Fermée depuis une dizaine d’années, l’ancienne consigne sanitaire, au pied du fort Saint-Jean, va se transformer en tiers-lieu tourné vers les métiers de la mer et sa protection, avec pour ambition de faire renaître cet édifice emblématique de l’histoire de Marseille.
Au pied de la tour du fort Saint-Jean, juste à l’entrée du Vieux-Port, l’ancienne consigne sanitaire vogue vers une nouvelle destinée. Classé monument historique depuis la fin des années cinquante, cet édifice, datant de 1719, va prochainement devenir un tiers-lieu maritime. Le premier à Marseille dédié à la mer, sa préservation et ses métiers. L’association Marseille, Capitale de la Mer a signé une convention d’occupation du bâtiment d’une durée de 10 ans avec le Grand port maritime de Marseille pour mener à bien ce projet ambitieux.
Ce pavillon à l’italienne était autrefois le siège de l’Intendance sanitaire de Marseille, chargée de la prévention des épidémies et de la mise en quarantaine systématique des bateaux. Un passage obligatoire pour tout bâtiment désirant débarquer passagers et marchandises sur les quais de la ville. « Avant il n’y avait pas de parvis, la mer arrivait juste sous les fenêtres, il fallait tendre le bras vers le bateau », raconte Patrick Fancello, président et co-fondateur de l’association Marseille, Capitale de la Mer. C’est là, en effet, qu’il fallait montrer patte blanche, ou plus exactement, patente nette, pour attester l’absence de la moindre trace d’épidémie de peste ou de choléra à bord et obtenir l’autorisation d’accoster.
Au 19e siècle, un second pavillon (bâtiment des douanes) construit dans le même style est ajouté. Rénovés en 2020, les pavillons ont accueilli quelques événements éphémères, comme des expositions durant la biennale Manifesta, mais n’avaient depuis plus de vocation. « On ne peut pas laisser à l’entrée du port un patrimoine comme celui-ci à l’abandon. La flamme olympique va arriver juste ici, se projette Patrick Fancello, depuis la fenêtre s’ouvrant sur la Méditerranée et la Bonne Mère. Des millions de personnes vont avoir les yeux braqués sur le Vieux-Port. Il faut le réhabiliter et le faire vivre ».
Un chantier évalué à 1,2 million d’euros
Et c’est bien l’objectif de cette association créée en 2019, dans le but de fédérer les forces vives du territoire pour valoriser la mer en tant que ressource urbaine durable et comme levier sportif, culturel et d’employabilité.
Sur 400 m2, le bâtiment s’étend sur deux niveaux. Il dispose de différents espaces, de sanitaires et d’une cuisine. Un escalier aux marches irrégulières conduit à d’autres pièces à l’étage, qui seront réservées à la création d’un espace de coworking. Il accueillera, le moment venu, des associations ou jeunes pousses qui œuvrent en faveur de la préservation marine, plus généralement de l’environnement.
Si le hall principal a fait l’objet d’un grand coup de rafraîchissement afin d’occuper le tiers-lieu dès la fin du mois de septembre, l’ancienne consigne sanitaire va connaître une totale réhabilitation avec l’aide des architectes des Bâtiments de France pour lui redonner son cachet d’antan. Le chantier, évalué à plus 1,2 million d’euros, s’annonce colossal. La rénovation a été confié à un jeune architecte du patrimoine Malo Chabrol, entre autres diplômé de l’École de Chaillot.
Pour démarrer les travaux, l’association a réussi à mobiliser un budget d’amorçage à hauteur de 230 000 euros : 100 000 euros par le Secrétariat régional pour les affaires régionales (Sgar) et 130 000 euros octroyés par le ministère de la Mer, à travers son fonds d’intervention maritime (FIM). La signature de la convention d’occupation avec le GPMM apporte un crédit de taille au projet sur lequel compte l’association pour aller chercher les financements complémentaires, notamment auprès des collectivités territoriales.
Un lieu d’acculturation, de découvertes et tourné vers l’emploi
Avec ce nouveau lieu d’ancrage, stratégiquement implanté au cœur d’un écosystème maritime, l’association entend renforcer ses missions. L’accent sera particulièrement mis sur l’emploi. Le groupement d’insertion et de qualification des métiers de la mer (Geiq) va ainsi déployer son équipage dès le mois prochain pour assurer ce volet, en lien avec l’association.
Plus qu’une simple structure d’informations et de sensibilisation, ce tiers-lieu se veut une véritable porte d’entrée vers l’acculturation au monde marin. « La vie avec la mer est essentielle. Comment est-ce que tu veux protéger la mer si tu ne la connais pas ? Si on veut que les gens défendent notre Méditerranée, il faut qu’ils la connaissent et qu’ils l’apprécient », insiste Patrick Fancello.
Dans cette optique, certaines actions menées en faveur des jeunes vont être renforcées, à commencer par l’obtention du « Brevet d’Initiation à la Mer » (Bi-Mer) pour lequel l’association prend en charge l’aspect pratique (le volet théorique de 40 heures étant assuré au sein d’un établissement scolaire). Basé sur le volontariat de toutes les parties prenantes (collèges, lycées, élèves, instructeurs…), ce diplôme dépendant de l’Éducation nationale valide un niveau d’initiation aux activités professionnelles et à la culture scientifique et technique dans le domaine de la mer.
Le transbordeur, une passerelle historique du passé vers l’avenir
Même cap pour l’opération Un pas avec la mer. Menée avec différents partenaires (Synergie Family, le Cercle des Nageurs de Marseille et la Fondation CMA CGM), cette initiative a permis à 200 jeunes, l’année dernière, d’apprendre à nager, se familiariser avec le monde de la navigation et vivre des expériences ludo-éducatives pour comprendre, aimer et respecter la mer. 2 000 personnes ont pu sortir en mer gratuitement chaque année. « Nos actions sont essentiellement tournées vers les gens. Un peu comme on va dans une ville que l’on ne connaît pas, une personne qui aura besoin d’une information autour de la mer pourra venir ici pour ensuite être aiguillée vers nos partenaires qui ont des spécialités », ajoute Patrick Fancello.
Le président n’oublie pas que ce site emblématique de la cité phocéenne est chargé d’histoire. Et les idées pour le mettre en lumière ne manquent pas. « Quand le Vieux-Port a été dynamité par les Allemands en 1944, lors de la bataille de Marseille, une aile du bâtiment a sauté, et c’était ici que se trouvait le pont transbordeur [seul le pylône nord s’abat dans les eaux. Le reste s’écroule le 1er septembre 1945, à la suite de la mise à feu de 400 kg d’explosif, ndlr]. On aimerait que le Grand port maritime de Marseille nous donne l’autorisation de (re)faire une extension, peut-être en bois, on ne sait pas vraiment encore, on verra avec les architectes des Bâtiments de France, pour rappeler l’existence de cet ouvrage et son histoire. C’est une idée un peu folle, mais rien ne nous fait peur ».
D’autre part, la consigne abritait des œuvres d’art, dont certaines d’exception, comme un bas-relief de Pierre Puget, que Patrick Fancello aimerait bien voir revenir entre les murs du tiers-lieu. « Pour moi, il faut vraiment que ça redevienne aussi un lieu d’histoire » dit-il, en imaginant même un circuit retraçant l’histoire de la grande épidémie de peste, au travers d’autres sites comme le musée Regard de Provence, l’hôpital Caroline au Frioul…
Une année de la mer en 2025 à Marseille
Fondée sur des valeurs de coopération, d’inclusion et d’éco-responsabilisation, l’association a été créée à l’origine avec l’objectif de lancer Marseille, Capitale européenne de la mer, d’où son nom. La présidence de la France au Conseil de l’Union européenne entre janvier et juin 2022 représentait une opportunité, avant que la guerre en Ukraine ne vienne bouleverser ce mandat. « On voulait que ça s’inscrive dans la dynamique des Jeux olympiques, que ça se fasse dans la foulée. Cette ville ne peut pas avoir la Coupe du monde de rugby en 2023, les Jeux en 2024 et puis d’un coup plus rien. Il y avait une fenêtre de tir en 2025 avant les échéances électorales », explique Patrick Fancello.
Peu de chance, compte tenu des délais administratifs, de décrocher le fameux sésame d’ici à trois ans. Qu’à cela ne tienne. L’association a décidé de faire la preuve par la démonstration que Marseille mérite cette labellisation européenne. « On va lancer une année de la mer en 2025, ponctuée de plein d’événements et d’animations. On va inviter les commissaires européens et d’autres villes européennes à venir découvrir cette ville comme si c’était un prototype de Marseille, capitale européenne de la mer ». Si la cité phocéenne reste le port d’attache, l’enjeu est de réussir à fédérer toute la région. « On n’a pas abandonné l’idée ».
Il était une fois le Gyptis
En attendant, pour lancer le tiers-lieu, la reconstitution à l’identique du Gyptis, un navire massaliote tel qu’il amena des Grecs inspirés dans le Lacydon voici 2600 ans, sera exposé sur la terrasse de la consigne sanitaire, les 15, 16 et 17 septembre à l’occasion des Journées européennes du patrimoine.
Au programme également une découverte des métiers de l’archéologie pour les enfants de 7 à 12 ans, de 10h à 12h et de 14h à 17h, menée avec l’association culturelle et de loisirs Arkaeos dans le cadre de l’Olympiade Culturelle.
Infos pratiques
Horaires : de 10h à 12h et de 14h à 17h.
Adresse : La Consigne Sanitaire, 2 Quai du Port, 13002 Marseille.