Pour anticiper les besoins électriques d’ici 2030, le distributeur public d’électricité RTE étudie le tracé d’une nouvelle ligne aérienne de 65 kilomètres sur pylônes entre Fos-sur-Mer (13) et Jonquières-Saint-Vincent (30). Entre contestation et nécessité. On fait le point.
Alors que le tracé de la nouvelle ligne électrique de RTE de 65 kilomètres, entre Fos-sur-Mer et Jonquières-Saint-Vincent, doit être tranché mi-juillet, les contestations sont vives. La nature aérienne de l’ouvrage, dont la construction est estimée à 300 millions d’euros pour être livrée en 2028, fait particulièrement débat.
À cheval entre deux départements, les Bouches-du-Rhône et le Gard, en passant par dix villes dont Arles et Fos-sur-Mer, ce projet de ligne à très haute tension (THT) de 400 000 volts doit permettre d’anticiper les besoins électriques de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur qui devraient doubler d’ici 2030, selon le distributeur.
Les raisons avancées sont notamment la transformation des usages (voiture électrique, pompes à chaleur…), le développement des data centers, le raccordement électrique des navires à quai, ainsi que la décarbonation des industries à Fos-sur-Mer qui se positionne pour accueillir de futures giga-usines comme Carbon, pour la production de cellules photovoltaïques, GravitHy, pour l’acier « vert », ou H2V, pour de l’hydrogène vert.
Forte mobilisation pendant la concertation publique
Le préfet des Bouches-du-Rhône, Christophe Mirmand, a validé l’aire d’étude de cette ligne RTE le 16 novembre. Le représentant de l’Etat en région est le garant de la bonne tenue de la concertation publique, qui s’est tenue du 12 février au 7 avril dernier.
Pendant près de deux mois, RTE a ainsi présenté deux hypothèses de trajectoire : une à l’Est (rose sur la carte) en passant par Tarascon et La Crau, et l’autre à l’Ouest en passant par Bellegarde et contournant Arles (orange).
La ligne permettra notamment d’acheminer l’électricité produite dans les centrales nucléaires installées à proximité du Rhône (Cruas, Tricastin).
Cet épisode réglementaire, d’une durée plus longue que la moyenne, a surtout permis aux associations, riverains et élus de s’exprimer dans près de 800 contributions. Le commissaire enquêteur a d’ailleurs souligné, dans son rapport du 7 mai, « une forte mobilisation » démontrant que « la majorité avait bien compris l’utilité du projet ».
En revanche, la concertation publique a mis en lumière plusieurs sujets sensibles évoqués par les riverains, agriculteurs, associations mais aussi par les élus comme, celui qui s’est le plus exprimé, le maire d’Arles, Patrick de Carolis (Horizons).
Plusieurs manifestations se sont organisées pour contester le projet. La dernière date début juin à Beaucaire, dans le sud du Gard, a réuni près de 200 participants selon nos confrères de France Bleu Provence.
La dégradation du paysage pointée
Le premier sujet de tension est le choix de la solution aérienne sur 180 pylônes. Si Patrick Lévêque, le président de la Chambre d’agriculture des Bouches-du-Rhône, aligné avec la Chambre du Gard, ne nie pas la nécessité du projet, il milite pour faire enterrer la ligne électrique.
Selon le représentant consulaire, cette méthode permettrait de préserver, en priorité, les agriculteurs vivant du tourisme dans la région. « Au Canada, aux USA et en Allemagne, ils enfouissent ce genre de ligne. Oui, ça coûte plus cher. Oui, ça prend plus de temps. Mais tel qu’il est, ce projet paraît déraisonnable », insiste ce dernier.
Le maire arlésien, Patrick de Carolis, est du même avis, arguant que « la future ligne défigurera le paysage ». Pour lui, ce morceau de territoire (Arles, La Crau, La Camargue) a fondé son économie d’après-guerre sur le tourisme et l’agriculture. « Cet ouvrage pourrait remettre en cause notre modèle économique », insiste l’ancien président de France Télévisions.
Impulsé par les politiques publiques, le pays d’Arles a ainsi progressivement abandonné l’industrie qui s’est étendue autour de l’étang de Berre, et en particulier à Fos-sur-Mer. Cette ville industrielle, où la ligne devrait s’achever, abrite des géants de la pétrochimie et de la sidérurgie, dont les installations ont été construites sur 7000 hectares de zones humides dans les années 60.
Les associations pointent la déstabilisation de la biodiversité
Le deuxième sujet mis sur la table par les contestataires est l’impact environnemental. Selon les plans, la ligne pourrait en effet traverser des sites protégés, comme le parc naturel régional de Camargue ou la plaine de la Crau. « RTE ne nous a pas confié de réelle étude d’impact sur l’environnement. Ils nous ont simplement présenté un recensement du patrimoine », fustige Isabelle Gex.
Cette militante, vice-présidente du collectif des riverains d’Arles et de la plaine de la Crau, a chapeauté une réunion le 19 juin en compagnie d’experts, d’élus, d’agriculteurs et d’écologistes.
Lors de cet échange, plusieurs arguments sur l’impact environnemental sont apparus, comme l’amoindrissement de la réserve en eau : « Si la ligne traverse la plaine de la Crau, les agriculteurs de foin vont devoir changer de culture. Or, cette culture de foin permet d’irriguer la plus grosse nappe phréatique du pays qui abreuve 300 000 personnes », assure la consultante.
Patrick Lévêque avance également les potentielles « interférences » avec les taureaux et les chevaux. Un éleveur de bovins, qui a vu s’installer une ligne de ce type mais plus basse tension (20 000 volts) a partagé son expérience lors de cette réunion. « Les veaux avaient maigri, les rendements étaient bien moindre… il a payé de ses deniers pour que la ligne soit déplacée de quelques mètres. Et tout est rentré dans l’ordre », relate Isabelle Gex.
RTE apporte des compensations
De son côté, le directeur du développement de RTE, Christophe Berassen, rappelle que, à ce stade, « nous sommes bien loin du tracé définitif ». Et de poursuivre : « Nous allons porter une attention particulière à l’agrotourisme (…) et continuer d’affiner notre connaissance de ce territoire riche en biodiversité, en particulier des mas Provençaux (bâtisses provençales) et des sentiers de Saint-Jacques de Compostelle ».
RTE a également pris des engagements à la suite de cette concertation, publiés le 15 mai sur le site internet. Le premier étant que la ligne ne surplombera aucune habitation. Le deuxième est une compensation : pour chaque kilomètre de ligne aérienne construite, RTE enfouira « l’équivalent de 65 km de ligne plus basse tension », reprend-il.
Concernant l’enfouissement de la ligne, RTE reste ferme. Cela prendrait trop de temps et coûterait au moins deux à trois fois plus cher que la solution aérienne.
« Certes, c’est moche, mais il n’y a que la vue qui est sacrifiée ! »
Le maire de Fos-sur-Mer, René Raimondi (DVG) assure que « enfouir une ligne très haute tension dans le sol ferait encore bien plus de dégâts sur la biodiversité ». Il admet avec son franc-parler qu’une ligne aérienne, « certes, c’est moche, mais il n’y a que la vue qui est sacrifiée ! ».
Bien que Fos-sur-Mer soit déjà quadrillée par des cheminées industrielles et une ligne aérienne, visible depuis la Nationale 568, l’élu plaide pour la création de cette ligne. L’aspect esthétique est « un faux débat » puisque « la ligne est indispensable, point ».
À Fos, René Raimondi est en effet en première ligne pour accompagner la décarbonation des industries de son territoire, notamment le leader français de la production d’acier ArcelorMittal qui représente 20% du foncier.
RTE maintient son calendrier initial
Ce dernier rappelle les délais serrés pour faire face à l’augmentation des besoins électriques pour atteindre la réduction de 35% des émissions carbone des industriels d’ici 2030. « Il faut surtout aller à la négociation au cas par cas, une fois que le tracé est défini », plaide René Raimondi.
Selon RTE, malgré les désaccords notables, le projet ne devrait pas prendre de retard significatif. « Nous devrions instruire la déclaration d’utilité publique (DUP) cet été pour commencer les travaux à partir de 2027 », assure Christophe Berassen.
Les travaux devraient ensuite durer deux ans pour une livraison de la ligne envisagée en 2028.
22 associations exigent un moratoire
Le collectif des riverains d’Arles et de la plaine de la Crau et 21 autres associations, réunis sous une même bannière STOP THT 13/30, demandent, eux, un moratoire pour prendre le temps de réfléchir à une alternative durable et en accord avec le territoire.
Un agglomérat d’ingénieurs et d’experts ont d’ailleurs travaillé sur une proposition alternative pour acheminer l’électricité en évitant de construire l’ouvrage aérien. « On attend la réponse de RTE et du préfet qui sont en période de réserve pendant les élections législatives. Mais s’ils nous ignorent d’ici mi-juillet, alors que l’on cherche une solution gagnant-gagnant, on sortira tous perdants », prévient Isabelle Gex.
RTE s’engage de son côté à poursuivre une démarche de dialogue continu avec les riverains, élus et associations.