Zones franches, grand port maritime, autoroutes… De plus en plus d’entreprises choisissent le nord de Marseille pour s’implanter. Pourtant, les retombées ne se font pas encore ressentir pour les habitants. Pour ce premier épisode de notre semaine consacrée aux quartiers nord, nous avons rencontré Christian Cortambert, président du réseau d’entreprises Cap au Nord Entreprendre.
Le dossier du mois ?
Chaque mois, durant une semaine, made in marseille explore une thématique de la ville. Un article par jour pour explorer les différents aspects d’une grande problématique.
Cette semaine, les quartiers nord sont à l’honneur. Noyaux villageois et grandes cités, pôles d’innovation, économiques et industriels, placés entre le plus grand port de France et deux grandes autoroutes, le potentiel de cette zone de Marseille et bien plus riche et complexe que les faits-divers ne le laissent entendre. Culture, agriculture, économie, entreprise, chaque jour, nous mettrons en avant une parole ou une initiative qui fait bouger le nord de la ville.
Cap au nord pour l’économie marseillaise
C’est par la porte économique que nous entrons dans les quartiers nord, avec un réseau qui regroupe, fédère et représente les entreprises du nord de la ville : Cap au Nord Entreprendre. Plus de 250 entreprises y adhèrent, des plus grandes et plus anciennes comme Ricard ou Haribo, en passant par de plus récents succès comme Oxatis, jusqu’aux startups en devenir et entreprises plus modestes.
Son président, Christian Cortambert, revient avec nous sur les particularités du territoire en matière économique, et comment il pourrait devenir le moteur de Marseille dans les années à venir.
made in marseille – Les « quartiers nord », ça veut dire quoi pour vous ?
Christian Cortambert – C’est un terme un peu fourre-tout les « quartiers nord », avec une connotation plutôt négative. Pour nous, c’est avant-tout une zone géographique qui comprend les 13e, 14e, 15e, et 16e arrondissements de Marseille pour 250 000 habitants, dont 82 000 salariés. C’est très particulier, on y trouve de zones industrielles, mais qui sont atomisées au milieu de zones d’habitation, deux Zones Franches Urbaines (les deux seules de Marseille, ndlr), et plus de 500 hectares dédiés à l’économie. Ce n’est pas rien. Pourtant, le taux de chômage reste élevé.
Justement, le taux de chômage se situe entre 19 % et 27 % selon les quartiers, pour une moyenne française en dessous de 10 %, est-ce une zone sinistrée économiquement ?
La santé économique est bonne dans les quartiers nord ces dernières années, il y a de la stabilité, les entreprises s’épanouissent, les zones franches attirent de nouvelles boîtes grâce aux avantages fiscaux, et les entreprises sont idéalement desservies par deux autoroutes et le Grand port maritime de Marseille. Mais paradoxalement, je remarque que la population continue de se paupériser.
Comment expliquer que la bonne santé économique d’un territoire ne bénéficie pas aux populations qui y vivent ?
Je pense qu’il y a un problème de formation, mais surtout de lien entre le monde de l’entreprise et les habitants de certains quartiers. Je crois que c’est dû à la perception biaisée de certaines générations et certaines couches sociales sur le monde du travail et leurs compétences. Il y a comme un mur qu’ils n’osent pas franchir. Il faut changer les mentalités, les perceptions en créant des rencontres. C’est ce que l’on s’efforce de faire dès aujourd’hui pour ne pas reproduire cela avec les générations futures.
Comment briser ce mur ?
Le Grand port maritime de Marseille (GPMM) est un exemple très symbolique dans les quartiers nord, perçu comme une citadelle fermée et polluante. Mais il génère aussi une activité économique énorme. On l’a fait adhérer à Cap au Nord il y a six mois pour l’ouvrir à l’emploi et à la jeunesse. Nous avons déjà organisé deux excursions gratuites en bus, avec 200 personnes. Nous avons mélangé des collégiens, des lycéens, des ingénieurs, des enseignants, l’École de la deuxième chance… Ils ont parlé ensemble, travaillé, visité le port et rencontré les entrepreneurs. Ça permet de créer des rencontres, des opportunités, des vocations, et surtout de casser l’idée que le monde de l’économie et du travail est fermé à certaines personnes.
La mobilité est souvent pointée du doigt au nord de Marseille. Est-ce un frein au développement économique ?
Une entreprise a besoin d’environ 30 salariés pour s’implanter : il faut qu’ils viennent ! Il faut créer un maillage plus complet des transports en commun, et améliorer la qualité de la voirie. On passe beaucoup de temps à discuter avec la Métropole Aix-Marseille-Provence pour faire avancer cela. Nous développons un système de micro-navettes pour le problème du dernier kilomètre des trajets domicile-travail. Avec Oxatis (entreprise spécialisée dans le e-commerce qui emploie 230 personnes) nous avons trouvé un prestataire et les financements pour une navette qui fait le lien jusqu’à la station de métro Bougainville. Une deuxième est lancée en début d’année pour rallier EDF (13015), et on veut qu’elle soit mutualisable pour profiter à d’autres.
Nous voulons aller encore plus loin en 2020 en créant un système de micro-navettes et d’autopartage à partir du centre commercial Grand littoral qui ferait office de parking relais. L’idée est de desservir les quartiers Saint-Henri et Saint-André.
Les quartiers nord vont-ils devenir le moteur économique de Marseille ?
Les quartiers nord vont devenir le centre de la Métropole, pas seulement géographiquement, mais économiquement. Entre le développement du secteur du numérique, les zones franches, les autoroutes… Le port est une porte vers l’Afrique, qui sera en 2040 la Chine d’aujourd’hui. On est bien placés pour être une zone économique durable et dense.
Mais il faut une volonté politique, même si les entreprises ont pris conscience qu’elles ne doivent plus en attendre trop. Un dirigeant d’une grande société me disait : « j’en ai marre, personne ne m’aide ni me consulte ». De plus en plus d’employeurs prennent le relais de l’État et des collectivités pour les transports, la formation, l’éducation. Si les politiques et les entreprises travaillent ensemble, les quartiers nord pourraient devenir une place économique majeure de la Métropole.