Les biffins de Gèze, invités à quitter les trottoirs d’un quartier en pleine mutation, devraient trouver asile dans les anciens entrepôts Casino. La Ville est favorable au projet de ressourcerie de l’association Amelior. Elle pourrait investir les lieux dès ce mois de juillet.
On les appelle les « biffins ». Depuis des années, sur les trottoirs de l’avenue Cap-Pinède (15e), entre les puces et la station Gèze, ils animent ce que certains considèrent comme le plus grand marché informel de France.
Vaisselle, électroménager, vélos, vêtements… D’après des estimations, près d’un millier de commerçants, souvent sans-papiers, vendent à prix cassés des objets récupérés – pour beaucoup – dans les rues et poubelles marseillaises.
C’était avant que la grande marée du renouvellement urbain ne déferle sur ce petit territoire d’économie parallèle, devenu aujourd’hui un archipel. Comme rescapés sur de petits îlots, les étals trouvent refuge sur des bouts de trottoirs épargnés. Ici sous une grue titanesque, là entre deux barrières de chantier.
Trouver sa place dans une mutation urbaine à marche forcée
Car l’avenue, en pleine requalification, est l’épicentre d’une mutation urbaine titanesque. Sous le futur boulevard, Euroméditerranée fait pousser l’immense quartier des Fabriques et RTE lance la construction de son nouveau siège local. Le chantier du tramway doit arriver au pôle d’échanges multimodal Gèze en 2025.
En face, Unitel group entend construire son campus de l’innovation et du numérique, Théodora, évalué à 100 millions d’euros. De l’autre côté, les Hangars du cinéma, base logistique pour les tournages à Marseille, doivent ouvrir à la rentrée. Sans oublier la reconversion à plus long terme de la gare ferroviaire du Canet en immense coulée verte et logements, et la potentielle construction d’une arena de 15 000 places.
Les promoteurs et pouvoirs publics ont misé gros sur la grande reconversion de cet ancien quartier industriel. Mais ni les uns ni les autres ne prévoient le maintien des biffins sur les trottoirs du futur « Cours métropolitain ».
Un marché pour les rassembler tous
Si certains voient surtout dans ce marché informel une carte postale de la misère et des trafics en tous genres qui s’y agglomèrent (cigarettes, recel, médicaments…), d’autres relèvent les vertus de cette économie parallèle. À « biffins » ou « chiffonniers », Samuel Le Coeur préfère « recycleurs », « trieurs » « récupérateurs » ou « valorisateurs ».
Le président de l’Association des marchés économiques locaux individuels et organisés du recyclage (Amelior) estime qu’il s’agit de « métiers qui représentent une force économique, écologique et sociale ». Il créent une richesse à partir d’un recyclage « et du nettoyage des rues ». Le tout en offrant un revenu ou des produits bon marché aux plus précaires.
Une activité aux multiples vertus qu’il encourage « à développer, régulariser et sortir de l’économie parallèle ». Ce que la structure a déjà fait en Île-de-France, voilà près de 10 ans, du côté de Montreuil en regroupant les biffins dans un marché officiel avec une ressourcerie.
« En plus des vendeurs, les marchés fédératifs créent des métiers de collecteurs, trieurs, réparateurs, valorisateurs…, décrit Samuel Le Coeur. Tout cela nous permet de créer des emplois pour la gestion du lieu, et des statuts pour les adhérents. Un système qui permet de sécuriser l’activité, des revenus et la situation administrative des personnes » argue-t-il.
Cap sur les anciens entrepôts Casino
Dans cet objectif et fort de son expérience, Amelior travaille depuis plus de deux ans à un dispositif similaire pour les biffins de Gèze. « Nous avons déjà fédéré 400 adhérents à Marseille », estime le président. Si le projet a fait débat dans la classe politique locale, la municipalité de Marseille semble avoir tranché favorablement.
« On a reçu pour la première fois une intention officielle de la mairie, se réjouit Samuel Le Coeur. Nous devons renvoyer dans les prochains jours un projet détaillé que la Ville devra valider avant de signer une convention. On pourrait commencer à travailler sur site mi-juillet ».
Où ? « Dans les anciens entrepôts Casino », en face de la station Gèze, propriété de la Ville qui y héberge encore certaines régies. Un des derniers îlots du périmètre encore épargné par un projet immobilier.
« L’idée c’est qu’il n’y ait plus personne sur le trottoir »
Ce que nous confirme la maire-adjointe de Marseille en charge, notamment, de l’égalité et l’équité des territoires, Samia Ghali. « L’association pourrait arriver mi-juillet ». L’ancienne maire de secteur (15-16) évoque avant tout « un bail temporaire. Le temps de travailler à un projet définitif ».
« On verra, on va la juger là-dessus », tempère l’élue au sujet de l’implantation définitive de l’association autour de son projet de ressourcerie. Pour elle, « l’idée c’est qu’il n’y ait plus personne sur le trottoir. Les faire rentrer à l’intérieur avec un encadrement. Qu’on n’ait plus de problèmes d’insécurité et d’usages de l’espace public où l’on doit surtout pouvoir marcher et se balader ».
Dans le cas où les biffins, ou les trafiquants, resteraient sur la voie publique, « il y aura des arrêtés d’interdiction, assure la maire-adjointe. À ce moment-là, la police interviendra et de manière assez sévère ».
Faire exemple en France et en Europe
De son côté, Amelior peaufine son projet. Sur la partie architecturale, « nous avons visité le site, il n’y a pas besoin de beaucoup de travaux, estime le président. On travaille avec des architectes et des entrepreneurs pour mettre les futurs travailleurs dans les meilleures dispositions. Nous disposons de 2 500 à 3 500 m2 » précise-t-il.
C’est sur la partie sociale que Samuel Lecoeur semble mettre le plus d’énergie. Notamment en constituant un réseau de partenaires « de terrain, qui sont essentiels pour la réussite du projet. Les centres sociaux de quartiers, mais aussi les associations. Il y a beaucoup de besoins à prendre en compte : la régularisation des sans-papiers, l’accompagnement à la langue, la garde d’enfants… ».
« Nous avons aussi des échanges très intéressants avec l’Après M, la fondation Abbé Pierre et le réseau des acteurs du réemploi de la région, poursuit-il. Il y a de belles synergies à mettre en place, on a des convergences d’intérêt et de solutions ».
Ambitieux, il n’hésite pas à évoquer un projet « qui pourrait faire exemple en France et à travers l’Europe. Comment l’union de la Ville, des associations, des vendeurs, permettent de faire émerger des solutions à de nombreuses problématiques : l’exclusion, la pauvreté, le parcours migratoire, la gestion des déchets, le recyclage… » Vaste programme, qui tentera sa chance aux entrepôts Casino.