Fin décembre, l’Armée du Salut a ouvert, au pied de la cité Félix-Pyat (3e), la résidence « Lou Recate » pour abriter 49 femmes et enfants dans des conteneurs aménagés. Ce refuge veut aider les résidentes sans les juger, et sans limite de temps.
Sur la rade Nord de Marseille, les conteneurs maritimes empilés font partie du paysage. Ces caissons métalliques sont moins courants dans la cité Félix Pyat (3e), où l’Armée du Salut s’en sert pour loger des femmes en extrême précarité.
Caroline et Pauline sont arrivées la semaine de Noël. Ce vendredi matin, 10h30, elles s’attablent dans la salle commune pour partager un petit-déjeuner complet : des tartines de beurre trempées dans un café au lait. À côté d’elles, Noria s’installe. Silencieuse. « Je viens ici pour discuter avec les encadrants. Ça m’aide beaucoup. Mais avec les autres femmes… c’est plus compliqué », confie du bout des lèvres cette maman d’une quarantaine d’années.
Elle habite en face, depuis huit mois, dans le centre d’hébergement d’urgence (CHU) « Entre elles » dont l’expérimentation a été lancée en juin 2022 pour loger 20 femmes marginalisées dans des conteneurs de 12 à 24 m2. La résidence William Booth, plus vieux centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) fondé à Marseille en 1930, a souhaité dupliquer ce dispositif pour 49 femmes et enfants avant le grand froid. C’est ainsi que la petite dernière est née : « Lou Recate ».
Des encadrants aux profils atypiques
« Allez les filles, faut pas trop traîner ! », interrompt Mathieu. L’encadrant au sourire chaleureux se prépare à dresser les tables pour midi. Son but n’est « pas d’imposer des règles strictes », mais de recréer un cadre, avec des horaires, pour rythmer leur quotidien chamboulé par la rue. « Une vocation », souffle l’architecte de formation.
Le chef de service, Xavier Bösiger, l’a recruté avec trois autres travailleurs sociaux, et un éducateur de jeunes enfants, pour faire tourner la résidence de 7h à 21h. « Je cherchais des profils différents, en capacité d’innover. J’ai embauché un éducateur en transition qui a fait de l’humanitaire au Venezuela, une travailleuse sociale qui s’est occupée d’enfants dans les rues de Mayotte, une autre diplômée d’une licence de psychologie… », raconte le directeur.
Lui-même a un parcours « atypique ». Diplômé dans le génie civil, Xavier Bösiger bifurque deux ans plus tard pour accompagner des personnes handicapées à Paris. Il dirige ensuite un accueil de jour pour les jeunes à Nîmes, avant de devenir pasteur pendant neuf ans à l’Armée du Salut à Marseille. « Je faisais des petits-déjeuners pour les SDF et des colis alimentaires pour les étudiants étrangers. J’ai aussi dispensé l’aumônerie jusqu’en 2020 », rembobine l’homme engagé.
Bientôt un rooftop sur les conteneurs ?
Ses petites lunettes rondes argentées ne camouflent pas sa sensibilité. A cette époque, il a passé une journée dans la rue pour se mettre à la place des sans-abri. « Comment on tient le coup sur la durée ? Le regard des autres sans alcool ? », se demande l’ancien pasteur. Conscient des difficultés, il laisse les femmes s’adonner librement à leurs addictions, tout en les encadrant. Le but, c’est surtout « de les comprendre pour les aider » et « ne pas juger ».
Ce projet a vu le jour grâce aux financements de la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets). Cet organe de l’État abonde ce dispositif à hauteur de 954 000 euros par un an. La Ville de Marseille a également prêté ses terrains pour installer les conteneurs de 12 à 24 m2, montés par les employés en réinsertion d’Homeblok, une filiale du groupe La Varappe. « Des conteneurs bien équipés et résistants au chaud et au froid », assure son directeur opérationnel, Michael Bruel.
Si le chantier a pris quelques mois de retard, Xavier Bösiger nous fait visiter la résidence avec un enthousiasme enfantin. Il dévale les escaliers jusqu’au 2e étage. « Mon rêve, c’est de faire un rooftop ici ! », s’exclame t-il, en montrant la vue imprenable sur le littoral nord de Marseille. Pour aiguiller la tôle grise des conteneurs, des ateliers de peinture sont envisagés avec l’association Méta 2 qui a déjà opéré dans le quartier.
Un projet encore en construction
Le chef de service le reconnaît : « Le chantier n’est pas terminé ». Certains besoins restent à combler, comme le recrutement d’un infirmier à mi-temps. « Il nous faut quelqu’un qui gère les médicaments, des traitements forts ou de la bobologie. Il sera en contact avec les médecins », précise Xavier Bösiger.
S’il voudrait écrire une liste au père-noël, il envisage aussi, en priorité, de recruter une psychologue. « Le bureau serait tout le temps plein : entre celles en transition, celles qui ne parlent pas, celles qui ont été violées… Il n’y a que des histoires hallucinantes, raconte l’homme pieux, en montrant une photo sur son téléphone. On a ici un enfant trisomique de 5 ans. Sa maman nigériane a été victime des réseaux de prostitution. Mais depuis sont arrivée, on l’a vu s’éveiller… Il rigole, il marche, il court ».
Secrètement, il espère que les conteneurs deviendront une surface bâtie, en chair et en os, dans quelques années. Et que certains dispositifs, compliqués à mettre en place, soit réalisés comme la Halte soins addictions (HSA) qui vient d’être retoquée par l’Etat. « Combien de personnes se mettent en danger en se piquant avec des seringues ? Dans les salles de shoot, il y a des médecins, travailleurs sociaux, des personnes pour réinsérer via l’emploi. Tout ce qu’il faut, c’est créer un lien de confiance. Plus les gens se livreront, plus on avancera ».