Il rêvait de devenir paléontologue, reporter animalier, DJ et même rockstar. Guillaume Ferroni a finalement créé son propre métier : « Barman, historien, distillateur ! » Depuis le comptoir du Carry Nation, son bar clandestin caché au cœur de Marseille, ce chef d’entreprise, mi-magicien, mi-alchimiste, nous raconte la passion qui coule dans ses veines, et les étranges alcools qui remplissent ses bouteilles.

C’est un lieu bien caché au cœur de Marseille dont seul le code secret vous ouvrira les portes. La clé pour un saut dans le Chicago des années 20, si d’aventure vous débusquez l’entrée dérobée. Bienvenue au Carry Nation, un bar clandestin inspiré des Speakeasy particulièrement répandus du temps de la prohibition. Un coup d’œil au Volstead Act affiché dans le club rappelle cette période (1919 à 1933) durant laquelle il était strictement interdit de consommer toute boisson alcoolisée.

Dans cette ambiance feutrée, hot jazz ou soul rythment la danse des shakers des bartenders. On y croise aussi les figures historiques de la contrebande, Al Capone, le rum-runner “Bill” McCoy… ou encore l’activiste Carry Nation, duquel le bar tire son nom, et qui, Bible à la main, défonçait à coups de hache les tavernes des bootleggers. « Tous les documents sont authentiques, assure Guillaume Ferroni, propriétaire des lieux. Ce qu’il y a sur les murs date de 1850 à 1930. Les ouvrages et les bouteilles dans les armoires sont d’époque. Il y a des alcools médicinaux de la prohibition très connus, comme le gin ou le whisky, des bouteilles qui étaient à l’époque vendues en pharmacie, et qu’on pouvait acheter et consommer uniquement sur ordonnance médicale », raconte cet entrepreneur passionné par l’histoire du bar et des spiritueux.

Lui qui se voyait devenir paléontologue, reporter animalier, DJ et même rockstar – « mais ça c’est raté » – a finalement créé son propre métier : « barman, historien, distillateur ».

Carry Nation, Du Château des Creissauds au Carry Nation, rencontre avec Guillaume Ferroni, le magicien, Made in Marseille
Carry Nation à Marseille. © Olivia Chaber

Les recettes des vieux grimoires

Lorsqu’il rachète le Château des Creissauds à Aubagne, en 2000, Guillaume Ferroni y lance une activité de café-concert. Dans la petite salle voûtée qui fait aujourd’hui office de boutique à la gamme des spiritueux de la Maison Ferroni, il joue les Tom Cruise derrière le bar et il adore ça. Il se trouve que ces années-là, l’univers du bar connaît une petite révolution qualitative d’ampleur mondiale portée par l’émergence des réseaux sociaux.

Une nouvelle vague marquée par le retour des techniques et des cocktails anciens sur laquelle va surfer l’entrepreneur, avec la création en 2007 du Bar dans les Arbres, au cœur du domaine. Il commence à développer ses propres produits à partir des recettes de spiritueux tirées de vieux grimoires, « américains en général, plutôt du 19e siècle, confie le créateur autodidacte.

« À la fin, il y a toujours un petit fascicule ‘comment faire soi-même ses alcools’. Un jour, je tombe sur un alcool français que je ne connaissais pas : ‘L’eau de Pucelle’. Je découvre un univers totalement inconnu pour moi : les boissons françaises au 18e et, dans le même temps, des centaines d’autres spiritueux dont je ne connaissais pas 5%. Je réalise qu’il y a une grande rupture en termes de spiritueux en France entre le 18e et 19e siècle.”

Les recettes étant publiques au 18e siècle, l’Aubagnais s’amuse alors à les reproduire, « sauf lorsqu’il y a des ingrédients illégaux ». Exit donc l’opium ou la digitale, une racine de plante toxique réputée pour rendre les femmes belles en leur élargissant les pupilles.

Carry Nation, Du Château des Creissauds au Carry Nation, rencontre avec Guillaume Ferroni, le magicien, Made in Marseille
Guillaume Ferroni au milieu des alambics dont certains dates de 1800, au Château des Creissauds. © Narjasse Kerboua

La renaissance du Vespetro

Toujours « par curiosité historique », il tente de répliquer le goût d’antan, avant de s’intéresser au marché qu’il peut représenter : « Il y a des choses qui marchent très bien, parce que c’est consensuel, et des choses imbuvables, parce que c’est ultra-médicinal. » Parmi les best-sellers qu’il ressuscite, le “Ratafia de Marseille”, une liqueur de fruits rouges et d’épices, qui se rapproche du vin chaud, servi d’ailleurs à Noël avec les treize desserts. Dans le même registre, le “Vespetro”, un genre d’anisette en plus doux, l’alcool le plus consommé en France pendant 200 ans, « et que personne ne connaît ».

Côté extrêmes médicinaux, il expérimente « l’eau verte de Marseille » et son « bitter » ultra- mentholé, utilisée pour soigner ou prévenir du choléra. Ou encore l‘élixir suédois, ancêtre du Fernet-Branca. « Un tube à l’époque, avec une renommée internationale, commente Guillaume Ferroni. Quand je fais déguster, la moitié de la salle fait la grimace, l’autre moitié aime beaucoup, mais ça marche bien dans le monde du bar un peu hype, parce que le Fernet-Branca est un alcool un peu culte, utilisé en cocktail ou en shot.»

C’est avec l’herboristerie du Père Blaize, célèbre institution marseillaise, qu’il réédite cet élixir de jouvence qui, selon la légende, permettrait d’allonger la vie. De tube en tube, de liquide en liquide, Guillaume Ferroni expérimente, jusqu’à mettre au point les nouvelles potions qui feront le succès de la Maison Ferroni.

Carry Nation, Du Château des Creissauds au Carry Nation, rencontre avec Guillaume Ferroni, le magicien, Made in Marseille

L’École du Shaker d’Argent

Avec la création du Carry Nation en 2011, la collection de spiritueux trouve un écrin de choix. Tout comme les objets du petit musée mobile que ce collectionneur avait l’habitude de transporter, pour animer ses conférences sur le thème du bar ancien et de la prohibition. « Avec le Carry Nation, il y a eu une bascule. Je dis souvent que c’est un bar-école, parce que notre niveau technique est monté en gamme, comme notre clientèle, novice au départ, et que l’on a contribué à éduquer. Aujourd’hui, elle connaît le cocktail et challenge même parfois les barmen sur des spiritueux. Cette clientèle de connaisseurs s’est constituée en même temps que le bar a pris de la notoriété. On a aussi formé beaucoup de barmen qui ont ensuite créé d’autres bars. »

Au début, on était des ayatollahs, on faisait uniquement des recettes historiques. Guillaume Ferroni

La carte, ordonnée par période de 1850 à 1950, rend hommage à ces cocktails qui ont forgé la légende au 19e siècle : Ramos Gin-Fizz, New-York Sour, Brooklyn… « Au début, on était des ayatollahs, on faisait uniquement des recettes historiques, se souvient le maître de chai dans un éclat de rire. Après, on a fait des twists. Maintenant, on se donne un peu plus de liberté, tout en gardant cette trame historique.»

Les boissons emblématiques ancrées dans l’histoire côtoient les cocktails signature comme l’Eldorado, clin d’œil au groupe de rap marseillais IAM. « Ils sont venus tourner leur clip Eldorado au Carry Nation. On adore, c’est ma génération, l’expérience était belle et ça allait parler à une certaine clientèle, confie Luc Litschgi, à la tête du club. J’ai imaginé un cocktail avec de la tequila, du mezcal, un peu pimenté…»

L’ancien karatéka évoluant dans le monde de la sécurité a découvert tout un art au côté de Guillaume Ferroni. Lui-même transmet désormais son savoir-faire au Carry Nation, rebaptisé l’École du Shaker d’Argent. « C’est mon mentor, je marche dans ses pas. Il m’a inspiré, porté avec ses idées, son aura et ses connaissances, c’est un historien du bar. » Et bien plus encore… Un magicien, diront certains. « J’aime bien ce surnom », sourit Guillaume Ferroni. Mais s’il s’est fait un nom, c’est aussi parce qu’il développe une vision des affaires qui lui est propre.

Lui qui aime « travailler en amitié » est friand des collaborations. « Je pense qu’il ne faut pas être un requin pour réussir en affaires, même si je suis très attaché à la réussite. » Tout autant qu’il l’est à Marseille, à la Provence et au Maroc, où il a grandi une partie de sa vie. « On peut dire que c’est ma deuxième nationalité ».

Salon marocain, cumin dans tous les plats, une culture qui a « imbibé toute la famille ». Comme l’humour d’ailleurs. Avec quatre frères et sœurs, dont la célèbre Nicole Ferroni, “je peux vous dire qu’à table, on est aussi bons qu’elle”. Un cocktail explosif !

Bouton retour en haut de la page