Située entre le Panier et le Vieux-Port, la boutique de bien-être « I Feel Good & You » va devenir la maison du Tarot de Marseille. Son patron veut partager sa passion des cartes pour lutter contre l’oubli de ce patrimoine marseillais.
« Bonjour, je voudrais offrir un jeu de Tarot pour ma mère à Noël », demande un client en passant la porte. Un fumet d’encens embaume la pièce remplie de pierres, d’huiles essentielles et de Tarot de Marseille. Devant les escaliers, Bouddha ondule sur un rideau aux mille couleurs. Il n’y a pas de doute : nous sommes bien dans la maison du bien-être.
La boutique « I Feel Good & You » de la rue Méry (2e) prépare sa mue. « On termine le stock de pierres pour nous consacrer au Tarot de Marseille », nous confie Emmanuel Coudreau en sirotant une tasse de café fumante.
Ces trois dernières années, le patron a remarqué le fort attrait des touristes vénézuéliens, chiliens et nord-américains pour ce jeu de 78 cartes, historiquement fabriqué à Marseille. « Pourquoi ça attire autant les touristes alors que son histoire ici est très peu connue ? », se demande le magnétiseur de 45 ans, tombé dans la marmite quand il était adolescent. « À Marseille, on parle de la lavande, du savon, du pastis… mais personne ne parle du Tarot », regrette le passionné.
Une corporation historique à Marseille
Recentrer son activité sur le jeu de carte est un moyen de « reconnecter les habitants avec ce patrimoine », car pour lui « le Tarot est avant tout un outil pédagogique pour mieux se comprendre ». Le magasin va ainsi être rebaptisé : la Maison du Tarot de Marseille.
Mais pas question de changer de localisation. Car à quelques pas, le quartier du Panier (2e) comptait près de 150 maîtres cartiers entre le XVIIe et le XIXe siècle. « Il y a toujours la rue des Cartiers », précise le fin connaisseur.
À cette époque, la corporation imprimait les cartes à l’aide de plaques en bois sculptées à la main. Les cartiers découpaient le papier puis le frottaient avec du savon de Marseille. Cette méthode de fabrication ancestrale exalte le patron qui cultive son intérêt avec son fournisseur Yves Reynaud, un éditeur spécialisé dans les jeux de Tarot de Marseille anciens.
Des modèles rares de tarot anciens restaurés
Le vendeur fouille dans son tiroir pour montrer la qualité du travail de Florent Giraud, un maître cartier installé dans un atelier à Aix-en-Provence. Ses jeux faits main se vendent 100 euros le paquet, contre 39 euros pour les jeux industriels.
Avant d’entamer la fabrication, l’artisan déniche de vieux modèles dans les musées. Il les restaure puis les recolorise entièrement. Ce travail lui prend entre 3 et 4 mois avant de produire. Florent Giraud passe ensuite une journée à fabriquer un jeu de 78 cartes. « Si je suis bien en forme », nous glisse-t-il.
La dernière épreuve, celle du lissage, est la plus complexe : « Il faut prendre une pierre circulaire pour lisser les cartes au savon de Marseille. C’est l’ancêtre du pelliculage plastique », poursuit le fabricant. La seule chose que Florent Giraud ne produit pas, ce sont les planches en bois sculptées servant à imprimer les cartes. « Faire ce genre de sculpture pourrait me prendre des années », nous précise l’artisan.
Une future exposition dans la Maison Diamantée ?
La Maison Diamantée, située derrière l’Hôtel de Ville, exposait d’ailleurs jusqu’en 2013 la collection de Philippe Camoin, l’héritier de la tradition des derniers maîtres cartiers marseillais. « Il a donné ses plaques à la Ville de Marseille. Elles doivent être dans leurs archives, je cherche d’ailleurs à les voir… », laisse planer Emmanuel Coudreau.
La Maison Diamantée a fermé ses portes cette année là. Comme nous l’évoquions dans un précédent article, elle devrait rouvrir au public d’ici 2026 pour redevenir un lieu culturel. Dans cette perspective, « Est-ce qu’il y a une volonté de reparler de ce patrimoine de la part de la Ville ? », s’interroge l’expert en songeant à l’adjoint à la Culture de Marseille, Jean-Marc Coppola.
En attendant, Emmanuel accueille au sein de sa boutique tous les amoureux ou les curieux du Tarot de Marseille, et faire, à nouveau passer son histoire de main en main.
La petite histoire du Tarot de Marseille
Le Tarot de Marseille est à l’origine, un jeu de carte né « près de la Turquie actuelle ou en Chine »… Sur les anciennes routes de la soie. Ces cartes s’utilisaient comme un jeu avant la Révolution Française.
Elles ont progressivement servi de cartes de voyance après 1789. « C’est Mademoiselle Lenormand, une rebelle pendant la Révolution, qui a passé une partie de son temps en prison. Elle a œuvré à donner le côté divinatoire du Tarot de Marseille en faisant des lectures », retrace Emmanuel Coudreau.
Les cartes sont ensuite majoritairement fabriquées à Marseille par les maîtres cartiers du Panier pendant deux siècles, du XVIIe au XIXe, d’où son patronyme.
Le Tarot de Marseille ne doit pas être confondu avec le jeu de Marseille. Des œuvres créés par 7 artistes surréalistes en 1940 pour lutter contre l’ennui et l’horreur de la guerre dont les originaux sont conservés au musée Cantini (6e).