L’antenne marseillaise de Wake up Café a ouvert ses portes en 2022. Grâce à un accompagnement global et une communauté d’entraide, l’association a aidé plus de 150 anciens détenus à se réinsérer dans la vie active.
« Moussa a trouvé un travail et vient d’emménager dans son nouvel appart’. Nogan a obtenu son diplôme d’éducateur sportif. Richard a signé un CDI chez Auchan. Islam a eu son code de la route. Marion a accouché d’un petit bébé. Samir et Hissa sont libres ».
Devant une tablée de « wakeurs », Emmanuel Roy, reponsable de Wake up Café Marseille, et Kassim*, détenu en fin de peine, égrènent une par une les bonnes nouvelles du mois de janvier, toutes suivies d’applaudissements. Un soir par mois, anciens et actuels détenus accompagnés profitent d’un dîner convivial pour se retrouver et rester en contact.
Née en 2014, l’association Wake up Café a pour mission d’accompagner des personnes détenues et sortant de prison vers une réinsertion durable dans la société, sans récidive. Présente dans neuf villes en France, son antenne marseillaise a ouvert ses portes en janvier 2022 dans le quartier de la Belle de Mai (3e), derrière la gare Saint-Charles.
Dans cet espace lumineux de 200 m2, les wakeurs, comme ils se surnomment, ont accès à un joli patio, à une cuisine et à une salle informatique. Ceux-ci « s’engagent à venir chaque jour du lundi au vendredi, de 9h30 à 17h, jusqu’à ce qu’ils trouvent un emploi, un stage ou une formation, explique Emmanuel Roy. C’est un parcours assez exigeant qui a pour but de reprendre une routine pour se préparer à intégrer le monde du travail assez rapidement ».
Retour à l’emploi
Au Wake up Café, la semaine est rythmée par un parcours d’accompagnement individuel et des ateliers collectifs axés sur la reconstruction personnelle. Les activités du matin sont liées à l’emploi : visites d’entreprises, découverte de métiers ou initiation à l’entrepreneuriat avec TransfOrama, cours de gestion de budget, job datings… ou encore visites de salariés qui proposent du mécénat de compétence et présentent leur secteur.
Ils peuvent aussi faire un point sur leur projet professionnel avec Adèle Caroni, la chargée d’emploi. « D’abord à court terme pour répondre à l’urgence financière, et après sur un plus long terme pour faire un boulot qui leur plaît », précise Emmanuel Roy.
En s’appuyant sur un vaste réseau professionnel local, Wake up Café facilite les opportunités d’emploi et opère « un travail de réconciliation » entre les wakeurs et le monde du travail. « Il peut y avoir des préjugés des deux côtés, et en invitant des entreprises ici, on essaye de contribuer à changer les regards, non pas en faisant du plaidoyer, mais en faisant se rencontrer, poursuit le reponsable. Quand les boîtes repartent, elles ont vu des gens motivés pour retrouver un emploi, pour avancer ».
Les wakeurs peuvent compter sur une équipe de cinq salariés, deux services civiques et une quinzaine de bénévoles pour les aider avec leurs démarches administratives de santé, de retour à l’emploi ou de logement. « Parfois, quand ils sortent, tout est à refaire. Quand la carte d’identité est périmée, ça bloque tout le reste, c’est le serpent qui se mord la queue », remarque Emmanuel Roy.
Reprendre confiance en soi
Puisque la réinsertion ne passe pas uniquement par l’emploi, l’un des piliers de l’accompagnement réside dans la création d’un lien social et le regain de l’estime de soi, car « l’isolement est un gros facteur de récidive, qui peut être subi ou parfois choisi quand il faut s’éloigner de certaines fréquentations ».
Comme le souligne Emmanuel Roy, Wake up Café se définit comme « une communauté d’entraide pour renforcer le lien social. On veut qu’ils soient actifs en participant à la vie du site, pourquoi pas en animant des ateliers. La prison, ça abîme la confiance en soi, la confiance dans les autres. On essaye de les mettre en valeur pour qu’ils se sentent responsabilisés et utiles ».
C’est pourquoi, le midi, « le repas est toujours partagé. Il y a toute une vie de maison, conviviale, pour retrouver progressivement sa place dans la société ». L’après-midi, focus sur la reconstruction de soi à travers des séances de création artistique ou de prise de parole en public avec l’association Eloquentia, des ateliers théâtre avec le théâtre de La Criée, des cafés philosophiques, et le vendredi, une sortie culturelle dans les musées municipaux ou une séance de sport en extérieur.
Une salle est dédiée à des entretiens avec une psychologue, qui vient sur place une journée par semaine, avec laquelle les wakeurs s’entretiennent au moins une fois.
150 personnes accompagnées en deux ans
À travers à une convention signée en 2021 avec le ministère de la Justice, l’association peut s’engager dans des procédures d’aménagements de peine. En semi-liberté à Luynes, Sofian, 29 ans, est arrivé au Wake up Café il y a deux semaines. « En semi, je pouvais sortir que trois jours par semaine. Les horaires étaient restreints, je devais rentrer à 15h. Grâce au Wake up Café, je rentre à 19h30, donc ça me laisse plus de temps pour me concentrer sur la recherche d’emploi ».
En deux ans, l’antenne marseillaise de Wake up Café a déjà accompagné 150 personnes placées sous main de justice dans leur parcours vers le chemin de la réinsertion. Un parcours qui dure en moyenne deux mois et demi. Parfois moins, comme pour Kassim, qui a pu intégrer la communauté marseillaise le 14 novembre dernier. « J’ai trouvé un boulot le 21 décembre, au bout d’un mois et demi, témoigne-t-il. Ça a été très bénéfique pour moi. J’ai pu refaire mon CV et tous mes papiers ici : ma carte vitale, mes lettres de motivation… ».
« L’atelier qui m’a le plus plu, c’est celui de la prise de parole. Ils nous ont expliqué comment discuter avec des employeurs, ça m’a beaucoup appris. J’étais plus à l’aise pendant mes entretiens avec une DRH, par exemple ». Le Toulonnais de 35 ans, dont la peine se termine en mai prochain, a terminé un premier contrat en grande surface et vient de commencer un nouvel emploi en tant que contrôleur qualité dans un centre de logistique à Allauch.
Kheltoum, 45 ans et mère de cinq enfants, a passé un an en détention aux Baumettes et un autre en semi-liberté. Restée quatre mois au Wake up Café, elle ne manque aucun dîner de retrouvailles. « Je garde toujours le lien avec eux. Depuis que j’ai été prise en charge ici, je me suis réinsérée, je suis devenue auxiliaire de vie. Ils m’ont beaucoup aidée ». Elle a pu retirer son bracelet électronique il y a deux mois. « Là, ça va, je respire ».
Faible taux de récidive
Dans les deux tiers des cas, les wakeurs sont orientés vers le dispositif par leur conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP). « D’autres nous sollicitent en nous écrivant directement, explique Emmanuel Roy. On commence à créer un lien de confiance en allant leur rendre visite, en échangeant des courriers avec eux ».
L’accueil ne dépend pas du motif de condamnation. Le seul critère : être « dans une démarche sincère, avoir envie de se donner les moyens pour ne plus retourner en prison. Et accepter de rentrer dans une relation de confiance et de transparence pour que l’accompagnement se passe bien ». L’association peut « organiser des permissions de sortie, validées par le juge, pour qu’ils viennent passer une journée ou deux sur site et commencer à se projeter ».
« Le projet répond une demande du Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) », précise Emmanuel Roy. Car, à Marseille, les besoins sont très importants. Il y a près de 4 000 détenus dans les Bouches-du-Rhône [4375 exactement au 1er janvier 2024, ndlr] ». À l’image de Luynes (150%) ou des Baumettes (165%), les maisons d’arrêt du département sont, pour la plupart, en surpopulation. « S’il y a des initiatives comme le restaurant Les Beaux Mets, c’est parfois compliqué de travailler la réinsertion dès la prison. Tout le monde ne peut pas faire d’activités ou une formation », concède le responsable.
Pourtant, les études s’accordent sur le fait qu’un accompagnement psychosocial est une clé contre la récidive en matière de délinquance. 63% des détenus libérés de prison en « sortie sèche », sans accompagnement, récidivent dans les cinq ans. Dans les neuf antennes nationales de Wake up Café, le pourcentage de retour en détention est de seulement 12,6%. « On voit qu’avec un accompagnement de proximité, ça fonctionne. Donc, on est un peu une solution au service de la justice, pour faire de la fin de peine un temps utile », conclut Emmanuel Roy.
L’association Wake up Café a été créé par Clotilde Gilbert, ancienne aumônière de prison à la maison d’arrêt de Nanterre, en région parisienne. Depuis sa création à Paris, le Wake up Café s’est déployé dans sept autres villes, en plus de Marseille : à Montreuil, Sèvres, Nantes, Lyon, Valence, Montpellier, et, dernièrement, à Lille. Elle a accompagné près de 1 800 détenus dans leur parcours vers le chemin de la réinsertion. Le dispositif est financé à moitié publiquement, par le Ministère de la justice et du travail ainsi que les collectivités locales, et à travers le mécénat de partenaires privés.
*Les prénoms des personnes citées ont été modifiés.