La crise liée au Covid-19 met particulièrement en danger le tourisme, secteur majeur de l’économie française. Alors qu’habituellement la saison démarre à la mi-avril dans le Sud de la France, les équipes de Provence Tourisme sont mobilisées auprès des professionnels pour sauver la saison et les emplois menacés.
Avec l’absence des clientèles touristiques, l’annulation quotidienne des évènements culturels, sportifs et d’affaires, le secteur touristique est l’un des plus impactés par la crise sanitaire du Covid-19. Partout dans le monde, tour-opérateurs et hôteliers s’inquiètent de la soudaine baisse de fréquentation des grands sites. L’impact économique s’évalue déjà à une vingtaine de milliards d’euros dans l’industrie du tourisme et du divertissement en France. Qu’en est-il sur le territoire ?
Avant la réunion téléphonique prévue ce jour entre Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères et les différents acteurs du tourisme de la région, Isabelle Brémond, directrice générale de Provence Tourisme, en charge du tourisme pour le département des Bouches-du-Rhône apporte des premiers éléments de réponse sur les conséquences de cette crise.
Que pèse habituellement la filière touristique dans notre région en terme de retombées économiques ?
En Provence-Alpes-Côte d’Azur, les recettes du tourisme sont estimées à 18,9 milliards d’euros, soit 12,5% du PIB régional. Les touristes dépensent habituellement un peu plus de 16 milliards d’euros. L’hébergement secondaire dans la région est valorisé à hauteur de 2,7 milliards d’euros (soit 15% de la consommation touristique globale). Dans les Bouches-du-Rhône, la consommation touristique intérieure, c’est-à-dire les dépenses réalisées par les touristes sur l’ensemble de l’année, sont évaluées à 2,7 milliards d’euros.
Pour l’heure, à combien sont évaluées les pertes ?
Nous sommes dans une phase d’état des lieux, nous n’avons pas encore le chiffre pour la région, mais en ce qui concerne le département, si ¼ des dépenses ne sont pas réalisées, les pertes s’élèvent à 675 millions d’euros.
On rentre dans une période qui va être très délicate, sachant que la première partie de l’année, qui va jusqu’à mars, représente habituellement celle où nous enregistrons le moins d’activité dans le département des Bouches-du-Rhône. Cela représente 14% des nuitées de l’année. Dans l’hôtellerie ces trois mois représentent 17% des nuitées totales et huit clients sur dix sont Français. La saison démarre habituellement à Pâques vers le 12 avril, de ce fait la phase critique arrive.
On peut aussi noter un manque à gagner sur la taxe de séjour de plus de 2,7 millions d’euros dans le département. (Elle s’élevait à 11 millions d’euros en 2019).
Il faut vraiment accompagner les professionnels pour « sauver » ce qui peut l’être du manque à gagner pendant l’été, la haute saison.
Vous parliez d’état des lieux. Comment travaillez-vous pour mesurer l’impact de la crise sur ce secteur d’activité ?
On est en veille tout le temps pour dresser un état des lieux puis établir un plan de relance. Essayer de construire du positif pour demain.
Nous travaillons également avec « Flux vision tourisme ». C’est un outil qui a été développé par Orange, utilisé par de nombreux départements et qui permet d’avoir en temps réel des volumes de fréquentation et la mobilité sur le territoire à partir de lignes mobiles. Des chiffres que l’on redresse avec les autres opérateurs.
Pour cette phase d’état des lieux, nous avons partagé au sein de l’équipe tous nos fichiers contacts et nous appelons tous les acteurs du tissu économique touristique mais aussi les acteurs de la culture et les organisateurs d’événements. L’important est de continuer à entretenir le lien avec nos partenaires, savoir comment ils vivent cette période et ce qu’ils attendent aussi de nous, institutionnels, et de l’Etat, afin que l’on puisse faire remonter toutes ces informations au plus haut niveau.
Quels sont les premiers retours du terrain ?
Dans le secteur du tourisme, il y a, à la fois, les activités caractéristiques traditionnelles avec l’hôtellerie, la restauration… et là évidemment les taux d’occupation se sont effondrés, mais il y a aussi tout ce qui est lié à l’événementiel… Notre département est une terre de festivals et de manifestations par excellence. Il y a une multitude d’annulations. Ça a commencé par la feria d’Arles ; Manifesta est reportée, le congrès mondial de l’IUCN aussi…
C’est assez catastrophique. Ce sont près de 50 millions de nuitées sur le printemps qui pourraient ne pas se réaliser dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, dont 11 millions dans les Bouches-du-Rhône.
Il y a aussi un impact direct sur les emplois.
Il y a un effondrement sur toutes les activités. Si on prend tous les segments (restaurants, hôtels, agriculteurs…). Les agriculteurs font face à une pénurie de personnel dans les champs et ne savent pas où distribuer leurs produits. Il y a des activités moins visibles dans le tourisme : ce sont les auto-entrepreneurs, en dehors des écrans radars et il y en a beaucoup, comme des guides conférenciers, mais pas seulement. « L’ubérisation » de la société a été très forte dans le tourisme. De fait, il y a de grosses entreprises qui emploient des jeunes sur des contrats d’auto-entrepreneurs… Les conséquences sociales sont extrêmement lourdes pour eux.
Qu’est-ce que cela représente en termes de chiffres ?
Notre secteur touristique est constitué d’un tissu économique de plus de 25 000 entreprises dans l’hébergement, la restauration, les transports ou encore les activités de services de loisirs sportifs et culturels. 118 000 emplois sont liés au tourisme dans la région. Ces emplois varient de 90 000 emplois en hiver à 160 000 en été. L’emploi salarié touristique représente 6,2% des emplois salariés de la région.
Les emplois touristiques sont évalués à 28 600 dans les Bouches-du-Rhône (25 000 dans la métropole) allant de 20 000 emplois en hiver à 38 000 au plus fort de la saison.
Il n’y a pas encore d’estimation précise du nombre d’emplois qui seront impactés par la crise en Provence-Alpes-Côte d’Azur, toutefois le représentant national des stations de montagne évoque le chiffre de 80%.
Un dispositif spécifique a-t-il été mis en place pour répondre aux demandes du terrain ?
Un réseau a été créé il y a quelques semaines « ADN » né de la fusion de « Tourismes et Territoires », pour les départements, « Destinations Régions » et Offices de Tourisme de France [Isabelle Brémond est vice-présidente du réseau national et membre du bureau de cette nouvelle fédération, ndlr]. Nous sommes régulièrement en relation avec le ministre du tourisme, auquel nous faisons remonter les demandes du terrain qui n’avaient pas encore été repérées pour trouver des solutions.
Nous avons proposé, par exemple, que les 1500 euros nets directs évoqués pour soutenir rapidement les entreprises en grande difficulté soient aussi versés aux auto-entrepreneurs. Je pense que c’est possible car on est dans un modèle assez itératif. Les choses avancent vraiment pas à pas. Il faut vraiment, dans l’urgence d’abord, venir en aide aux petites entreprises, souvent seules, sans trésorerie et sans activité…
Quelles sont les mesures actuelles mises en oeuvre pour soutenir le secteur ?
Au-delà du plan général de soutien aux entreprises, le Gouvernement a publié plusieurs ordonnances. Ce 26 mars 2020, avec deux mesures spécifiques pour soutenir le secteur du tourisme : la délivrance « d’avoir » plutôt que le remboursement des clients pour alléger la trésorerie de nombreux professionnels du tourisme fortement impactés. L’ordonnance permet aux professionnels du tourisme de proposer à leurs clients la délivrance d’un avoir valable 18 mois, en lieu et place du remboursement, correspondant à la totalité des sommes versées lorsque le voyage ou le séjour ne peut être fourni en raison des mesures prises, compte tenu de l’épidémie du coronavirus. Ce dispositif s’applique aux annulations intervenues entre le 1er mars et avant le 15 septembre 2020 inclus [Voir l’ordonnance relative aux conditions financières de résolution de certains contrats de voyages touristiques et de séjours en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables ou de force majeure.]
Pour vous accompagner dans la mise en œuvre de cette mesure, les fédérations professionnelles du secteur ont également mis à jour leurs dispositifs d’information et conseil à leurs membres : Entreprises du voyage, l’Unat, l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH), le Groupement national des indépendants hôtellerie et restauration (GNI) et la Fédération nationale l’hôtellerie de plein air (FNHPA).
L’autre porte sur l’adaptation des procédures d’immatriculation, de classement et de labellisation durant la période d’urgence sanitaire. La situation de crise inédite que traverse le secteur du tourisme nécessite d’adapter de manière transitoire les dispositifs d’immatriculation, de classement et de labellisation dont Atout France a la charge.
La Région va débloquer 1,2 milliard pour un plan de relance. Le Département travaille-t-il aussi sur cette question ?
Le Département va proposer un plan de relance avec un soutien direct aux entreprises, qui s’affine en ce moment, avant sa mise en place. Il interviendra en complémentarité de ce que font la Région et l’Etat. Il y aura également un plan de relance tourné davantage sur la communication, autour du tourisme et de l’événementiel, pour retravailler encore plus fort avec la clientèle française qui, après cette expérience, ne voudra sans doute pas voyager à l’étranger et qui pourrait être mobilisée pour venir sur nos territoires. Les contours de ce plan seront précisés prochainement.
Comment communiquez-vous sur les mesures de soutien aux entreprises au niveau départemental ?
On envoie une newsletter à nos 8000 partenaires pour leur faire remonter des informations que nous jugeons utiles pour répondre aux besoins qu’ils expriment au cœur de la crise. Il y a des réponses que l’on peut apporter via des dispositifs qui existent, et on leur transmet l’information qui les concerne.
On fait le lien aussi avec d’autres partenaires, notamment à la Chambre de commerce et d’industrie Aix-Marseille Provence, qui est le guichet unique des entreprises durant cette crise. Nous, on ne réinvente rien, on soutient et on mutualise ce qui marche bien. Si un sujet n’est pas traité, on peut éventuellement s’en occuper, mais surtout on ne fait pas de doublon, c’est impératif !
Selon vous, se dirige-t-on vers un nouveau modèle touristique post-Covid-19 ?
Cela fait des années que l’on prône un tourisme équilibré, respectueux des habitants, qui ne met pas en péril l’environnement, sans sur-fréquentation, revenir à des choses plus simples, authentiques et plus naturelles aussi, et je pense aux circuits courts, qui sont en train de se développer ces dernières semaines. Nous devons profiter et consommer les produits de grande qualité que nous proposent les agriculteurs et artisans de notre territoire. C’est une prise de conscience à partager, pour qu’on vive mieux, tous ensemble et différemment. Et le tourisme c’est aussi, selon moi, un outil pour aller dans ce sens.