Depuis 1999 à Aix-en-Provence, la Maison de l’Europe de Provence veut insuffler une culture européenne en créant des ponts entre les institutions et les citoyens. À quelques jours des élections européennes du 9 juin, son président Alain-Pierre Merger nous consacre un entretien.
Les Maisons de L’Europe sont nées dans les années 1950, après la Seconde Guerre mondiale, pour faire le lien entre les institutions européennes et les citoyens. Aujourd’hui, la France en compte 35 dont deux en Provence-Alpes-Côte d’Azur : l’une à Aix-en-Provence et l’autre à Nice.
À Aix, la Maison de l’Europe de Provence organise, depuis sa création en 1999, une dizaine de manifestations par an pour « faire toucher du doigt l’Europe aux citoyens ». L’association est hébergée par la Ville au sein de la cuisine d’été de la Villa Clair Matin (Planétarium), au 166 rue Jean Monnet. Drôle de coïncidence pour cette association de loger dans la rue de l’un des pères de l’Europe !
Alain-Pierre Merger, professeur d’histoire-géographie à la retraite, autrefois expert-conférencier de la Commission européenne, préside cette antenne départementale depuis 10 ans.
Tout au long de sa carrière, ce lorrain d’origine a créé des clubs Europe dans différents établissements pour transmettre aux jeunes les clés de lecture de cette union démocratique de 27 pays. Entretien avec ce passionné « naturellement européen ».
Made in Sud : Quel est le rôle de la Maison de l’Europe de Provence vis-à-vis des prochaines élections européennes du 9 juin ?
Alain-Pierre Merger : Avant les Européennes, nous avons fait campagne pour encourager les citoyens à aller voter, sans prendre position pour une liste. Nous sommes indépendants et apolitiques. On explique en quoi les décisions européennes concernent les gens, notamment les politiques communes.
Il y a la politique monétaire avec l’euro, l’union douanière avec les taxes du commerce international, et surtout, la politique agricole commune (PAC) qui représente 35% du budget de l’Europe. Sans cette politique agricole, il n’y aurait plus beaucoup de paysans en France.
Pourtant la France a vécu une crise agricole majeure en février dernier, notamment en Provence…
Vous savez, en 1986 quand l’Espagne est entrée dans l’Union européenne, certains paysans ont attaqué des camions de fraises espagnols. En 2009, on a eu aussi la crise du lait… Mais en France nous avons la plus grosse part du budget de la politique agricole. Les autres pays nous jalousent ! Nous avons une vision inversée de la réalité. Mais pour le comprendre, il faut avoir les bases. C’est pourquoi, nous réclamons une formation civique européenne pour tous.
Pour mieux connaître, par exemple, le rôle des députés européens ?
On connait ses conseillers municipaux, son maire, ses députés, ses ministres… Mais qui connait son député européen ? Les gens ne les connaissent pas car ils sont élus sur des listes nationales. Et en plus de ça, ils ne sont pas tenus d’avoir des bureaux locaux… donc ils restent à Strasbourg. Nous sommes partisans que chaque département désigne son eurodéputé pour que ce soit plus clair dans la tête des gens.
Comment encouragez-vous les citoyens à se rendre aux urnes ?
En créant des rencontres. Le 5 juin, nous avons organisé en partenariat avec Europe Direct un débat sur l’Europe et le sport avec un avocat marseillais : Maître Pautot*. Ce dernier a écrit sa thèse sur l’Europe et le sport, expliquant en quoi l’UE a joué un rôle fondamental pour développer les rapports entre les équipes européennes, grâce au principe de libre circulation des travailleurs, notamment des footballeurs, qui sont longtemps restés confinés dans leurs équipes nationales.
Nous réclamons une formation civique européenne pour tous.
Cet avocat part du postulat que le sport rassemble les Européens. Les gens vont au stade, ils soutiennent des équipes. Il pense par exemple que le 9 mai, le jour de la Fête de l’Europe, il devrait y avoir des challenges sportifs pour rapprocher les citoyens.
Plus largement, comment permettre aux gens de se sentir plus Européens ?
Les gens doivent être acteurs de projets européens. Ce n’est pas en faisant passer des textes de lois ou des examens sur les institutions européennes que l’on y parviendra. Mais en proposant aux gens une expérience directe et personnelle. Il faut qu’ils touchent l’Europe, sinon elle ne rentrera pas dans leur quotidien.
Le 13 décembre dernier, par exemple, nous avons organisé la fête de la Sainte-Lucie pour célébrer le solstice d’hiver. Il s’avère qu’à Aix nous avons deux partenaires suédois. On a fait défiler les participants entre la cathédrale et la mairie avec le drapeau européen. Une fois arrivés à l’Hôtel de Ville, on a offert le vin chaud et des biscuits suédois. Ce jour-là, il y avait 150 personnes alors que, si ça avait été un débat, on aurait touché 15 personnes et que des convaincus ! Là, on a pu toucher tout le monde.
Est-ce que l’Europe finance ce genre de manifestations ?
Non, contrairement à ce que l’on pourrait penser. L’Europe finance plutôt les organisations transnationales. Il y a quelques années, on avait un budget de 23 000 euros, dont 15 000 euros du Département des Bouches-du-Rhône pour organiser la fête de l’Europe et organiser des concours dans les collèges. Une année, la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur nous a aussi versé 5 000 euros. Mais, aujourd’hui, les deux collectivités ne nous aident plus. Il y a quelques années, la Maison de l’Europe de Gap a dû fermer car elle ne récoltait plus de subventions.
Peut-on dire que les Maisons de l’Europe sont donc en voie de disparition ?
Elles sont plutôt en survie. Et elles auraient bien besoin d’être aidées à l’échelle nationale. En Allemagne, j’ai visité une Maison de l’Europe qui est l’équivalent d’un Palais des congrès pour nous avec des salles de réunion, un restaurant et des chambres ! (Rires) Mais c’est le fruit de l’histoire. Car en 1945, les alliés ont imposé la création de fondations pour dénazifier l’Allemagne. Et elles existent toujours. Si bien que ces fondations financent en grande partie les Maisons de l’Europe allemandes.
À Marseille, par ailleurs, il existe un bureau de la Commission européenne. Donc certaines collectivités nous disent : « Pourquoi voulez-vous que l’on vous finance alors que nous avons une antenne de l’Europe ici ? ».
Expliquez-nous concrètement votre différence par rapport à ce bureau de la Commission européenne.
Au sein de l’Union, les bureaux de représentation sont les porte-paroles de la Commission européenne. Ils fournissent des informations sur les actualités, les enjeux, les lois. Nous, notre créneau, c’est l’Europe des citoyens. En 1985, un rapport a été adopté par le conseil européen pour créer un espace transnational citoyen où il peut y avoir des échanges et des projets communs entre différents pays.
Plus généralement, nous voulons remettre les citoyens au cœur de l’Europe. Le mot « citoyen » ne figure même pas dans la déclaration du 9 mai 1950 de Schuman. À cette époque, c’était normal car on sortait de la guerre. Il fallait donc déléguer aux états les débuts de la construction européenne. Mais nous ne sommes plus dans cette situation.
Votre slogan « Pour une Europe solidaire et pacifique » résonne d’autant plus en 2024 qu’en 2019…
Nous avons utilisé plus récemment « l’union pour la paix et le progrès ». La devise de l’Europe « Unis dans la diversité » c’est un constat et ce n’est pas un idéal. Nous, on veut faire la paix et le progrès ! Que les gens soient moins indifférents à l’Europe.
Marseille va être notre cheval de bataille, notre avant-garde pour les jumelages.
Pourquoi organiser essentiellement vos événements à Aix, alors que vous êtes une antenne départementale ?
Aix est une ville plus orientée vers l’Europe, tandis que Marseille est plus tournée vers la Méditerranée. À Aix, depuis 25 ans, on a aussi réussi, et j’en suis très fier, à constituer un réseau de partenaires car il y a beaucoup d’expatriés européens. On a une association franco-suédoise, le centre franco-allemand de Provence, la maison de l’Espagne, une association italienne du pays d’Aix…
Comment développer davantage de liens avec Marseille ?
En réorganisant notre présence sur le département. Chantale Bertin, la vice-présidente, est basée à Allauch. Elle est aussi la présidente départementale des villes jumelées des Bouches-du-Rhône. On pense ainsi qu’il faut miser sur les jumelages pour favoriser les rencontres entre citoyens européens. On est persuadés qu’il ne faut pas faire que du franco-allemand et du franco-espagnol. Il faut être au moins trois pays.
C’est ça toucher l’Europe. Se décloisonner, partager, vivre des aventures… Marseille va être notre cheval de bataille, notre avant-garde pour les jumelages. Mais on commence seulement à poser les premiers jalons pour accélérer ces rencontres.