La visite d’Emmanuel Macron à Marseille est l’occasion pour Benoît Payan d’aborder l’influence de la Ville dans les décisions stratégiques du Grand port maritime de Marseille, avec en toile de fond la place de Marseille en Méditerranée.
Depuis des décennies, la Ville et le Grand port maritime de Marseille (GPMM) se tournent le dos. Une hérésie pour une ville qui s’est construite autour de son port il y a 2600 ans. Les échanges avec Marseille se sont d’autant plus compliqués avec l’opération d’intérêt national Euroméditerranée, un autre établissement public d’État aux compétences différentes sur la zone portuaire. À cela se sont ajoutés des jeux de postures entre les différentes instances. Soit à peu près tout pour que rien ne fonctionne.
La création de la charte ville-port début 2010, pour structurer le dialogue entre l’autorité portuaire, la municipalité de droite, à l’époque, et les riverains, avec l’État comme garant, n’a pas contribué à améliorer les relations. D’ailleurs, pour Laurent Lhardit, adjoint au maire en charge de l’économie, de l’emploi et du tourisme durable, ce document est devenu « obsolète ».
Cela étant, depuis son arrivée à la tête du Grand Port maritime de Marseille, Hervé Martel tente d’impulser un nouveau dialogue avec la Ville et ses habitants. « Un port qui vit en harmonie avec son territoire est beaucoup plus compétitif, c’est vrai à Marseille, comme c’est vrai à Fos », plaide le président du directoire du GPMM.
« Ça ne peut pas rester un État dans l’État, tel qu’il est aujourd’hui »
La municipalité marseillaise, au même titre que d’autres collectivités, siège au sein du conseil de surveillance. Mais « le strapontin qui est donné depuis des décennies à la Ville de Marseille ne me convient pas, tance le maire de Marseille. Mes prédécesseurs, quelles qu’eussent été leurs sensibilités politiques, se sont toujours plaints du fonctionnement de ce port et de la manière dont les dirigeants du Port ont regardé, traité la ville ».
Il s’agit pour l’édile de « regarder les grands équilibres » afin d’exercer une influence « au nom des Marseillais(es) » dans une instance qui s’étend sur la moitié de la ville et de son littoral. « Je considère aujourd’hui que la Ville ne peut pas être absente des décisions stratégiques qui concernent le port », dit-il avec la volonté de mettre en œuvre « une interface de plus en plus prégnante » entre les Marseillais et le Port. « Ça ne peut pas rester un État dans l’État, tel qu’il est aujourd’hui. Le Port doit appartenir à ses travailleurs et aux Marseillais(es) ».
Le maire de la deuxième ville de France attend ainsi beaucoup de ses échanges avec Emmanuel Macron, à Marseille depuis le lundi 26 juin, pour tenter de « changer de cap sur le Port », où selon lui « on devrait y faire de la stratégie et pas de la gestion économique à la papa, avec les retards et les mauvais résultats que l’on connaît ».
Une année à forte croissance
Or, le port Marseille-Fos continue d’investir massivement dans son développement. Son dernier bilan affiche une année 2022 à forte croissance marquée par des records historiques. 2023 sonne également le coup d’envoi de projets conséquents, toujours avec comme fil conducteur la décarbonation avec un investissement de près de 80 millions d’euros. Il se pose aussi comme pionnier en matière de connexions électriques des navires à quai, en déployant un programme d’investissement de 50 millions d’euros (2017-2025).
Pour le nouveau président du conseil de surveillance du GPMM, Christophe Castaner, l’enjeu est de bâtir un Port à l’image de Marseille en grand, dans la lignée de l’ambition affichée par le Président de la République de faire de Marseille-Fos, la tête de pont d’un axe Méditerranée-Rhône-Saône, comme il l’avait exprimé en septembre 2021, depuis les jardins du Pharo.
Récupérer la taxe foncière
L’argent, le nerf de la guerre, ce changement de cap que souhaite le maire serait surtout un nouveau levier financier aux bénéfices des Marseillais. Dans sa ligne de mire, la taxe foncière dont le port Marseille-Fos est exonéré depuis 1942. Au regard des nombreux bâtiments installés sur les 9 750 hectares que le GPMM possède, les retombées financières représentent des millions d’euros. « Un manque à gagner de 50 millions pour les Marseillais » calcule même le maire.
À la suite d’une directive européenne, le Conseil d’État a décidé de supprimer cette niche fiscale dont bénéficient les grands ports maritimes de France depuis l’après-guerre. « Un alignement sur le droit commun qui aurait pu rapporter, dès 2015, un peu plus de 7 millions d’euros par an répartis entre les communes de Marseille, Fos, Martigues, Port-de-Bouc, Port-Saint-Louis et la Métropole Aix-Marseille Provence, selon une première estimation des finances publiques reprise par la Cour des comptes en 2016 », explique le site Marsactu, dans un article documenté sur le sujet paru en 2019.
À ce jour, l’impôt n’est toujours pas versé. En cause, un amendement sénatorial qui rétablit, en 2015, cette niche fiscale pour les grands ports maritimes, en laissant toutefois la liberté aux communes de la supprimer à nouveau. Toutes les communes, à l’exception de Port-Saint-Louis du Rhône, ont voté des délibérations pour rétablir la taxe foncière.
Entre les parcelles qu’il détient et celles de ses clients, le GPMM a contesté les montants. Après avoir gagné en première instance et perdu en seconde, le Port s’est refusé à tout commentaire sur les suites judiciaires données à ce dossier. « Le Port ne peut pas être simplement un objet financier qui fait de la valorisation foncière et qui essaie à tout grain de protéger un fonctionnement qui aujourd’hui n’a plus lieu d’être. Ça ne correspond plus à ce que je souhaite », ajoute le maire.
En cause également, les différents projets immobiliers ou encore l’implantation des data centers sur l’emprise du port. « Il y a un vrai travail législatif à faire et un travail intellectuel à mener sur le fonctionnement d’un port autonome [créé dans les années 1960, ndlr]. Aujourd’hui, quel sens leur donner et ça correspond d’ailleurs à ce que je souhaite qu’on inscrive avec le chef de l’État ».
Marseille et la Méditerranée
En toile de fond, se joue aussi la place de Marseille dans le paysage méditerranéen. « Depuis trop longtemps, il y a une négation de la Méditerranée et de l’intérêt méditerranéen, exprime le maire. Marseille est une chance, et on doit la penser à l’aune de ce qu’est la Méditerranée et du rôle qu’elle a besoin de jouer en Méditerranée pour le pays, et le Port est un outil qui doit lui permettre de réfléchir à ça. C’est un élément absolument essentiel ».
Quelles marges de manœuvre alors ? Le GPMM reste un établissement public d’État, lequel a invité les collectivités à en partager la gouvernance. Ces dernières sont représentées au sein du conseil de surveillance, tout comme différents ministères de tutelle ainsi que le milieu économique. Et pour Hervé Martel, « c’est ce collectif-là qui a la main. Il ne s’agit pas de faire les uns contre les autres. La Mairie n’a pas la main et ne l’aura pas, car le Port ne sera jamais municipal », nous signifiait-il, lors d’une grande interview.
Et d’insister : « Je pense impulser dans notre projet stratégique une dynamique d’ouverture plus forte que celle qui existait depuis le bien nommé port autonome. Mon boulot, c’est de trouver le consensus pour proposer au conseil de surveillance un projet qui aura la force de l’unanimité du vote ».
Demain, le Président de la République conclura sa visite dans la cité phocéenne avec une séquence prévue dans le Grand port maritime de Marseille. Il devrait y faire quelques annonces, à moins qu’elles n’interviennent dès ce soir lors de son grand discours au fort Saint-Jean, où sera lancé l’acte II de « Marseille en Grand » face à la Méditerranée.