Le président de l’Olympique de Marseille est intervenu dans un forum économique pour parler sport, éthique et entrepreneuriat. Rôle de l’OM dans la ville, moralité dans le foot professionnel, proximité entre innovation et dopage, Jacques-Henri Eyraud s’est révélé en professeur philosophie morale, fan de Kant et Spinoza.
C’est en véritable «docteur ès » philosophie que Jacques-Henri Eyraud, président de l’Olympique de Marseille, s’est adressé à une assemblée d’acteurs économiques locaux. Ils étaient réunis au centre d’entraînement Robert Louis-Dreyfus de l’OM vendredi 12 avril dans le cadre du Club Éthic-éco, organisé par l’Ordre régional des experts-comptables. Sa thématique : « Sport, Ethique & Entrepreneuriat ».
Dans une ambiance de cours magistral devant un public conquis, le président de l’OM n’a pas hésité à invoquer Spinoza ou Kant pour appuyer un propos bien loin des questions sportives du club marseillais. Morceaux choisis.
Le lien entre économie, foot et joie ? C’est Spinoza !
« Parler philosophie, ça arrive dans un club de foot aussi ! », affirme Jacques-Henri Eyraud, se présentant comme un amateur des grands penseurs. Spinoza d’abord, et son éthique de la joie qu’il met au centre de la relation entre l’OM, Marseille, et l’économie.
« Qui d’autre rend plus heureux que l’OM à Marseille ? », questionne le président, avant d’anticiper les réactions : « le problème, et notre grande responsabilité, c’est qu’il nous arrive aussi de rendre les Marseillais malheureux… »
Démontrer que l’OM est le principal fournisseur de joie et de tristesse à Marseille n’est pas le plus compliqué. Mais quel rapport avec la dynamique économique de la ville ? « La joie cultive la puissance d’agir», répond-il en citant Spinoza, « plus on est heureux, plus on vit, plus on agit ». Consommation, travail, entrepreneuriat, le patron du club sous-entend que les performances des olympiens impactent directement l’économie de la ville.
« Vous avez tout intérêt à ce que l’OM réussisse ! Un intérêt direct à nous aider à rendre les Marseillais heureux », lance-t-il à l’assemblée qui compte des grands acteurs économiques du territoire et des décideurs politiques, dont Mohamed Laqhila, député LREM de la 11e circonscription des Bouches-du-Rhône et ancien président de l’Ordre des experts-comptables.
Il rappelle enfin, sondage à l’appui, que l’OM contribue autant, si ce n’est plus, que le Vieux-Port ou la Bonne Mère, au rayonnement national et international de la ville.
Fraude, agents, valeurs… Inviter Kant dans le sport et l’entreprise
« Je n’ai pas envie de faire l’actualité judiciaire », lance Jacques-Henri Eyraud sur le ton de l’évidence, laissant entendre que les fraudes et malversations qui entachent le football, et ont déjà éclaboussé le club marseillais, n’auront pas lieu sous sa direction. « Je représente l’OM et nous avons un devoir d’exemplarité pour lequel je m’inspire de Kant et son éthique du devoir. »
Un club de football ne manque pas de problématiques à prendre en considération. Le recrutement, d’abord, avec le monde sulfureux des agents. Alors qu’il avait rapidement établi une liste noire de ces businessmen peu scrupuleux en arrivant à la tête du club, le président a tenu des propos particulièrement durs au sujets de ceux qui spéculent sur les plus jeunes talents. « C’est la peste de notre sport. Des enfants de 9 ans sont pourchassés par de sombres individus qui promettent monts et merveilles aux familles. À l’OM, on préfère respecter une forme d’éthique, quitte à passer à côté de certains talents. »
C’est autour des jeunes que Jacques-Henri Eyraud avance plus volontiers pour mettre en oeuvre « l’éthique du devoir et de l’exemplarité ». Il n’hésite pas à critiquer le comportement « scandaleux » des parents au bord du terrain. « Ce serait une grande avancée si les parents prenaient en compte les valeurs du sport ». Ces valeurs que le président encourage à transposer dans l’entreprise : l’humain, le respect, l’esprit d’équipe.
« Il faut être plus sensible à la présence du racisme dans les stades qu’à celle des fumigènes »
Si les parents sont directement critiqués, certaines instances du football le sont indirectement quand, en parlant d’éthique, il aborde un autre fléau. « Il faut être plus sensible à la présence du racisme et de l’homophobie dans les stades qu’à celle des fumigènes. Même si au Vélodrome, il n’y a pas les problèmes de racisme que l’on voit dans d’autres stades comme à Lyon. Pour nous, c’est Zéro tolérance là-dessus ». Une pique à demi voilée envers la Ligue de Football Professionnel et les sanctions à répétition contre les fumigènes des supporters marseillais.
En partenariat avec le Camp des Milles, le club a d’ailleurs lancé il y a quelques mois une campagne inédite de sensibilisation auprès de ses jeunes joueurs.
Quand l’éthique se confronte au foot moderne ultra-compétitif
De l’intelligence artificielle à « l’homme augmenté », la révolution technologique a déjà fait sa place dans le sport selon le président de l’OM, et pose son lot de questions éthiques. « Aujourd’hui, on a des ligaments synthétiques qui sont plus performants que les ligaments naturels. La médecine adopte chaque jour une nouvelle technologie qui améliore les performances athlétiques. À quel moment ça devient du dopage, de la triche ? ».
Big Data pour l’analyse des adversaires, « brain doping » pour travailler la plasticité cérébrale et la rapidité de décision, les technologies tiennent désormais une place incontournable pour performer dans la compétition, soulevant souvent des questions de moralité. « Quand on sait que le laboratoire d’innovation du FC Barcelone travaille sur le décryptage du génome de Messi. On va recruter sur génome à l’avenir ? Certains clubs stimulent des zones cérébrales des joueurs avec des décharges électriques pour améliorer la rapidité de prise de décision. Quelle est la limite à tout ça ? »
Des questions que Kant et Spinoza n’avaient pas anticipées.
On demande à tous ces joueurs – de la plus petite équipe de championnat aux stars des équipes de ligue 1 – « de produire » du spectacle. A tout prix. Pour le plus grand bien des « producteurs de foot » qui voient les rentrées d’argent au gardiennage d’un goal ou au dreeble d’un joueur, à sa vitesse, à sa vision du jeu et aux passes savantes qui seront à l’origine de buts mythiques. De fait, ils n’ont pas droit à l’erreur (et là, ce n’est rien) ou à la crampe ou la blessure. Celle-ci ne manquant pas de se produire lorsque les rythmes sont trop soutenus. Les orientaux marchent pour courir loin et vite. Ici ? On court pas loin et pas longtemps car ? On veut trop en faire et aller aux bouts des compétitions. Ce qui est incompatible. Ces hommes, ces Femmes -dans leur discipline respective- ne sont pas des robots. Et tout le monde devrait s’en souvenir. Surtout lorsque l’on est confortablement installé(e) dans son fauteuil.