient sembler majoritaires sur certains points, souvent les résultats dans les urnes ne traduisent pas les débats qui agitent la toile ».

Ajouter à cela, le fait qu’une campagne de premier tour est différente d’une campagne de second tour. À Marseille, au-delà de leur personnalité, les candidats de tous bords ont privilégié le projet. Le leitmotiv ! Pour ce deuxième round, les candidats auront plus de chance de persuader les électeurs « en faisant appel à leurs sentiments, plutôt que de les convaincre avec des arguments programmatiques, si pertinents soient-ils, souligne la doctorante. Nous sortons tous affectés et fragilisés par l’insécurité du contexte, on attend donc des politiques non pas qu’ils règlent leur compte, mais qu’ils rassurent. C’est donc un autre débat par rapport au premier tour ! ».

Le recours aux techniques traditionnelles

Outre l’utilisation de la toile pour assurer sa campagne de « communication électorale », les candidats continuent de miser sur des méthodes traditionnelles, qui ont toujours fait leurs preuves entre les deux tours. Pour inciter les électeurs à ne pas bouder les urnes le 28 juin prochain, [moins d’un électeur marseillais sur trois s’est déplacé. Un taux record d’abstention de 67,45 %, contre 46,47 % au premier tour de 2014, ndlr], ils épluchent les cahiers d’émargement. « Avec la situation actuelle, évidemment, c’est un outil nécessaire », mais le point central de cette élection reste que les abstentionnistes ne sont pas les mêmes que pour les autres élections. « En mars beaucoup ne se sont pas déplacés par crainte, ce qui est inédit. Le déconfinement et le travail de remise en confiance générale participeront, de fait, à augmenter le taux de participation, d’autant plus que le second tour est traditionnellement plus voté que le premier », poursuit Virginie Tisserant.

D’autre part, les courriers, et particulièrement les appels téléphoniques intensifs habituellement privilégiés entre les deux tours auront, selon elle, moins d’impact, car « les électeurs ont eu le temps de réfléchir avec le confinement », note-t-elle. « Il existe également d’autres outils de campagne que certains candidats utilisent déjà et qui agissent comme des CRM [Customer Relationship Management, la gestion de la relation client, ndlr]. Ces outils relèvent plus du marketing politique, qui complètent une campagne traditionnelle mais ne peuvent s’y substituer totalement. La campagne d’entre-deux-tours sera donc longue si elle se résume au numérique, aux appels téléphoniques et aux sondages ! »

Dans cette nouvelle campagne, les candidats comptent aussi sur les médias, pour faire passer leurs messages. Mais pour Virginie Tisserant, difficile de miser sur « la presse qui est sortie très fragilisée par la crise d’un point de vue économique. Les gens sont de moins en moins prêts à payer pour de l’information généraliste. Cette tendance est exacerbée par le fait que de nombreuses études affirment que 80 % des personnes ne lisent que les titres et commentent immédiatement. Seuls 20 % vont donc lire l’article ! »

Procurations, votes par correspondance ou électronique

Dans l’optique de rassurer les électeurs et enregistrer une meilleure participation, le ministre de l’Intérieur s’est dit « prêt à étudier » la possibilité de porter plusieurs procurations, d’augmenter le nombre de bureaux de vote et d’en élargir les horaires… « des éléments de communications », juge Virginie Tisserant, car la charge effective de ce surplus d’organisation reviendra aux mairies et aux assesseurs. Par ailleurs, comment changer un électeur de bureau de vote en quatre semaines ? C’est une logistique insurmontable ». 

Le vote par correspondance a été évoqué par des candidats afin de réduire les risques. Un mode de scrutin largement répandu aux États-Unis, « où il est parfois majoritairement utilisé, davantage que le vote physique dans un bureau. Lors de la présidentielle de 2012, 1/3 des Américains avaient choisi le early voting. Chez nous, le problème est avant tout culturel ».

Dans un laps de temps plus important, le vote électronique aurait-il pu être instauré sur la base du numéro fiscal, par exemple ? Pour Virginie Tisserant, « par certains égards, il peut être plus sécurisé que le vote par correspondance, mais cette perspective pose un problème technique et culturel, explique-t-elle. Déployer une technologie fiable pour s’assurer que la personne derrière l’écran soit celle à qui appartient le numéro fiscal est risqué à quelques semaines des élections. Il est d’autant plus difficile de le faire accepter aux citoyens qui semblent opposés à l’application anonyme de traçage des contacts « Stop Covid ». Proposer un vote électronique, c’est risquer le boycott des élections par une partie non négligeable des électeurs ». 

Une campagne pour les prochaines élections

Enfin, les tractations pour le second tour ont été menées sur une plus longue période que dans un contexte traditionnel, laissant penser que des accords plus solides ont été scellés. La perspective du troisième tour qui se jouera dans l’hémicycle municipal, mais également les prochaines échéances électorales, à savoir les départementales, les régionales et les listes sur les sénatoriales ont pesé dans la balance.

À ce titre, la doctorante rappelle qu’en politique les accords ne sont que de circonstance. Elle ajoute par ailleurs que « les candidats ont tendance à penser qu’ils sont propriétaires des suffrages exprimés en leur faveur au premier tour ; chose qui est loin d’être acquise, surtout après deux mois de confinement ».

Plus concrètement, pour le troisième tour, le candidat à la mairie de Marseille pourrait ne pas être la tête de liste annoncée depuis des mois, « mais probablement une personnalité plus consensuelle capable de nouer des accords transpartisans afin de constituer une majorité, car Marseille risque d’être ingouvernable ».


*Les recherches de Virginie Tisserant portent sur la crise des systèmes partisans en Méditerranée, les nouveaux partis politiques qui ont émergé et le renouvellement du militantisme au XXIème. Elle est par ailleurs rédactrice en chef de Provence Business.

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