La Chambre de commerce et d’industrie Aix-Marseille-Provence et le Barreau de Marseille lancent une étude d’impact sur la création de la cité judiciaire annoncée par le Garde des Sceaux en février dernier. Sa délocalisation hors du centre-ville de Marseille inquiète.

« C’est certainement le sujet chaud de 2023 ». Tels sont les mots de Jean-Luc Chauvin, président de la Chambre de commerce et d’industrie (CCIAMP). Cet épineux dossier, c’est celui de la création de la grande cité judiciaire sur un site unique de 40 000 m2, à Marseille.

Attendu pour 2028, ce nouvel équipement doit rassembler le tribunal judiciaire, ainsi que le tribunal de commerce et les prud’hommes. Au total, il devrait accueillir 600 magistrats et fonctionnaires.

Ce vaste projet, évalué à 250 millions d’euros, a été annoncé en février dernier, par le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, parlant d’un « plan Marshall de la Justice à Marseille ». La construction de ce méga-tribunal en est la pierre angulaire, et l’un des axes de Marseille en grand, déployé par le Président de la République, dans la cité phocéenne.

Jean-Luc Chauvin : « C’est une catastrophe »

Vétusté, manque de salles d’audience… Le tribunal judiciaire n’est plus adapté aux normes et aux besoins actuels de la justice. Cette future cité judiciaire veut répondre légitimement à la nécessité de mener une justice du XXIe siècle.

L’identification d’un espace suffisamment important pour accueillir une nouvelle infrastructure suit son cours. Avec des friches encore disponibles et des projets de mobilité en cours, le secteur d’Euromed II paraît tout indiqué et a plusieurs fois été évoqué. « Il y a des discussions sur la délocalisation du tribunal, confirme Euromediterranée, mais aucun projet à l’étude ».

Reste qu’une délocalisation en périphérie du centre-ville inquiète le monde économique. « C’est une catastrophe », s’alarme le président de la CCIAMP, qui sent cette option se confirmer. S’il comprend les besoins justifiés de la justice, il craint un appauvrissement du centre-ville, dont le Palais de justice, au même titre que l’Opéra, la Préfecture ou encore la Banque de France sont des pivots d’activités.

Un centre-ville en sursis ?

Le tribunal judiciaire recense 600 emplois directs, et ce sont près de 1500 avocats qui fréquentent le coeur de ville. Le départ d’une grande partie des acteurs du droit « va créer un taux de vacance massif dans le centre-ville », s’inquiète Jean-Luc Chauvin.

Un préjudice direct sur l’activité du quotidien au sein des différents commerces (cafés, restaurants, boutiques…). Une nouvelle sentence après le mouvement des Gilets jaunes, les confinements successifs liés à la crise sanitaire, l’inflation actuelle et la concurrence du e-commerce. « Cela va entraîner un tsunami en centre-ville qui va détruire un peu plus l’emploi, or on se bat depuis maintenant de nombreuses années pour revitaliser le centre-ville. C’est le cœur, la vitrine d’un territoire. Dans toutes les grandes métropoles, quand le centre-ville ne va pas, le reste ne va pas ».

À titre d’exemple de ce qu’il ne faut pas reproduire, il cite le départ du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône du centre-ville pour Saint-Just, il y a trente ans. « On parle du même sujet ici. Pensez-vous que ça a créé une activité économique autour du bateau bleu ? Ça abîme d’un côté, ça ne crée pas de l’autre », argumente Jean-Luc Chauvin, qui dénonce cette méthode recyclée, qui avait évoqué la possibilité qu’un tel scénario se produise il y a de cela 5 ans.

Une hypothèse rejetée suscitant même quelques éclats de rire. « On sentait avec mes services que l’État se penchait sur la question. Si on avait commencé à travailler sur le sujet, on aurait pu imaginer des solutions pour prévoir d’autres activités en compensation. Là, ça va être brutal ».

judiciaire, Le monde économique plaide pour le maintien de la cité judiciaire dans le centre-ville de Marseille, Made in Marseille
Jean-Luc Chauvin, président de la Chambre de commerce et d’industrie Aix-Marseille Provence, à l’occasion des voeux à la presse, vendredi 27 janvier 2023. © N.K.

La Fédération des commerçants Marseille-Centre « vent debout »

C’est la raison pour laquelle, la CCIAMP a décidé défendre une autre vision, en lançant une étude d’impact, avec le Barreau de Marseille. Elle a pour objectif d’éclairer, « avant la prise de décision », les services de l’État, les collectivités territoriales, le ministre de la Justice, « parce que l’animation des centres-villes ne dépend pas que des politiques locales, elles sont aussi nationales », mais aussi et surtout la Première ministre à laquelle « nous avons proposé nos services avec cette étude ».

Lors de sa venue, il y a quelques mois, dans la cité phocéenne, Elisabeth Borne avait signifié que « rien n’était encore acté », nous confie Guillaume Sicard, président de la Fédération Marseille-Centre, qui rassemble plus de 800 commerçants et associations.

D’où la nécessité de mener cette procédure qui résulte d’une forte demande des commerçants inquiets. « Nous sommes vent debout contre ce projet, affirme Guillaume Sicard. Cette analyse fine va nous permettre de déterminer le réel impact avec des chiffres précis », mais il prédit déjà « des conséquences dramatiques en centre-ville pour tous les secteurs », si le tribunal devait s’installer loin de l’hyper-centre.

La Fédération Marseille Centre a également adressé un courrier au maire de Marseille, Benoît Payan, pour faire état de ses craintes. « J’espère qu’ils sont conscients [les élus] de la catastrophe économique que cela peut entraîner », poursuit son président.

judiciaire, Le monde économique plaide pour le maintien de la cité judiciaire dans le centre-ville de Marseille, Made in Marseille
Rue Paradis, centre-ville de Marseille.

Laurent Lhardit : « Nous voulons le maintien de l’appareil judiciaire en centre-ville »

La position de la Ville est claire et sans appel : « Nous voulons le maintien de l’appareil judiciaire en centre-ville », appuie Laurent Lhardit, adjoint au maire de Marseille, en charge du dynamisme économique, de l’emploi et du tourisme durable. Des discussions dans ce sens sont menées directement avec les services de l’État, notamment sur la réhabilitation des trois bâtiments existants qui composent la cité judiciaire actuelle. « L’État lui-même a des plans de modernisation », ajoute l’élu.

Pour lui, il existe d’autres solutions pour éviter le départ de tout un écosystème judiciaire « qui représente plusieurs milliers d’emplois, d’autant plus que nous sommes dans un contexte d’augmentation de l’effectif judiciaire* de l’ordre de 20 à 30% ». 

La Chambre de commerce et d’industrie planche justement à la faisabilité d’un projet de même envergure que celui souhaité par l’État, en maintenant tout cet écosystème en ville. Elle travaille, par exemple, sur l’emprise foncière. « On démontrera qu’on est capable de faire la même chose en centre-ville sur l’emprise actuelle », affirme le président de la CCIAMP.

Si dans d’autres grandes métropoles, la cité de la justice se trouve parfois en périphérie pour rassembler tous les acteurs du droit, à Bordeaux, à Rouen ou au Havre, le palais de justice est dans le centre-ville. Idem à Paris où le tribunal des Batignolles a été construit en plus du palais de justice en centre-ville.

Création d’une zone franche dans l’hyper-centre

Autre piste évoquée ? Le recours au code de l’urbanisme qui prévoit certaines dispositions. « Elles pourraient même être dérogatoires au PLUI pour des sujets de ce type-là, ajoute Jean-Luc Chauvin. Les collectivités pourraient modifier le PLUi dans ce sens. Peut-être que ça va coûter un peu plus cher de faire en centre-ville pour garder un bâtiment historique et remarquable et de travailler sur les autres bâtiments, mais au final, c’est tout le centre-ville qui va en bénéficier ». Et d’ajouter : « Nous serons résolument opposés à ce projet, sans étude d’impact, sans sauvegarder l’activité économique en centre-ville ». 

Dans le cas où tous les plaidoyers ne permettraient pas de convaincre l’État de renoncer à exécuter son projet en périphérie, Jean-Luc Chauvin, avec le soutien du monde économique, et il l’espère des collectivités locales, plaidera auprès du ministre du Budget pour la création « en extrême urgence » d’une zone franche pour le centre-ville de Marseille. Verdict dans les prochaines semaines…


*Alors que la justice marseillaise compte aujourd’hui 173 magistrats en tout (49 au parquet, 124 au siège), le ministre de la Justice a annoncé en février dernier l’arrivée de 16 magistrats supplémentaires l’année dernière et 6 de plus cette année, pour atteindre un effectif total de 195 (56 au parquet et 139 au tribunal). 

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