Il y a un an, trois immeubles s’effondraient rue d’Aubagne, prenant la vie à huit personnes au coeur de Marseille et mettant sous le feu des projecteurs la situation du logement indigne dans la 2e ville de France. Alors que se prépare une semaine de mémoire et d’hommage, nous avons décidé de consacrer plusieurs articles au quartier Noailles. Troisième volet aujourd’hui avec notre enquête sur l’avenir d’un quartier sinistré.
Après les effondrements rue d’Aubagne, le 5 novembre dernier, l’école d’architecture de Marseille en collaboration avec les habitants, se sont lancés dans une réflexion pour offrir une nouvelle vie au quartier de Noailles. Différents projets ont émergé. Tour d’horizon.
Quelques mois après l’effondrement des immeubles rue d’Aubagne, au-delà des questions relatives aux responsabilités, les interrogations sont survenues quant à l’avenir de ce quartier populaire à forte identité, et sur le trou béant laissé aux 63 et 65 rue d’Aubagne. « Très vite, les gens se sont posés cette question. Ce qui ressortait, c’est qu’ils ne voulaient pas de nouvelle construction ici. Plutôt un espace de vie et de commémoration pour les personnes disparues, un espace ouvert, public… », nous confiait en avril dernier, Marie Batoux, qui participait aux premières réunions citoyennes à la suite du drame.
« Pourquoi à Marseille, le centre-ville connaît une telle déshérence ? »
S’il était à l’époque encore prématuré pour déterminer un projet global, quelques pistes de réflexion ont tout de même été lancées par les étudiants de l’école d’architecture de Marseille, sous la direction de Matthieu Poitevin et Philippe Moncomble, et sur la base d’un travail mené quelques mois auparavant.
Un an avant le drame du 5 novembre 2018, des architectes marseillais avaient, en effet, entamé une étude sur les problématiques du centre-ville de la cité phocéenne avec une question centrale : pourquoi à Marseille, deuxième ville de France, le centre-ville connaît une telle déshérence ? « Comparativement à des villes comme Bordeaux, Lille ou Lyon, notre centre se paupérise à toute vitesse », note Matthieu Poitevin, architecte marseillais du cabinet « Caractère spécial § », et enseignant à l’école d’architecture. « Sont ensuite venus s’ajouter les événements du 5 novembre, et après ça il était impossible que l’école et les architectes ne soient pas force de propositions », pour dessiner un nouvel avenir à ce quartier.
Le bien commun : impérieuse nécessité
C’est ainsi que différents projets pensés par 14 étudiants ont vu le jour, sur l’ensemble de Noailles, avec en fil conducteur, la création du bien commun comme une impérieuse nécessité.
Un travail réalisé en concertation avec les habitants du quartier, premiers concernés. « Cette démarche est un bon exemple de ce que nous pouvons faire ensemble », souligne Kévin Vacher, sociologue et membre du Collectif du 5 novembre.
« Le mot d’ordre, c’est que l’urbanisme ne se fera pas sans nous », insiste à son tour Laura, habitante du quartier et également membre du Collectif du 5 novembre. « On souhaite être vraiment partie prenante en tant que commanditaires, car nous sommes les mieux placés pour savoir ce dont on a envie, quel est le mode de vie souhaitable dans le centre-ville ».
Si la résorption du logement indigne reste une priorité, les habitants pointent du doigt le manque criant d’espaces et de lieux communs, « créatifs, récréatifs, verts, sociaux… des espaces gérés par la population. À titre d’exemple, le quartier de Bonneveine, identique en termes de nombre d’habitants, dispose de trois écoles de musique, quand Noailles n’en compte aucune ».
Un lieu de vie, après la mort
Dans cette droite ligne, parmi les projets imaginés, d’abord au niveau du trou laissé béant par les immeubles effondrés, un espace vert pourrait voir le jour. « Ce creux a généré un passage possible sur la partie arrière des immeubles et permettrait d’y voir un grand jardin. C’est toujours un moyen agréable de révéler ce cœur d’îlots, pour offrir un moment calme, qui pourrait profiter à tout le monde et s’imposer comme un endroit qui n’existe nul part ailleurs », explique Matthieu Poitevin.
Le site et ses murs pourraient également se métamorphoser en un lieu de projections ou de cinéma en plein-air, à l’image de la soirée organisée, lundi 4 novembre en hommage aux victimes. « Il faut en faire un lieu actif et non passif, en faire un lieu de vie et non de mort », ajoute l’architecte marseillais.
«Des chemins de traverse » à « l’accueil sacré »
Sur l’ensemble du quartier, une réflexion a été menée sur ces zones hors de la vue des passants mais à fort potentiel, avec l’idée de faire jaillir ces cours cachées intérieures, ces parties arrières invisibles pour l’heure ou encore faire des doubles orientations des logements… « il s’agit d’une opération de nettoyage et de réouverture des endroits aujourd’hui aveugles, pour révéler les qualités intrinsèques et les capacités de ce quartier ».
Le diagnostic de l’existant a également permis de mettre en lumière la grande vacance dans les rez-de-chaussée des immeubles. Rassemblés, ils pourraient permettre la création d’une école, dont le quartier est dépourvu aujourd’hui.
Sur une partie des îlots est même envisagé un hôtel, « qui peut fonctionner comme un riad méditerranéen », ou encore transformer l’église en lieu d’accueil, avec la création de petits studios, dédiés aux personnes en difficultés.
Puis, à proximité de la Halle Delacroix, sur une partie des immeubles abîmés, une maison de l’artisanat pourrait trouver sa place. Les différents corps de métier qu’elle abriterait auraient toute leur utilité pour réaliser des travaux dans le quartier.
Autre site repensé : l’ancien siège de FO situé au-dessus du métro, près de la passerelle. « Un bâtiment incroyable dont tout le monde se fout », peste Matthieu Poitevin.
Noailles, un démonstrateur du Marseille de demain
Il y verrait bien des thermes et même une piscine. « C’est un assez joli projet je trouve », s’enthousiasme-t-il, avec l’espoir que Noailles devienne un élément démonstrateur de ce que doit être le Marseille de demain. Et ça passe aussi pour l’architecte par la valorisation des espaces publics, avec un sol « traité avec soin ».
Promoteurs et bailleurs sociaux se sont associés à cette réflexion, à l’instar d’Ogic, Icade, Logis provençal… ou encore l’Etablissement public foncier. « Cette démarche a été très fédératrice et continue de l’être », assure Matthieu Poitevin, qui note aussi le soutien de la Région Sud et de la mairie du 1/7 arrondissement.
« Il faut savoir laisser la ville advenir, ce qui suppose qu’il faut lui faire une place pour qu’elle advienne ».
Sabine Bernasconi, maire (LR) de secteur, estime d’ailleurs que ces pistes « sont très intéressantes. Il y a là un intérêt certain à voir ce qui a été conceptualisé, et le parc est déjà une idée à approfondir. Pour l’heure, rien n’est possible, mais pour que la décision fasse corps, elle devra être prise dans la concertation, avec l’ensemble des Marseillais et les forces vives du quartier de Noailles. C’est en tout cas notre état d’esprit ». Une position partagée par Martine Vassal, présidente de la Métropole Aix-Marseille-Provence, qui nous confiait il y a quelques mois : « C’est à la population de trancher, pas à moi. Mais je pense que cet endroit là, il faut le sanctuariser ».
Un lieu fertile pour une ville plus poétique
Pour construire ce futur quartier de vie, architectes et habitants convergent sur la même idée selon laquelle seule de l’implication de ces derniers pourra naître un projet global, adopté par tous les Marseillais. « On n’attend pas un cadeau de Noël. On veut s’impliquer et être reconnus comme acteurs de la cité, redonner tout son sens à l’habitant, c’est-à-dire, celui qui façonne la ville par son empreinte originale. Nous ne sommes pas seulement là pour payer notre taxe d’habitation et mettre un bulletin dans l’urne tous les six ans », soutient Laura. « Dans ce quartier, on pourrait même gérer une coopérative immobilière, de la gestion comptable aux petits travaux, ça résorberait le chômage, il y a plein de choses à faire ici… »
Les projets proposés ont pour vocation à faire de Noailles un lieu fertile pour dessiner une ville plus poétique, « dans le sens de faire une ville plus humaine », exprime l’architecte. « Il faut savoir laisser la ville advenir, ce qui suppose qu’il faut lui faire une place pour qu’elle advienne », c’est le sens même du travail qu’il mène.
Il espère que cette vision ne viendra pas se heurter la technocratie qui « empêche de rêver. Il est temps qu’on se remette à rêver, je n’ai pas envie de vivre dans un monde sans rêves, je refuse de m’ennuyer », conclut Matthieu Poitevin, qui veut voir Marseille et son cœur de ville faire rêver.