Construite en 1973, la cité de la Savine dans les quartiers Nord de Marseille comptait 1391 logements à son origine. Aujourd’hui, il n’en reste que 593. En 2021, il ne restera plus aucun logement d’origine dans la partie haute, seuls les 104 logements de la « Petite Savine » située dans le vallon subsisteront. Le quartier s’efface peu à peu, son histoire semble de plus en plus appartenir au passé.

La Savine est une forteresse. Un ensemble de blocs de béton juché au sommet d’une colline sur laquelle serpente une route. Une voie unique qui sert d’entrée et de sortie. Aux abords de la cité, un jeune homme au visage dissimulé surveille les allers et venues. Le bus n°30 qui relie la Savine au métro Bougainville lui passe à côté et termine son voyage au pied du bâtiment J. Celui-ci est vide, nu, il n’en reste plus que la structure. Des grues grattent son toit pour le déconstruire. À la fin de l’été, il n’en restera plus rien. Viendra ensuite le tour des bâtiments G, H, I, K, D et E. En 2021, il ne devrait plus y avoir d’immeuble d’origine sur le plateau.

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Le bâtiment J de la cité de la Savine © HL

À leur place, deux résidences de logements sociaux ont d’ores et déjà été construites : la Couronne et la Mûre. Au total, 145 appartements où vivent d’anciens locataires de la Savine. Un programme immobilier neuf en accession à la propriété baptisé Terra Nova verra le jour fin 2020. 33 appartements à des prix oscillants entre 64 900 € à 162 000 € du T1 au T4. Un programme de parc locatif libre suivra. Et si pour le moment rien n’est acté pour remplacer tours de la Savine, des idées de programmes immobiliers mixtes (avec du social et du non-social) sont avancées par plusieurs acteurs locaux : Marseille rénovation urbaine, Soleam, Logirem…

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Le programme Terra Nova de logements en accession à la propriété © Personnic

À 10 ans les premiers travaux, 20 ans les premières démolitions

L’histoire de la Savine a débuté en 1973, année de livraison de cette résidence composée de onze immeubles, 34 cages d’escaliers et 1391 logements. À peine dix années plus tard, les premiers défauts de ces constructions effectuées à la hâte apparaissent. Une première vague de rénovation est mise en place, mais n’évitera pas la démolition des bâtiments B et C en 1993. Ils sont effacés du paysage en raison d’un « taux de vacance trop élevé », nous explique Françoise Mesliand, directrice territoriale et responsable du renouvellement urbain à la Logirem, gestionnaire du parc locatif de la Savine. Depuis, les destructions n’ont jamais cessé, faisant baisser le nombre de logement de 1391 à 593 aujourd’hui.

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De gauche à droite, la Savine à travers les ages : 1985, après les premières démolitions en 1993, en 2015, en 2021 (montage). © Marseille rénovation urbaine et Google

Le traumatisme du bâtiment A

Un épisode a particulièrement marqué les habitants de la Savine : la démolition du bâtiment A, en 2010. « Le A, c’était le meilleur bâtiment de la cité. Comme il était surélevé à l’entrée du quartier, on le voyait depuis l’autoroute, il était toujours entretenu. Les gens étaient scandalisés qu’on le détruise », se souvient Mohamed Mbaé dit « Soly », arrivé à la Savine en 1989. Soly dirige l’association Sound Musical School B.Vice qui fait de la prévention de la délinquance par la culture. B.Vice, c’est aussi le nom du groupe d’Ibrahim Ali, jeune Savinois tué par des colleurs d’affiches du Front National en 1995.

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Mohamed Mbae dit « Soly », directeur de Sound Musical School B.Vice © HL

En presque 30 ans, Soly a observé de près toutes les mutations du quartier. « Il faisait super bon vivre ici avant, il y avait une grande solidarité entre les Savinois. De grandes fêtes communautaires asiatiques, maghrébines, africaines étaient organisées, cela permettait d’apprendre à se connaitre, à s’aider », se souvient-il. Salem Chaib-Eddour est arrivé à 8 ans, en 1973, à la Savine. Il a d’abord vécu à la tour K, puis au bâtiment J et maintenant à la Mûre. Salem est aussi nostalgique : « Il y avait tous les commerces possibles, des services publics, beaucoup d’enfants et même une fois par an une fête foraine qui s’installait pendant une semaine ! ». Aujourd’hui, il n’y a plus le moindre commerce à la Savine, la première boulangerie se trouve en bas de la colline, à l’entrée du chemin du Vallon des Tuves.

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Salem Chaib Eddour, résident de la Savine depuis 1973 © HL

L’épineuse question du relogement

En 2010, au moment de la démolition du bâtiment A, il est décidé que tous les immeubles de la Savine « haute » seront rayés de la carte. « Nous avons découvert, à cette époque, que les bâtiments étaient pleins d’amiante, leur rénovation aurait été beaucoup trop chère. Les gens qui souhaitaient rester ont pu être relogés dans un rayon restreint », précise Nicolas Binet, directeur de Marseille rénovation urbaine. Il estime également que « la moitié des gens voulait rester et l’autre moitié voulait partir ».

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Le bâtiment D sera parmi les derniers démolis, en 2021 © HL

De quoi faire bondir de son siège Rachida Tir, ancienne locataire du bâtiment A, restée un temps seule, en résistance, dans son immeuble avant sa destruction. Aujourd’hui suppléante du député Saïd Ahamada (LREM), elle s’exprime « en tant que fondatrice de l’Alliance Savinoise », une association d’habitants du quartier : « Les gens ont été délogés ici, ils ne voulaient pas s’en aller ». Soly Mbaé va également dans ce sens : « On a sommé les gens de partir, ils n’en ont pas envie. Ils le font par manque d’information sur leurs droits. Et puis, ils se disent qu’on les a fait vivre dans l’amiante jusqu’ici, alors pourquoi partir du jour au lendemain ». Ce à quoi, Françoise Mesliand de la Logirem répond : « je comprends le sentiment de souffrance des habitants. Je constate aussi que l’immense majorité des relogés sont satisfaits, personne ne nous dit « Je veux retourner à la Savine » ».

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La Savine jouit d’un cadre exceptionnel à deux pas du massif de l’Étoile © HL

Recentrer le quartier sur le Vallon des Tuves

« Sur les bâtiments de 1973, il ne restera que le F c’est-à-dire les logements de la Petite Savine », livre Aurélien Olmos, chef du projet de la Savine chez Marseille rénovation urbaine. La Petite Savine, ce sont 104 appartements situés dans le vallon en contre-bas du plateau de la Savine. C’est là que s’écrit le renouveau du quartier. Un centre social flambant neuf avec une crèche doit voir le jour dans le bas du boulevard de la Savine, tandis que la voirie se refait une beauté. Pour rejoindre le plateau haut, la construction d’un escalier est prévue pour affronter le dénivelé de la colline. À l’entrée du chemin du Vallon des Tuves, un petit noyau villageois va s’établir avec des constructions de logements sociaux et l’implantation de commerces.

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Le futur complexe accueillant la crèche et le centre social au pied de la colline © Adrien Champsaur Architecture

« Nous voulons recentrer la vie de quartier sur le bas, c’est-à-dire le Vallon des Tuves », affirme Marc Esposito, en charge du projet de la Savine à la Société locale d’équipement et d’aménagement de l’aire métropolitaine (Soleam). « Nous voulons également désenclaver le quartier en construisant une nouvelle route d’accès qui passera par la Petite Savine et aménager le parc du canal qui se trouve à flanc de colline », poursuit-il. Le cœur du quartier se déplace. Le parc du canal doit servir de ciment entre la Savine et le Vallon des Tuves. En haut de la colline, des équipements sportifs et une aire de pique-nique verront le jour une fois les derniers bâtiments détruits. « Pour le moment, rien n’est prévu à la place des immeubles mais on peut très bien imaginer des programmes immobiliers moins denses qu’avant bien évidemment et avec de la diversité », avance Nicolas Binet de Marseille rénovation urbaine.

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Plan de l’avant-projet d’aménagement de la zone Vallon des Tuves / Savine mis à jour le 20/10/2017 © Soleam

« Entre tristesse et colère »

S’ils se définissent comme Savinois avant d’être Marseillais, certains habitants regardent surtout avec nostalgie ce qui ressemble à une disparition programmée de leur quartier. Ils regrettent notamment qu’à ce jour, aucun projet baptisé « Savine » ne soit imaginé. « Je suis constamment entre tristesse et colère. On veut gommer une histoire, un quartier », confie Soly Mbaé avec émotion. Salem Chaïb Eddour est lui aussi mélancolique : « Chaque fois que je vois d’anciens habitants, on parle de l’époque passée, ça évite de penser aux problèmes du présent ».

Un sentiment de nostalgie transparaît chez de nombreux habitants de la Savine. Souvenir d’une vie de quartier qui n’existe plus et que le temps a peut-être aussi enjolivé. C’est aussi le résultat de bientôt 30 ans de destructions successives, de relogements et de travaux qu’ils ne perçoivent pas forcément comme leur étant destinés. C’est enfin le goût étrange que leur laisse parfois la mutation et l’amélioration complète d’un quartier dont leur cité dégradée s’efface progressivement.

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