Depuis près de deux ans, le parc Foresta est au coeur de la tourmente. La Ville de Marseille a confirmé son souhait de racheter le site pour en faire un lieu ouvert au public. Retour aux sources.

L’histoire était belle. Au pied des immenses lettres « Marseille », le parc Foresta était promis à un avenir radieux qui s’est assombri ces deux dernières années. En 2016, cette colline non-constructible de 16 hectares (sauf sur 1 000 m2) située entre la zone commerciale Grand Littoral et le Grand port maritime, s’est transformée en « parc métropolitain citoyen », sous l’impulsion de l’association Yes We Camp.

« C’est le projet le plus important que nous ayons engagé. On y a passé 6 ans et mis beaucoup d’énergie et d’argent. Depuis le début, avec Foresta, le but était de fabriquer un parc collectif pour toujours », se rappelle Nicolas Détrie, directeur de Yes We Camp, spécialisé dans les projets d’occupations temporaires (Coco Velten, Caserne du Muy…).

Avec l’aide des voisins et des structures locales, cette petite fabrique d’espaces communs avait investi l’espace en friche. « Avec peu de frais », elle était parvenue à faire de l’aménagement urbain « en créant des chemins, des entrées, des escaliers », et en ayant « mis l’eau, l’électricité, des toilettes et une base de vie pour faire des réunions ». L’objectif était de faire vivre un site mixant différentes activités et pratiques collectives.

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Au commencement de Foresta.

Le temps où l’on pouvait faire du poney

Un lieu de déambulation libre dédié aux riverains, au sein duquel les publics pouvaient se rencontrer, exprimer leurs talents grâce à des d’ateliers, participer à des balades exploratoires et des événements festifs… « Il y avait beaucoup de discussions et d’ajustements entre tous les protagonistes du parc, mais au final, on y arrivait ensemble. Tout ça marchait très bien », se souvient Nicolas Détrie.

Des liens se sont tissés avec les différents centres sociaux alentour. « Au début, ils n’ont pas trop compris notre intention, car dans le secteur il y a plein de besoins très immédiats et nous, on arrivait avec un projet presque poétique qui offre de la pratique collective. Quelques années après, ils ont pleinement adhéré au projet. J’ai trouvé l’évolution de la perception de ce lieu intéressante ».

Le ranch avec ses 30 chevaux, tenu par la famille Karamane, constituait également un équipement très structurant dans l’émergence du parc. Elle assurait une présence 24/24 avec de nombreux échanges et des temps de partage autour de thé sous les arbres à l’entrée. Pour beaucoup, à ce titre, Foresta était synonyme de lieu où l’on pouvait faire du poney.

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© Yes We Camp

Le projet avorté de la Maison du Parc

Ce tiers-lieu à ciel ouvert avait permis de développer la valeur d’usage de l’espace et, de par sa gratuité et son libre accès, « créer un commun propice à la réappropriation citoyenne ». Malgré la beauté du projet et l’ambition de le faire entrer dans le top 10 des sites à visiter à Marseille, « un parc ne s’autofinance pas ».

Pour aller plus loin et explorer d’autres thématiques liées au sport, à l’éducation, à la santé… Yes We Camp avait déposé un permis de construire pour la création de la Maison du Parc. Lequel a été accordé par Mathilde Chaboche, ancienne adjointe à l’Urbanisme, dans les premiers mois de son mandat. « Cette structure permettait d’institutionnaliser le parc. On pouvait accueillir 300 personnes et 100% de tous les enfants d’écoles primaires de Marseille sur une demi-journée dans l’année sur le parc Foresta, pour des ateliers et que le soir ça puisse être festif et collectif ». 

Si pour ce projet à 1,2 million d’euros l’association avait décroché des fonds européens, sa mise en oeuvre dépendait de deux garanties d’ordres économique et foncier : « Tout le monde nous a dit que c’était bien, mais les collectivités ne se sont engagées à aucun moment en co-financement, poursuit le directeur. Nous avions des conventions temporaires, mais là où le projet en était il nous fallait avoir plus de droits pour que le parc ne puisse pas se faire virer d’un claquement de doigts. C’était nos deux conditions ».

Pour consolider l’aventure collective, Nicolas Détrie imagine même « un montage coopératif en forme de SCIC qui peut allier privé et public, pour que la Mairie soit co-gestionnaire en même temps que les citoyens et le propriétaire, avec lequel j’ai toujours été transparent sur le fait que ce lieu devait être un espace commun et pas privé ».

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Une nouvelle journée d’animations pour découvrir le futur parc Foresta

Deux années difficiles

Faute de soutien et d’assurances, en 2022, Yes We Camp donne les clés aux acteurs de terrain, réunis en association. Deux années se sont écoulées, marquées par une vague de départs, une ambiance délétère, des problèmes de sécurité, des incendies répétés et des tensions permanentes entre des riverains engagés et le propriétaire du site Gurvan Lemée et sa société Mall95.

À l’abandon, le parc du 15e arrondissement a servi de déversoir pour des sociétés de terrassement qui y accumulaient, chaque jour, des tonnes de gravats, comme le documente Marsactu dans un article en août dernier. Il y a quelques semaines, le collectif « Foresta aux habitant.e.s » a tenu une conférence de presse pour alerter sur ce « massacre écologique » et réclamer une reprise en main par la municipalité de ce site protégé.

Géraldine Billon, membre de ce collectif citoyen ne décolère pas lorsqu’elle retrace l’histoire de ces deux dernières années, dates à la clé. Au-delà des atteintes à l’environnement, cette ancienne institutrice dénonce la dissolution « unilatérale et dans un déni de démocratie de l’association Foresta » en 2023, le blocage de la base de vie par le propriétaire, qui ne trouve pas grâce à ses yeux.

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© Mathieu Grapeloup

Un projet global pour une ouverture au public

Pour Gurvan Lemée, la passation entre Yes We Camp et les acteurs locaux a éveillé certaines velléités. « J’ai lancé un projet sympa et qui fonctionnait à l’origine, toute la dynamique a été démolie », nous confie-t-il, peu enclin à répondre à la presse. L’homme d’affaires dit subir du « harcèlement constant ». Il évoque un « environnement nocif » contribuant à « décourager les personnes impliquées » dans l’association Foresta.

Concernant le dépôt des gravats, il indique qu’une partie l’était à sa demande, « suite à une autorisation d’aménagement du terrain pour la création d’une plateforme convenue avec la Ville, mais derrière, des camions ont déversé dans d’autres parties qui n’ont rien à voir avec nous. Tout ça était difficile à contrôler », justifie-t-il.

Ce que confirme par ailleurs Samia Ghali, maire-adjointe de la Ville de Marseille. « Cela a été fait dans un cadre réglementaire. Les aménagements ont été autorisés par les services de l’Urbanisme après étude de sa demande. Malheureusement, à Marseille, dès qu’un lieu n’est pas utilisé, il sert de décharge ». De son côté, le propriétaire doit débarrasser le site de tout le mobilier, véhicules incendiés… Et revendre ?

« Oui », nous confirme-t-il à demi-mot. Samia Ghali a indiqué, mercredi 17 avril, « la volonté politique » de la Ville de Marseille de se porter acquéreur du site. « Dans le cadre du PPI [plan pluriannuel d’investissements], une enveloppe est prévue pour racheter le parc Foresta pour en faire un parc public. Nous attendons l’estimation des Domaines pour connaître le coût réel. Les services y travaillent, assure la maire-adjointe, avant de mettre en garde. Si des gens veulent mettre la pression pour occuper le site, ça ne se passera pas comme ça ! Nous travaillerons avec l’ensemble des habitants, en concertation, pour co-construire un projet global pour une ouverture au public et c’est ce qui nous guidera ». 

Pour Nicolas Détrie, il est « évident que cet endroit a une vocation publique ». Sur Google maps, ce qui s’appelait autrefois « coulée verte du Littoral » porte désormais le nom de Foresta, preuve « qu’il y a quand même des choses qui sont semées. J’ai pas mal d’espoirs sur le fait que cette vocation de parc collectif s’inscrive dans le temps ».

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