Francis Vernède, directeur régional de la fondation Abbé Pierre, analyse les besoins et les freins à la production de logements, et en particulier de logements sociaux dans la métropole.
Le Programme local pour l’habitat (PLH) vient d’être adopté dans sa version définitive au conseil de la Métropole Aix-Marseille-Provence (AMP) le 22 février. Ce document stratégique de programmation, pour 92 communes, fixe un objectif de production annuelle de 11 000 logements, dont 5 200 logements sociaux pendant six ans.
Le préfet des Bouches-du-Rhône, Christophe Mirmand, a émis un avis favorable pour ce projet « ambitieux ». Cependant, ces objectifs ne permettent pas d’atteindre ceux fixés par la loi de Solidarité de renouvellement urbain (SRU), pointe le rapport 45 du conseil. Pour rappel, cette loi impose aux communes de plus de 3500 habitants de disposer de 25% de logements sociaux, sous peine de pénalités.
Une motion portée par Georges Cristiani (SE), le maire de Mimet, pour demander l’assouplissement de la loi SRU, a été adoptée après une heure de vifs débats. En parallèle, 42 maire ont adressé un courrier au ministre délégué au Logement, Guillaume Kasbarian, pour plaider leur cause.
C’est dans un contexte de crise nationale du logement, décryptée dans le rapport du mal logement 2023 de la fondation Abbé Pierre, que nous nous sommes entretenus avec le directeur régional à Marseille, Francis Vernède.
Le sociologue de formation expose sa vision sur la politique de logements dans la métropole – en particulier pour le logement social – et les freins à sa construction. Il somme l’État d’agir en créant une vraie politique urbanistique qui « redonne le pouvoir aux bailleurs sociaux ».
Made in Marseille : Chaque année, la fondation Abbé Pierre publie son rapport du mal logement en France. Quel est votre constat en région ?
Francis Vernède : Récupérer ces chiffres est une de nos principales difficultés car les compétences sont croisées entre les collectivités. Il n’y a donc pas de fluidité de la donnée et la question de la mise à jour est coûteuse. Il faudrait des agents qui actualisent des chiffres dans des logiciels différents : ceux du logement privé, social, de l’hébergement d’insertion, d’urgence, des CADA… Malgré les difficultés, nous estimons un besoin grandissant de 45 000 logements sociaux à Marseille.
Les besoins de logements sociaux ne font qu’augmenter. Comment entendez-vous la proposition du gouvernement d’intégrer le logement intermédiaire dans la loi SRU ?
Pour accéder au logement intermédiaire, le plafond est de 7500 euros de revenu par mois par ménage. Ce qui est élevé. C’est donc une façon déguisée de faire sauter l’objectif de la loi, qui consiste à protéger les ménages modestes d’un marché libéral pénalisant les plus précaires.
Faire rentrer le logement intermédiaire dans la loi SRU est une demande des maires de la Côte d’Azur. Nous sommes la région de France où il y a le plus de communes qui ne respectent pas la loi SRU, dont Marseille (La ville a échappé de peu à la carence, Ndlr). Tous les ans, les maires ont des pénalités qui viennent grever leur budget. Mais cet argent peut ensuite être reversé à la commune si elle produit du logement social.
Pourquoi les maires n’en produisent pas dans ce cas ?
Il y a une mauvaise image du parc social et de ses habitants, et aussi une volonté, parfois, de pas prendre en compte l’entièreté des habitants de sa commune en privilégiant une certaine catégorie de personnes.
Si on produit suffisamment de logement social, il y aura du ruissèlement. Quand les gens sont logés à un tarif réglementé, ils ne tombent pas sous le seuil de pauvreté. Ils consomment, ils sont plus sereins, plus productifs s’ils sont en emploi, et ils ont plus d’énergie s’ils doivent en chercher un.
Le logement social est le rempart le plus efficace pour éviter de tomber sous le seuil de pauvreté ?
Le logement est le premier poste de dépenses des ménages. On dit qu’un taux d’effort supportable, c’est un tiers du budget par mois. Au-delà, ça commence à poser des questions de trésorerie à la fin du mois. Si nous n’avons pas de parc social qui protège de ça, au-delà de mesures comme l’encadrement des loyers, ça ne peut pas marcher.
Ça ne va que renforcer la tension sur le parc privé, au bénéfice des propriétaires qui jouent les prix comme ils l’entendent. Et, à terme, ça va faire le lit des marchands de sommeil qui pourront loger des précaires dans des logements dégradés.
Depuis le Covid-19, quel est l’état de la pauvreté sur le territoire ?
Le taux de pauvreté augmente. À Marseille, il est à 26% et 19% dans la métropole alors qu’en France il est à 14%… Si on zoome sur les arrondissements de Marseille, il y a vraiment deux villes : dans le 3e arrondissement, le taux de pauvreté excède 50%. C’est aussi dans ces arrondissements que les logements sociaux sont les plus nombreux. Mais ce n’est pas suffisant.
Pourquoi Marseille a frôlé la carence de logements sociaux ?
Marseille hérite d’une situation. On a l’impression que la nouvelle municipalité est aux commandes depuis longtemps mais le temps du logement est long. Obtenir le terrain, faire des études, trouver l’opérateur, agréer, donner les clés. Ça se joue sur 5, 6, 7… 8 ans. L’Agence nationale de renouvellement urbain (ANRU) a également acté des démolitions d’immeubles, ce qui a fait baisser le parc social. Même si les logements vont être reconstruits, ce n’est pas instantané.
Comment (re)produire du logement social pour répondre aux besoins ?
L’État doit refinancer le logement social. Il faut redonner la main aux bailleurs HLM pour qu’ils puissent redevenir des producteurs de logements sociaux. Ça fait deux quinquennats que l’effort public en termes de logements baisse chaque année. L’État investit dans la rénovation énergétique. C’est très bien, mais pas au détriment de la production de T2, T3, T4 et T5.
Ce n’est pas le tout de financer du logement. Si ce n’est pas accompagné, c’est souvent un échec. Il existe des mesures intéressantes comme l’intermédiation locative. C’est une association qui capte un logement privé, assure le versement du loyer au propriétaire, et permet aux travailleurs sociaux de remettre sur pied les ménages… Ce qui peut parfois être long.
Quel est votre appel général aux pouvoirs publics au nom de la fondation Abbé Pierre ?
Notre appel serait de penser une vaste stratégie d’urbanisme programmateur avec la commune, le Département et l’État. Nous, on est prêts à discuter avec tout le monde… La maire d’Aix, le maire d’Aubagne ou celui de Marseille. [Ce que permet le PLH, adopté le 22 février en conseil métropolitain, Ndlr]
Par contre, tant que l’État déshabillera le logement en général, et ne financera pas des mesures qui permettront au Département d’avoir plus de travailleurs sociaux, à la Métropole d’avoir plus de services comme l’Espace accompagnement Habitat (19, rue de la République) où il y a la queue tous les matins, on ne sortira pas de cette crise par le haut.