Depuis son arrivée à la tête du Grand Port maritime de Marseille, Hervé Martel tente d’impulser un nouveau dialogue entre l’autorité portuaire, la Ville et ses habitants. Le projet de création de son futur siège illustre cette volonté « d’ouverture plus forte ». 

Complexes. C’est ce qui caractérise depuis de nombreuses années les relations entre le Grand Port maritime de Marseille (GPMM) et la deuxième ville de France, qui s’est pourtant construite autour de ce port il y a 2600 ans. « Ce qui est frappant c’est qu’ils se tournent le dos. Vraiment. Que ce soit avec la municipalité ou avec les habitants », concède bien volontiers Hervé Martel, président du directoire du port Marseille – Fos.

À la tête du port du Havre durant 7 ans, fort de 15 années d’expérience, il s’est étonné de ce rapport particulier dès son arrivée à Marseille au printemps 2019, car dans la ville portuaire normande, « je n’avais pas besoin de l’État pour parler directement au maire », et là-bas « tout le monde s’intéresse au port, à ce qu’il s’y passe, parce qu’il a un frère, un voisin, un cousin qui y travaille. C’est un fait, les Marseillais ne se sentent pas comme appartenant à une communauté portuaire ».

La construction de la charte Ville-Port

Les échanges avec Marseille se sont d’autant plus compliqués avec deux opérations d’intérêt national d’Euroméditerranée, soit deux établissements publics d’État aux compétences différentes sur la zone du port. À cela s’ajoutent des jeux de postures entre les différentes instances. « Il y avait à peu près tout pour que ça ne fonctionne pas », exprime Hervé Martel.

C’est en 2011*, que la charte Ville-Port a été imaginée pour structurer le dialogue entre l’autorité portuaire et la municipalité de droite à l’époque, les riverains, avec l’État comme garant. Elle est née à l’initiative d’Yves Cousquer. Décédé en 2015, l’ancien directeur technique du GPMM, ensuite entré au conseil de surveillance, est l’un des artisans de l’aménagement de l’étang de Berre. Yves Cousquer imagine ainsi un document qui vise à construire « une vision de développement commune de ce territoire » et la recherche de synergies entre espaces portuaires et urbains, avec la distinction entre trois zones : la zone centrale (qui reste un port), l’Estaque-Grand Estaque et le sud d’Arenc.

, Hervé Martel (GPMM) : « Je pense impulser une dynamique d’ouverture plus forte », Made in Marseille

Un document devenu « obsolète » mais « une volonté de travailler ensemble »

Sauf qu’aujourd’hui, « cette charte est obsolète », estime Laurent Lhardit, adjoint au maire, en charge de l’économie, l’emploi et le tourisme durable. La nouvelle majorité municipale a pris ses fonctions presqu’au même moment qu’Hervé Martel. Nouvelles sensibilités et nouvelle manière de travailler de part et d’autre. De nouveaux acteurs à la barre pour tracer un nouveau cap : « On arrive aujourd’hui, je crois, et le maire l’a dit au conseil de surveillance, à une volonté de travailler ensemble, dans le respect de nos compétences, souligne le président du directoire du port. Cela ne veut pas dire être d’accord sur tout, mais se voir régulièrement, échanger et pourquoi pas travailler ensemble sur des projets ».

La réalisation de projets partagés avec la Ville de Marseille est justement inscrite dans la charte depuis son origine. Toutefois, Laurent Lhardit regrette que l’implication de la municipalité ne soit pas plus importante. L’élu prend pour exemple de grandes opérations d’envergure à l’image du J1. « Un port qui agit comme un agent immobilier, ça ne nous va pas ». 

Mais la Ville n’est pas la seule entité publique du territoire qui se sent mise à l’écart des décisions du port. « Le GPMM fait ses affaires », constate le vice-président de la Métropole Aix-Marseille-Provence délégué à la Mer et au Littoral, Didier Réault. Il pointe notamment une « inertie interne » de l’institution portuaire. Elle pourrait en sortir « en s’appuyant sur les collectivités. On peut l’aider à dépasser ses blocages internes. On le souhaite car le Port a un grand rôle à jouer dans l’avenir de la métropole ».

, Hervé Martel (GPMM) : « Je pense impulser une dynamique d’ouverture plus forte », Made in Marseille

« Ça ne sert à rien de passer en force, ce n’est pas comme ça que l’on travaille »

Le GPMM reste un établissement public d’État, lequel a invité les collectivités à en partager la gouvernance. Ces dernières sont représentées au sein du conseil de surveillance, tout comme différents ministères de tutelle ainsi que le milieu économique. Et pour Hervé Martel, « c’est ce collectif-là qui a la main. Il ne s’agit pas de faire les uns contre les autres. La Mairie n’a pas la main et ne l’aura pas, car le Port ne sera jamais municipal », explique-t-il.

Et d’insister : « Je pense impulser dans notre projet stratégique une dynamique d’ouverture plus forte que celle qui existait depuis le bien nommé port autonome [créé dans les années 1960, ndlr]. Mon boulot, c’est de trouver le consensus pour proposer au conseil de surveillance un projet qui aura la force de l’unanimité du vote ».

Le processus de travail autour de la création du futur siège du GPMM illustre cette volonté et marque une nouvelle étape dans la relation Ville-Port. « Faire un projet comme celui-ci contre l’avis d’une collectivité, quelle qu’elle soit (Métropole, Département, Ville, Région ou même l’État), c’est très compliqué. Formellement, on est sur le domaine du Port, c’est le préfet qui signera le permis de construire, il ne déroge à rien. Il y aura un avis des collectivités, ça ne sert à rien de passer en force, ce n’est pas comme ça que l’on travaille ».

Vers une nouvelle charte Ville-Port ?

Dans cette nouvelle approche, la question de réécrire une nouvelle charte Ville-Port se pose. Pour Laurent Lhardit, il y a nécessité à la « renouveler pour la redynamiser. Nous soutenons les projets liés au développement du port, mais pour ce qui est de la zone Nord-Estaque et entre le J0 et le J4 on a besoin de faire autrement. Et le dialogue reste un élément de la charte ».

« Aujourd’hui, le dialogue est présent » juge de son côté Hervé Martel. Même s’il trouve la démarche intéressante, la rédaction d’un document actualisé ne lui semble pas indispensable mais reste une option. « Sur le projet du siège, le dialogue entre le Port, la Ville, la Métropole et l’État s’est fait à l’occasion de réunions spécifiques et on n’a pas utilisé le cadre de la charte Ville-Port pour avancer sur ce dossier, mais ça ne veut pas dire que sur d’autres dossiers ça ne serait pas intéressant. Je suis ouvert à tout ».

Pour lui, le cadre est moins important que le contenu du dialogue et la réalité des échanges. « Ce qui compte, c’est que le dialogue existe, à la fois entre les deux institutions que sont la Ville et le Port, mais aussi directement vis-à-vis des habitants, des riverains, et pas uniquement dans le cadre de concertations obligatoires autour des projets, comme c’est le cas sur le cap Janet, par exemple. De façon générale, si une activité économique n’est pas insérée dans son territoire, elle ne fonctionne pas, encore plus lorsqu’il s’agit d’une activité portuaire. Un port qui vit en harmonie avec son territoire est beaucoup plus compétitif. C’est vrai à Marseille, comme c’est vrai à Fos ».

> Retrouvez notre premier volet : Avec son nouveau siège, le Grand Port maritime de Marseille veut s’ouvrir sur la ville


*En 2011, la commission spécialisée sur l’évolution des bassins Est à l’horizon 2025 propose une vision d’avenir pour les bassins de Marseille, du fort Saint-Jean jusqu’au massif de la Nerthe : cette vision a obtenu le consensus de l’ensemble des acteurs associés et a constitué le socle de la « Charte Ville-Port » signée le 28 juin 2013 par la Communauté urbaine de Marseille (aujourd’hui Métropole Aix-Marseille-Provence), la Ville de Marseille, le Conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur, le Conseil départemental des Bouches-du-Rhône, le Grand Port Maritime de Marseille, Euroméditerranée, la Chambre de commerce et d’industrie Marseille Provence et l’État.

 

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