Son engagement social est intimement lié à ses propres combats. Souad Boukhechba est la créatrice de l’association des Femmes du Plan d’Aou en Action, avec laquelle elle lutte contre la précarité alimentaire et favorise l’insertion sociale des plus vulnérables depuis presque trente ans. En mars 2022, elle a inauguré le Café des Femmes, un lieu d’écoute et de ressourcement pour aider les femmes isolées à se reconstruire.

Cette dame-là, c’est notre statue, interpelle un passant, habitant du Plan d’Aou. Depuis qu’on est minots, elle a toujours le même sourire.” Ce sourire, bienveillant et déterminé, est celui de Souad Boukhechba. Dans cette cité perchée sur les hauteurs du 15e arrondissement, avec vue imprenable sur la rade de Marseille, on la salue à chaque coin de rue. C’est ici qu’elle a grandi alors que les premiers immeubles sortaient de terre, au début des années 1970. Son père, responsable de chantier, a lui-même participé à leur construction.

À cette époque, on avait tous les commerces ici, se souvient-elle. Une boulangerie, une épicerie, un primeur… Le Plan d’Aou, c‘était un mélange de cultures et de personnes. C’était magnifique.” Si son quartier, en rénovation depuis 20 ans, a traversé des périodes difficiles, Souad ne l’a jamais vraiment quitté. Avec une énergie intarissable, elle a consacré une grande partie de sa vie à tenter d’améliorer le quotidien de ses résidants en combattant “l’isolement, le racisme et le mépris. Je ne peux pas faire autrement, déclare-t-elle. Je suis humaine, et j’aime mon prochain.

Souad Boukhechba, Les combats de Souad Boukhechba, figure solidaire des quartiers Nord, Made in Marseille
© Olivia Chaber

Une force de la nature

C’est d’abord sa mère, Zohra, que tout le monde dans le quartier appelait Tata, qui lui transmet très tôt le goût du partage et de l’entraide. “C’était une femme de cœur, qui aimait l’autre, raconte Souad. Elle organisait des goûters dans la cité, et accueillait les femmes seules qui venaient du pays et se retrouvaient sans papiers, ni rien ici.” Mais Souad puise aussi sa force dans ses propres combats en tant que femme.

À l’âge de 25 ans, fuyant la violence de son ex-conjoint, elle retourne vivre dans l’appartement de sa mère et se retrouve à devoir élever seule ses trois enfants. Pour s’en sortir, elle frappe à la porte du Secours Catholique de Saint-Louis, puis devient à son tour bénévole. En parallèle de son métier de cuisinière dans les cantines scolaires, Souad décide de mettre en place des ateliers culinaires avec d’autres femmes. “On s’est retrouvées à plusieurs dans le même cas de figure, à avoir connu les hauts et les bas de la vie, confie-t-elle. Cuisiner ensemble, ça nous aidait à parler de nos problèmes.

Souad Boukhechba, Les combats de Souad Boukhechba, figure solidaire des quartiers Nord, Made in Marseille
© Olivia Chaber

Une aide précieuse pour 350 familles

En 1998, nourrie de cette expérience et encouragée par Guy Hermier, le maire de secteur communiste de l’époque, elle crée l’association des Femmes du Plan d’Aou en Action avec une vingtaine d’habitantes de Saint-Antoine. Elles commencent par proposer une fois par mois au centre social des repas “où chacune partageait des recettes issues de sa culture”, explique Souad, dont la famille est d’origine touareg. Grâce à l’argent récolté, elles organisent des séjours de ressourcement en famille, à la montagne ou à la mer, “pour que les mamans puissent se retrouver avec leurs enfants et créer un dialogue avec eux”.

C’est Souad qui m’a emmené skier pour la première fois”, se souvient Moussa Bakary, qui a grandi au Plan d’Aou. Il est aujourd’hui employé au sein du service patrimoine de la Ville de Marseille. “Tout ce qu’on est devenu, c’est grâce à des acteurs comme ces dames-là, estime-t-il, reconnaissant. Nos parents travaillaient toute la journée, ils étaient fatigués, et elles prenaient le relais. Elles organisaient plein de trucs, des activités, des sorties…”.

Aujourd‘hui, les Femmes du Plan d’Aou assurent la distribution de colis à plus de 350 familles et personnes âgées précaires des 15e et 16e arrondissements. Elles tiennent également un relais alimentaire, qui permet, pour une participation de 5 euros par mois, de bénéficier d’un accès libre aux denrées. La demande n’a cessé d’augmenter depuis la crise sanitaire, dans ce quartier où une personne sur deux vit sous le seuil de pauvreté. “C’était très dur, mais mine de rien, le Covid a permis de faire reconnaître le travail qu’on faisait depuis des années”, observe Souad.

Souad Boukhechba, Les combats de Souad Boukhechba, figure solidaire des quartiers Nord, Made in Marseille
Le Café des Femmes du Plan d’Aou a été inauguré le 11 mars 2022 en présence de l’ancienne ministre de la Ville, Nadia Hai. © Olivia Chaber

Au Café des Femmes, libérer la parole

Ce travail acharné n’est pas passé inaperçu auprès de l’association Banlieues Santé, qui lutte pour faciliter l’accès aux soins dans les quartiers prioritaires. Son coordinateur national, Yassine Ennomany, a pris contact avec Souad au sujet d’un projet de tiers-lieu centré sur le bien-être des femmes, dont une première antenne existait déjà en région parisienne. De cette coopération naît, en mars 2022, le Café des Femmes du Plan d’Aou.

Dans ce local mis à disposition par le bailleur social de la cité, des femmes de 18 à 95 ans se réunissent chaque vendredi dans le cadre d’un groupe de parole animé par Atika Kerrouche. “C‘est une des premières actions mises en place au Café, précise Souad. C’est important de se soutenir entre nous, il ne faut pas laisser cette souffrance s’installer. On vit dans le même secteur, on a les mêmes galères, donc la parole se libère plus facilement. C’est ça notre force, de comprendre l’autre et de se soutenir dans tout.” Le lieu, géré par Fatna Sid Elhadj, accueille également des ateliers de couture, de socio-esthétique et de self-défense. Tout est mis en œuvre pour aider les femmes à retrouver confiance en elles et à se ressourcer dans une ambiance chaleureuse.

Une chose est sûre, cette militante au grand cœur n’a pas terminé de répandre sa bonne humeur sur les quartiers Nord de Marseille. Lorsqu’on lui demande où elle puise son énergie, Souad affirme : “Je le fais pour les familles et pour les jeunes, on ne peut pas les laisser sans rien. En se tenant la main, on peut faire beaucoup de choses.” Une philosophie qui fait écho au message inscrit sur la devanture du Café des Femmes : “Ensemble, on va plus loin.

LE FOOD TRUCK DES TATAS DU CŒUR

Malgré le succès du Café des Femmes, qui compte plus de 300 adhérentes, Souad est loin d’être à court de projets. Avec les bénévoles des Femmes du Plan d’Aou, elle a lancé le food truck social et solidaire des Tatas du Cœur, nommé ainsi en hommage à sa maman. Le camion se déplacera directement au pied des immeubles pour offrir aux habitants des quartiers prioritaires des plats chauds et équilibrés, cuisinés par des femmes en insertion professionnelle. Son inauguration se tiendra à l’occasion d’une grande fête de quartier le 21 juin à partir de 12h30.

Retrouvez ce reportage et nos autres articles dans le premier magazine Made in Marseille :

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