Le Caravane café a réouvert le 30 janvier à l’Estaque (16e). Repris par les habitants, ce restaurant de quartier se réinvente sous un modèle coopératif.
Il faut pousser les tables, ce mardi midi, pour faire rentrer les clients au Caravane café. En cuisine, Nicolas et Florian s’affairent pour concocter des bols de ramen. Ce restaurant de l’Estaque (16e) intimiste, rouvert depuis le 30 janvier, a été sauvé par les habitants du quartier. « Quand Julie Biereye et Pascal Reneric m’ont dit qu’ils fermaient cet établissement, je ne pouvais pas le laisser », raconte Olivier Moreux, habitant et directeur du cabinet d’architecte éponyme.
Lassé de voir des lieux fermer les uns après les autres, à l’instar de Talassanté ou la Machine Pneumatique à Saint-Henri (16e), il a créé une société coopérative d’intérêt collectif (Scic) afin de reprendre le restaurant sur le modèle du social bar à Paris qui regroupe aujourd’hui 500 copatrons. « Et ça fonctionne », assure l’architecte.
Avec d’autres Marseillais, comme Raoul Michel, le cofondateur du supermarché coopératif Super Cafoutch (2e), il a persuadé 120 citoyens de les rejoindre : chacun s’engageant à mettre 100 euros dans un pot commun. Grâce à ce pécule, les sociétaires ont obtenu un emprunt pour racheter le fonds de commerce en novembre 2023. Les murs restant la propriété des anciens patrons.
Conserver l’âme du lieu
Cette mise de départ a permis d’investir dans du matériel et de réaménager l’espace. La vaisselle et le mobilier ont été offerts par les sociétaires ou chinés aux Puces (15e) à deux pas. « Un vendeur a trouvé l’histoire tellement belle qu’il nous a donné le porte-manteau et les présentoirs », glisse Léna Jarlejan, accoudée au bar rétro.
« Je voulais absolument vendre à des gens qui allaient perpétuer l’âme du lieu », confie Julie Biereye, comédienne et chanteuse de rue, qui a « grandi et voyagé dans une caravane ». Elle a créé ce restaurant, un ancien salon de coiffure, pour faire découvrir la cuisine du monde aux habitants.
La caravane est toujours solidement accrochée au mur, tirée par un oiseau en origami. Le volatile en papier s’envole au Pays des Merveilles où le lapin blanc d’Alice, connu dans le livre de Lewis Carroll pour son retard légendaire, est représenté sur une fresque de l’artiste marseillais Pierre Pab.
Trouver une nouvelle organisation
Conserver ce décor unique était une volonté chère aux habitants, devenus sociétaires, qui vont et viennent pour donner un coup de main quand ils le peuvent. « Il nous faut huit bénévoles par semaine pour faire tourner le restaurant, explique Olivier. On a un WhatsApp commun et Joël a même créé une application pour s’organiser ».
Mais pas question « d’imposer » des jours, car « ça reste du bénévolat ». Ce midi, Joël rapporte les bières. Demain, Léna accueillera les clients. Les produits alimentaires, eux, sont sourcés par les cuisiniers, dont l’un est salarié à temps complet et l’autre à mi-temps. Ils achètent autant que possible « du bio, local et de saison ».
Le thé provient de la Cave de la Plaine (6e), le café est sourcé à la brûlerie aixoise Richelme, le jus de fruit au Super Cafoutch (2e)… On peut aussi boire du vin issu de l’agriculture biologique « qu’on ne peut trouver nulle part ailleurs à l’Estaque », glisse l’architecte, amateur de bons millésimes.
« Je crois en ce modèle et je veux qu’il se duplique »
Les menus à la carte sont les mêmes toute la semaine pour faciliter la gestion des stocks. Pour réemployer les restes, un brunch est proposé le samedi midi, entre 10 et 15 euros selon l’appétit, avec une assiette salée et sucrée.
Le restaurant est rentable à partir de 30 assiettes par jour, pour un panier moyen de 15 euros par client. « Je crois en ce modèle et je veux qu’il se duplique », assure Raoul, déterminé à convaincre les Marseillais des avantages de ce système alliant les bons produits aux prix abordables, sans investisseurs ni gros donneurs d’ordre.
Comme lui, ici, tout le monde est engagé. De l’architecte qui réalise des projets avec l’école inclusive du numérique La Plateforme, au cuisinier qui ne travaille « que pour des beaux projets » comme la ferme urbaine le Talus et l’Auberge marseillaise… le Caravane café a de quoi devenir un lieu à haute valeur sociale.
La transmission au cœur du projet
Dans quelques semaines, des ateliers seront organisés le mercredi où chacun pourra donner des cours de cuisine, de peinture, ou de musique… Des chefs locaux viendront aussi se relayer en cuisine au début de la semaine pour concocter un menu qu’ils transmettront au Caravane café.
La transmission est en effet une mission fil rouge du lieu. D’ailleurs, l’ancienne patronne, Julie, organise une soirée festive ce soir. « On va cuisiner un plat italien avec une tarte au St-Nectaire et en dessert, un Bounty revisité », lance, ravie, celle qui garde un amour intact pour ce restaurant.
86 Boulevard Roger Chieusse, 13016 Marseille