À l’Est de Marseille, quatre artisans passionnés de construction durable ont fondé l’association Raz-de-terre. Ils transforment la terre crue issue de chantiers en briques écologiques destinées aux professionnels du bâtiment.
La terre crue, utilisée depuis onze millénaires, demeure à ce jour le matériau de construction le plus répandu à travers le monde. Un tiers de l’humanité vit dans un habitat en terre, soit plus de deux milliards de personnes. En France, celle-ci représente environ 15% du bâti, mais elle n’est que très peu intégrée dans les projets d’aménagement contemporains où le béton domine.
L’association Raz-de-Terre s’est donnée pour mission de rendre ses lettres de noblesse à cet élément ancestral, aux nombreux atouts. Léa Bouillot, Vincent Morossini, Romain Kowalczyk et Yannis Moncelon se sont rencontrés lors d’une formation en éco-construction, avant de lancer la première briqueterie artisanale marseillaise en janvier dernier.
Les quatre jeunes artisans, tous en reconversion professionnelle, ont voulu apporter leur pierre à l’édifice pour développer la construction et la rénovation durable en utilisant, comme support, cette « ressource précieuse, aussi abordable qu’accessible. Elle est littéralement partout sous nos pieds », fait valoir Vincent.
Une « recette » différente pour chaque terre
À partir de terre excavée sur les chantiers de terrassement, le collectif produit des briques (ou « adobes »), du mortier et de l’enduit thermique, destinés aux professionnels du bâtiment. « On cherche une terre solide, qui ne se fissure pas et ne s’effrite pas trop sur le long terme », ajoute Léa, qui a quitté son bureau d’architecte d’intérieur pour « mettre les mains dans le concret ».
Après la collecte, place à une série de tests pour élaborer la « recette » la mieux adaptée, car « chaque prélèvement est unique et réagit différemment ». L’équipe y ajoute donc des dosages différents d’eau, de paille hachée et, parfois, de sable.
Ce mélange est ensuite foulé aux pieds sur des bâches ou, pour de plus grandes quantités, remué dans une cuve à l’aide d’un malaxeur, le seul outil électrique utilisé par l’association. Une fois moulées, les briques sèchent pendant trois semaines, à l’aide du soleil et du vent, avant de pouvoir être utilisées en construction.
Une ressource traitée comme un déchet
Les monticules stockés sur le tiers-lieu du Grain de la vallée (11e), où est installée l’association, témoignent par leurs différents tons ocres de la diversité des terres que l’on peut trouver dans la région. « Le bassin aubagnais regorge de veines d’argile, ce qui offre une très bonne cohésion », note Romain.
Cette matière graveleuse est pourtant traitée comme un déchet à éliminer après des travaux. Pour Léa, « c’est un non-sens de voir toute cette terre partir en décharge ».
Les terres extraites du sol et du sous-sol représentent en volume le premier déchet produit en France, avec plus de 100 millions de tonnes déplacées chaque année. Pour s’économiser les frais de déchèterie, « certains terrassiers la revendent en tant que terre végétale ou de remblais ». L’association rachète le surplus directement aux entreprises, qui fixent leur propre prix.
Un savoir-faire artisanal au service de la construction durable
Les membres de Raz-de-terre estiment avoir déjà prélevé et valorisé environ 75 m3 de terre crue autour de Marseille, soit l’équivalent de 150 m2 de briques. Ils sont en capacité de produire 200 briques par jour, disponibles en plusieurs formats : pour murs porteurs, d’isolation, de cloisonnement…
« Pour l’instant, nous travaillons principalement avec des artisans et des architectes locaux intéressés par l’éco-construction », souligne Léa. Le restaurant de cuisine solaire Le Présage (13e), par exemple, a utilisé des adobes pour créer un muret thermique à base de terre excavée sur place.
Avec des propriétés d’isolation thermique, régulatrice d’humidité et réemployable à l’infini, la terre crue connaît en ce moment un regain d’intérêt pour ses qualités et son empreinte carbone quasi nulle, en-dehors du transport. Ce qui en fait une alternative écologique au béton ou même à la chaux, qui nécessite de broyer puis de chauffer du calcaire.
Cependant, sa mise en œuvre s’avère coûteuse et délicate par manque de main d’œuvre qualifiée. Son imprévisibilité « est un avantage pour nous, mais un inconvénient pour les industriels, remarque Romain. Ils ne peuvent pas normer ce produit et le produire en grandes quantités ». « Les personnes qui l’industrialisent essayent d’y ajouter du ciment, mais on perd alors tout un tas de propriétés intéressantes », renchérit Léa.
Des ateliers pour démocratiser la terre crue
De plus, ce matériau naturel fait encore l’objet de nombreux préjugés tenaces. Il est perçu comme fragile, obsolète ou pas assez fiable par les constructeurs et professionnels du bâtiment, l’un des secteurs les plus polluants mondialement avec près de 40 % des émissions annuelles de gaz à effet de serre.
C’est pourquoi Raz-de-terre tient avant tout à sensibiliser pour « faire évoluer les mentalités et démocratiser l’usage de la terre crue ». Le collectif d’artisans se déplace dans les écoles d’architecture et de maçonnerie de la région. À travers des ateliers d’initiation mensuels, ils invitent aussi le grand public à découvrir cette ressource en participant à la fabrication de briques ou de mortier.
« Tout le monde redevient un peu un enfant au contact de la terre. On met les mains et les pieds dans la matière, il n’y a rien de dangereux ou de nocif », note Léa. « C’est un peu comme de la pâte à modeler », plaisante Romain.
Samedi 26 octobre de 9h à 17h, le collectif animera un grand chantier participatif, avec lequel l’association espère pouvoir terminer son abri à matériaux à temps pour la saison hivernale. Mais c’est aussi l’occasion pour les curieux de mettre la main (et les pieds) à la pâte. Et de s’informer sur les enjeux de cette ressource d’avenir.