Que l’on soit seul, en couple ou en famille, le confinement obligatoire a des effets psychologiques sur les personnes. Explications avec Gisèle Tappero, psychothérapeute spécialisée dans des méthodes de traitement des perturbations émotionnelles.

Le contexte sanitaire actuel et le confinement, appelé à durer plusieurs semaines encore, peuvent engendrer des situations de stress, et parfois des angoisses plus importantes chez les personnes plus fragiles. Pour décrypter certaines situations, comprendre les effets de la crise du Covid-19 sur les comportements, mais surtout pour mettre en place des solutions et des gestes simples et tenter d’aborder cette période avec plus de sérénité, nous avons donné la parole à une psychologue clinicienne. Gisèle Tappero, psychothérapeute, spécialisée dans des méthodes de traitement des perturbations émotionnelles (EMDR, Hypnothérapie, PNL) exerce à Marseille depuis dix ans, en cabinet libéral. (lire encadré). Entretien.

Pouvez-vous nous faire part de vos observations sur cette situation inédite avec votre regard de praticienne ?

C’est une crise majeure sans précédent. Pas tant en terme de taux de létalité : d’autres maladies provoquent des ravages parfois aussi meurtriers et n’ont pas déclenché de phénomènes analogues. Mais par l’ébranlement des certitudes que cela soulève concernant le fonctionnement de nos sociétés. Cela laisse imaginer un futur le contrôle que nous pensions exercer sur le monde n’est plus assuré. Son traitement médiatique contribue à majorer l’ampleur de son impact.

Cette crise est un défi, car comme dans toute situation de ce genre, elle peut conduire au meilleur comme au pire, engendrant dans tous les cas des modifications profondes. Chacun à son niveau peut naturellement oeuvrer pour que de ce défi ressorte le meilleur.

Qu’entendez-vous concrètement par le meilleur ? 

Dans le meilleur des cas, cette situation permet une transformation de la hiérarchie de nos valeurs en faveur de la solidarité, la reconnaissance de l’importance des liens et l’apprentissage de l’interdépendance en profondeur au niveau individuel et collectif, et aussi l’introspection, conduisant à une meilleure écoute de soi et donc des autres. C’est aussi l’occasion de développer  des compétences de communication, valoriser l’entraide, comme on le voit déjà depuis plusieurs jours au travers de différentes initiatives.

Et dans le pire des cas ?

Dans le pire, ce contexte peut amener à un développement de la violence, de la haine, un enfermement dans le chacun pour soi. Tout traumatisme peut conduire par construction au repli sur soi et abîmer potentiellement les liens, la confiance en l’humanité. La différence, à notre époque, c’est que nous le savons. Nous avons donc les moyens d’évaluer les effets des chocs psychiques.

Reste à mettre en place les moyens de prise en charge au regard de l’enjeu. Le coût psychique n’est pas visible aussi directement et aussi immédiatement que d’autres types de coûts plus observables. A mes yeux, il nécessite pourtant la même prise en compte et le même déploiement de moyens au niveau individuel, bien sûr, et aussi national.

Comment analysez-vous le terme « guerre » prononcé à plusieurs reprises par Emmanuel Macron lors de sa deuxième allocution la semaine dernière ?

J’analyse ce terme à partir des effets qu’il me semble susceptible de produire chez ceux qui l’écoutent. Là encore, nous pouvons aborder les choses d’une manière positive et une autre négative. Sur le premier point, le terme « guerre » permet de prendre la mesure de l’événement, encore une fois rassembler autour de l’intérêt collectif, « tous contre le virus », justifier les « sacrifices » des personnes qui sont sur le front comme l’ensemble du personnel médical, et surtout leur rendre hommage.

Sans oublier, tous ceux qui vivent le confinement au quotidien. C’est important dans ce contexte, car la mise en quarantaine et le confinement peuvent éveiller des émotions de honte, de disqualification. Une « drôle de guerre » où les combattants, pour partir au combat, rentrent chez eux. Mais cela incite à l’action dans ce combat pas comme les autres et à la mobilisation d’énergie.

Et de l’autre côté du miroir alors ? 

La soudaineté de l’utilisation du mot « guerre » et sa réitération peuvent créer un choc à celui qui l’entend, d’autant que le vocabulaire guerrier est employé dans une situation où l’apaisement est un enjeu majeur. Par ailleurs, pour s’engager dans une guerre, il doit y avoir de la cohérence, avec des moyens adaptés, au risque d’avoir une perception d’une situation violente, sans armes suffisantes, ce qui naturellement peut alarmer plus que galvaniser.

Comment prendre conscience de la gravité de la situation tout en ne cédant pas à la psychose générale ? 

Il faut donner des informations précises sur le caractère très spécifique de la situation, tout en reconnaissant que la « psychose » (la réaction d’alarme) est normale, puisque la menace est réelle et la situation est porteuse d’inconnues (l’absence de référence maximise la crainte). Il est important d’être factuel et sincère sur ce que nous savons et ne savons pas, tout en donnant confiance sur le fait que nous sommes en train de documenter via les recherches en cours, et que le courant d’information va être continu et régulier. Dans ce contexte, au-delà de présenter clairement les enjeux d’une situation pour susciter la mobilisation, il est nécessaire aussi rappeler les informations positives, très régulièrement, très clairement et factuellement pour éviter l’escalade de peurs irrationnelles.

Le confinement peut engendrer des situations de stress chez les personnes équilibrées, mais plus particulièrement chez les plus fragiles. Comment peut-on identifier les facteurs de stress ? 

Vous avez raison de le souligner, avec le confinement nous sommes tous logés à la même enseigne, ce qui est rassurant d’une certaine manière, mais nous ne le sommes pas de la même manière : au sens premier du terme, c’est-à-dire d’habitat (plus ou moins spacieux et agréables) et également en terme de solidité psychologique et physique, d’antécédents, de soutien etc. Les efforts de prise en charge nécessitent donc d’être pensés, déployés spécifiquement pour les plus vulnérables au niveau national comme au niveau local.

Deux études ont d’ailleurs été publiées au début du mois. La première porte sur le degré de détresse psychologique de la population chinoise, suite à l’épidémie dans une revue spécialisée General Psychiatry, et une autre dans le journal médical The Lancet, qui porte sur l’impact psychologique de la quarantaine et les moyens de l’atténuer. J’en retiens notamment que les effets psychologiques (confusion, colère, peur..) d’une période de confinement prolongé peuvent être importants, parfois dramatiques et perdurer après la fin du confinement ; période qui présente, elle aussi des risques psychiques spécifiques. Ils ne peuvent être ignorés.

Peuvent notamment accentuer la sévérité de ces effets : la durée de la quarantaine, la peur de l’infection, la frustration et l’ennui liés au confinement, l’information peu claire. Il est important de donner des informations nettes sur la situation et surtout expliquer pourquoi la mise à l’écart est importante, parce que cela permet de beaucoup mieux faire accepter la restriction de liberté imposé par le confinement. La quarantaine volontaire, altruiste, est associée à moins de détresse et de complication à long terme.

Que conseillez-vous pour prendre du recul sur les différentes situations et atténuer les effets du stress, lorsque c’est possible ?

D’abord, il faut reconnaitre que toutes les méthodes, conseils, bonnes pratiques aussi pertinents soient ils, seront difficiles à appliquer si le niveau de stress est trop important, si l’émotion est trop forte. Cela peut même être contreproductif, dans la mesure où cela peut conduire à constater que l’on est pas capable de les appliquer : « Les autres y arrivent, moi pas. Je sais ce qu’il faut faire, je n’y arrive pas. Donc je suis nul etc. » Cela peut engendrer de la culpabilité ou du découragement, et c’est la dernière chose dont on ait besoin en situation de crise.

Il faut comprendre que l’anxiété est normale dans une situation menaçante. Lorsqu’elle est trop importante, elle rend plus complexe la mise en place de comportements visant à réduire l’anxiété. Cela veut juste dire qu’il peut être nécessaire d’aborder un travail, d’abord au niveau émotionnel, pour que les bons comportements suivent. A un certain niveau, le travail émotionnel est difficile à pratiquer seul et peut nécessiter de se faire aider par un professionnel. Cela souligne l’importance de mettre ce soutien  à la disposition du plus grand nombre.

Quels sont les gestes ou comportements à adopter pour atténuer ses angoisses, seul, sans l’aide d’un professionnel ?  

Toutes les pratiques visant à observer le corps, les émotions, sensations, pensées associées sans jugement, avec bienveillance, sont les bienvenues. Cela passe par des exercices de respiration simple, de la méditation, du yoga, de la cohérence cardiaque… Il est préférable de privilégier, si vous le pouvez, des activités, via un site internet, permettant de retrouver en même temps régulièrement un groupe de personnes connues.

Ensuite, il y a toutes les pratiques visant à se relier à nos centres d’intérêt, à des activités alternatives. Cela permet de nous décentrer de nos pensées automatiques, obsessionnelles, catastrophiques. Puis tout ce qui nous permet de nous relier aux autres, aux sens, au collectif ; tout ce qui permet de nous relier aux faits, au réel de manière concrète et documentée, tout ce qui nous permet d’agir, de reprendre confiance en notre capacité d’action, y compris des choses très simples de la vie quotidienne.

Tout ce qui nous permet de remettre du « circulaire » dans notre vie ; des répétitions, des routines et tout ce qui nous relie au vivant, à travers, par exemple, la nature, le jardinage, les animaux… Quand cela est possible. Le tout pouvant être combiné bien sûr.

On connaît les dangers liés à l’hyper-connexion aux écrans. Dans cette période nous sommes nombreux à être connectés en permanence. Comment éviter d’entrer dans un schéma dangereux pour la santé ? 

Au niveau individuel, « DEBRANCHER » quand on le peut. Il est important de limiter le nombre d’heures devant les écrans, en se donnant une limite en temps, et si possible se « connecter » ensemble pour en discuter. Si l’on constate que cela n’est pas possible, l’anxiété pouvant se traduire par une focalisation obsessionnelle, il convient d’avoir de l’indulgence vis-à-vis de soi-même et si c’est possible se faire aider.

L’idéal est de se « REBRANCHER » sur ses proches, retrouver cette connexion avec eux, et à nouveau, cela peut passer par des choses très simples : dire bonjour, sourire aux personnes que l’on croise (en respectant les distances de sécurité) dans la rue, par la fenêtre plutôt que de s’enfermer avec son casque sur les oreilles. Priorité à l’humain !

Même dans ce contexte. C’est bon pour les autres, mais surtout pour soi, parce que cela nous remet en lien avec la vie. L’altruisme est une ressource. Je le redis, quand il possible, il faut se rebrancher sur le vivant, la nature, les arbres, les animaux, sur des activités qui nous font du bien, qui nous captivent, qui nous permettent de diversifier nos centres d’attention.

Et au niveau collectif ? 

Au niveau collectif, les médias ont une grande responsabilité. Ils peuvent alimenter l’escalade de la peur ou au contraire diffuser des programmes d’informations factuelles rappelant aussi les éléments positifs qui ont intérêt à être martelés, de même que le rappel des lieux, sites où il est possible de trouver de l’aide, psychique notamment, gratuitement. C’est le moment pour les chaînes de télévision de diffuser, et pour nous de voir des films qui font rire, qui détendent etc. Si le niveau d’anxiété est trop fort, il restera difficile, voire impossible de mettre en place une boucle vertueuse, utilisant les bons conseils figurant un peu partout, et il sera nécessaire de se faire aider.

Comment parler au mieux de cette situation aux enfants ? 

Plus que parler, il est important d’écouter ce qu’ils ont à dire, répondre à leurs questions avec sérieux, simplicité, considération et précision, sans rajouter des détails qu’ils ne demandent pas. Il faut être à l’écoute pour déceler ce qu’il y a sous l’iceberg et sous les mots des plus jeunes, mettre en évidence et normaliser les émotions qui sont sous tendues. Faire sentir que « oui » la situation est grave, mais que nous avons les capacités pour y faire face.

Et les adolescents, parfois déjà dans des périodes de révolte à cette époque de leur vie ? 

Même chose, en mettant l’accent sur le fait de leur donner du pouvoir, de la responsabilité. C’est l’occasion de réfléchir ensemble, notamment sur le type de citoyens qu’ils veulent devenir, sur leur engagement, sur les actions qu’ils peuvent conduire… Cela peut se traduire par des choses simples, comme écrire, appeler leurs grands-parents, tout simplement.

Ce qu’il y a de très particulier dans cette crise, c’est que les jeunes sont plus épargnés mais paradoxalement sont potentiellement plus « contaminants » pour les plus âgés, ce qui peut être très perturbant pour certains, à cette époque de leur vie, et réveiller de la culpabilité, des peurs. Il est important d’y être attentif pour les aider, en parlant avec eux ou en les orientant vers des lieux d’écoute si on se sent dépasser.

Pour résumer, dans cette période, nous avons la possibilité de développer des compétences en écoute active, ce qui  s’apprend aussi. C’est peut-être l’occasion d’apprendre cela à grande échelle, apprendre et surtout pratiquer.

Le confinement peut avoir des répercussions sur des couples déjà fragiles, comment aborder la période sereinement ? 

Déjà en reconnaissant que cela peut difficilement se faire de manière sereine instantanément. C’est un apprentissage. Contrairement à d’autres crises (comme une guerre, par exemple, qui conduit à une distance entre sexes, générations, les hommes partant aux combat et laissant leur famille), ici, elle confronte les couples, les familles. Cela peut être une opportunité pour arrêter de fuir les souffrances liées aux relations, que l’on fuit habituellement en s’évadant dans des activités extérieures ou la consommation. C’est un énorme changement par rapport aux habitudes et aux valeurs de nos sociétés. Cela remet l’apprentissage de l’interdépendance au centre et c’est un travail que le confinement peut donner le temps de faire.

Ce temps peut être mis à profit si les compétences relationnelles le permettent. Sinon, il peut être nécessaire de se faire aider par des professionnels. Tout ce qui peut être mis en place pour proposer cet accompagnement à distance est bienvenu. C’est le moment de faire l’apprentissage du rôle des émotions, de développer des compétences en écoute active, là aussi, pour mieux se relier aux autres : apprendre cela et surtout le pratiquer dans ce laboratoire d’apprentissage des relations humaines que constitue la cellule familiale. Cela peut être l’occasion d’un formidable apprentissage pour certains.

Bien entendu, il ne faut pas laisser les personnes démunies en prise avec des situations insoutenables, notamment si cela dure, la quarantaine a des effets avérés sur le psychisme. Et les situations de violences intra-familiales nécessitent un plan d’aide, une vigilance spécifique, d’autant que le confinement peut accentuer la difficulté des victimes à signaler leur détresse.

Quelles solutions sont mises en place pour les personnes déjà accompagnées par un professionnel ?

Il y a des séances à distance, en effet. Au niveau des réseaux, tout devrait être mis en place pour faciliter la qualité de ces connexions. Cela peut être l’occasion de développer ces pratiques, en individuel, en groupe. Il existe des logiciels spécialisés, en pratique. Dans l’urgence, il me semble que la plupart d’entre nous praticiens travaillent avec les moyens connus : Skype etc. L’essentiel étant d’assurer au plus vite avec ce que l’on sait utiliser, quitte à parallèlement s’équiper. La profession a engagé une réflexion pour la mise place d’équipement nécessaire et les conditions de son accès, que ce soit dans ce cadre libéral ou dans le système hospitalier. Les associations professionnelles de psychologues sont engagées dans cet effort.

Comment percez-vous les élans de solidarité ?

Formidables et très touchants. Personnellement, ce qui me touche particulièrement, ce sont les jeunes adultes qui préfèrent rester confinés dans de tout petits espaces plutôt que de mettre en péril leurs parents installés plus spacieusement avec jardin. Je tiens à leur exprimer mon admiration et ma gratitude. L’héroïsme au quotidien.

Vous l’avez un peu évoqué plus haut, mais peut-il y avoir des symptômes post-traumatiques après cette épreuve ? 

La situation est traumatogène pour de multiples et profondes raisons. Nous vivons une situation traumatogène, c’est-à-dire porteuse d’événements soudains, brutaux, exceptionnels, de nature à confronter avec la mort et à ébranler les convictions de base en matière de sécurité, de prévisibilité de l’environnement. Donc oui, au-delà des réactions immédiates, cette situation est de nature à susciter des états de stress post-traumatiques à terme chez certains d’entre nous. Pas de manière uniforme, car le développement d’un état de stress post-traumatique dépend de la rencontre entre un événement et un personne. Cela dépend de l’état psychique, du soutien vécu dans la situation, de l’histoire émotionnelle ce chacun…

Que conseillez-vous ?

Etre vigilant avec son entourage et avec soi-même. Les symptômes peuvent prendre des formes très différentes. Observer toutes réactions qui ne sont pas habituelles comme de l’irritabilité alors que la personne est plutôt de nature calme, ou inversement. C’est une alerte. Il ne faudra pas hésiter à consulter si les symptômes persistent. Il existe aujourd’hui des psychothérapies efficaces, l’EMDR et l’hypnothérapie notamment.

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